19 mars 2024

Face à la même violence, deux comportements…


Face à la même violence, deux comportements…par Jean-Pierre LLEDO

 
 
 
 

 

 

L’éventualité que l’adolescent arabe de Jérusalem de 16 ans ait été tué par des Juifs était, pour le peuple juif, d’Israël et hors d’Israël, le pire des scénarios. Et c’est celui-ci qui s’est réalisé.

Le pire non seulement pour des raisons politiques et militaires, puisque le rapt, puis l’assassinat des trois jeunes israéliens, et l’appartenance des tueurs à la branche armée du Hamas, avait donné l’initiative à Israël, permis de détruire en profondeur l’organisation politico-militaire du Hamas, et même démontré qu’il était difficile de faire la paix avec un gouvernement ‘’d’union nationale’’ qui à peine formé se révélait incapable de maitriser les instincts guerriers des siens et de donner à la communauté internationale quelques gages de bonne volonté.

 

Mais aussi, le pire, et plus encore, car chaque Juif se sent atteint dans ses valeurs puisées dans la Tora, continuellement discutées, remises à jour, par les Sages du Talmud, et jusqu’à nos jours par d’innombrables exégèses, qui ont à jamais affirmé une Loi, et le refus de la vendetta tribale, de la justice que l’on se fait soi-même.

 

Huit siècles avant l’ère commune, un agriculteur juif à qui l’on avait volé ses vêtements ne fit-il pas écrire une lettre aux autorités pour réclamer son dû ? L’ostracon est visible au Musée d’Israël de Jérusalem.

 

Je comprends donc ces amis juifs très nombreux qui ont tenu à me dire leurs ‘’effarement’’, ‘’désarroi’’, ‘’dévastation’’… ‘La terre s’ouvre monstrueusement sous nos pieds’’, ‘’Mon cœur saigne’’, ‘’Je suis désemparé’’, ‘’Un véritable cauchemar qui me plonge dans la dépression’’ et j’en passe…

Mais je suis loin de partager cette vision. Même si le peuple juif peut en tirer, en apparence, honneur et bénéfice moral, je ne trouve pas que la propension juive à se saisir du moindre méfait pour s’auto-accuser collectivement, et appeler l’univers à être le témoin de son manquement irrémédiable, tel dans le passé et avec un sens du spectacle évident le savant Yeshayahou Leibowitz, tel aujourd’hui l’écrivain A.B Yehoshua, soit un signe de bonne santé psychologique.

La culpabilisation collective qui a pour effet immédiat de rendre responsable un peuple entier du méfait ponctuel d’un seul, personne ou groupe de personnes, relève du racisme quand il vient de l’autre, et d’une pathologie manifeste quand il émane de la victime elle-même.

 

C’était peut-être la manière des Prophètes et elle avait un but sans doute pédagogique, et quel que soit le désir de certains de prendre leurs places, nous ne sommes plus en ce temps là. Désormais leur rôle est interprété par le peuple lui-même et par toutes les autorités qui s’en réclament, religieuses, intellectuelles, morales, différentes morales, philosophiques, etc…

 

Ce dont il faudrait plutôt s’alarmer c’est que ces autorités-là, et le peuple lui-même après 3500 ans d’histoire, de théologie, de philosophie, de droit, et de morale, juives qui ont révolutionné sinon refondé en partie toutes ces disciplines, et modelé à jamais des valeurs fondamentales devenues patrimoine de toute l’humanité, que les modernes ont appelé ‘’humanisme’’, mais qui avaient précédé la Renaissance de quelques vingt quatre siècles, se fassent eux-mêmes, collectivement, les apôtres du crime ou les complices de leur auteurs, par le silence et/ou la justification.

 

Or en établissant la chronologie des violences qui assaillent Israël depuis un mois, ce que je peux constater c’est que s’il y a bien quelque chose d’inquiétant, c’est l’abîme moral qui sépare deux peuples pourtant soit mêlés, soit distant de quelques kilomètres seulement. Abîme incomblable, avant longtemps.

La symétrie de la double tragédie qui a affecté le peuple juif, d’abord, arabe ensuite, nous facilitera la tâche. Comparons et jugeons-en.

 

D’abord les faits.

Le 12 Juin dernier, trois étudiants juifs israéliens Naftali Frenkel, Gilad Shaer (tous deux 16 ans), et Eyal Yifrah (19 ans), sont kidnappés vers 22h30 alors qu’ils faisaient de l’auto-stop dans le Goush Etsion.19 Jours plus tard, leurs trois corps sont retrouvés dans la même région, tués par balles à bout portant. L’assassinat n’est pas revendiqué mais la police, deux semaines plus tard, identifie au moins deux des suspects : Ammar Muhammad Abu Eisha (33 ans), et Marwan al-Qawasmi, (29 ans). Tous les deux sont d’Hébron, tous deux affiliés à l’organisation militaire du Hamas, tous deux déjà arrêtés plusieurs fois par les polices palestinienne et israélienne. Les deux familles sont impliquées depuis longtemps dans l’action armée du Hamas. Il semble qu’un troisième membre de la branche armée du Hamas, Houssam Dofash soit aussi complice, il a également disparu de son domicile depuis le 12 Juin.

Le 1er Juillet, Mohammad Abou Khdeir, un adolescent palestinien de 17 ans, est enlevé par des inconnus, le matin tôt, alors qu’il faisait lui aussi de l’auto-stop. Son corps est aussitôt retrouvé, brulé. Après seulement quelques jours, les six suspects sont arrêtés. Ils sont juifs et à l’heure où j’écris, on ne sait que cela.

 

La réaction des autorités politiques.

 

Côté palestinien. Mahmoud Abbas réagit assez vite pour condamner le kidnapping… ‘’Les trois jeunes garçons sont des êtres humains, comme nous, et doivent être rendus à leurs familles’’. Curieuse justification. Pourquoi se sent-il obligé de convaincre les siens que les Juifs sont ‘’comme nous, des êtres humains’’ ? Est-ce parce qu’il sait l’habitude prise par les musulmans depuis le Coran et les Hadiths, d’identifier les Juifs à des cochons ou à des singes, voire à toutes sortes d’autres animaux de type reptilien ?

Quand à Khaled Meshaal, chef du Hamas qui venait de s’associer à M. Abbas pour former le gouvernement palestinien ‘’d’union nationale’’, ne se félicite-t-il pas, dans une interview à Al-Jazeera, du kidnapping sans toutefois le revendiquer ?

Ni M.Abbas, ni son parti, le Fatah, ne condamnent de tels propos qui pourtant délégitimaient ipso facto la nouvelle alliance. Plus gravement le Fath appelait tous les citoyens arabes à détruire toutes les images prises par les caméras de surveillance.

 

 

Et publiait dans son site une caricature légendée admirativement, à l’encre rouge, ‘’Un coup de maitre’’,
où l’on pouvait voir au bout d’une canne à pèche se débattre trois misérables souris marquées par l’étoile juive.caricature juifs en souris enlèvement
 

 

 

 

 

 

En Israël, les députés arabes, tels Tibi et Zoabi, justifient aussi le kidnapping, cette dernière se refusant à le taxer de ‘’terrorisme’’.

 

Coté israélien. Toutes les autorités d’Israël et les principaux ministres directement concernés, à commencer par le premier ministre B. Netanyaou, ainsi que toute la classe politique, condamnent immédiatement, sans appel et sans la moindre justification, le crime, puis les criminels. Le premier ministre outrepasse même son rôle en appelant à la peine maximale pour les coupables. Israël étant en effet le seul pays du Moyen-Orient où la peine de mort n’est pas d’usage. Enfin il appelle directement par téléphone le père de la victime pour lui présenter les condoléances du gouvernement et du peuple israéliens.

Les familles israéliennes, elles, attendent toujours le coup de fil de M. Abbas.

 

La quête des tueurs.

 

Les tueurs arabes et israéliens ont été assez vite identifiés par les services de sécurité israéliens. Mais si les seconds ont été arrêtés avec diligence, les premiers courent toujours, presqu’un mois après. S’ils avaient été des tueurs ‘’isolés’’ comme se sont empressés de le dire beaucoup de journalistes occidentaux, et israéliens, comment auraient-ils pu être en cavale autant de temps ?

Quand on sait que le Fath, parti de M. Abbas, a appelé à ne pas collaborer à la recherche des assassins (détruire les caméras), peut-on croire que la police palestinienne épaule vraiment l’israélienne ?

Que dire alors du Hamas qui s’est lancé dans l’aventure en choisissant de bombarder sans discontinuité le sud d’Israël ? ! Le gouvernement d’unité nationale qui n’a fait aucune déclaration à ce sujet, ne peut-il être accusé, sans exagération, de complicité avec les criminels ?

On apprend par ailleurs que dans la région d’Hébron, le Hamas est tombé sous l’influence du clan tout-puissant des Qawasmeh, auquel appartient l’un des deux suspects, Marwan al-Qawasmi. Soit environ 10.000 individus contrôlant commerce et trafic d’armes dans le secteur, véritable mafia fournissant logistique et hommes à la branche armée du Hamas.

 

La réaction des familles concernées.

 

Les trois familles israéliennes ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour sauver leurs enfants, allant même à Genève demander à la Commission des droits de l’homme de l’ONU un soutien qui ne leur fut pas accordé.

Mais sans jamais faire pression sur les autorités sécuritaires de leur pays ni tenir le moindre propos désobligeant vis-à-vis des Arabes d’Israël ou de Palestine, même après la découverte des corps de leur enfants.

Au contraire, ils ont été formels, et sans la moindre ambigüité en affirmant que pour eux il n’y avait aucune différence entre un enfant juif et un enfant arabe : ‘’Le même sang coule dans nos veines à tous. Assassiner est assassiner, la nationalité et l’âge ne changent rien. Il n’y a pas de justification, pas de pardon et pas d’expiation pour un quelconque assassinat« , a déclaré, par exemple, la mère de Naftali Frenkel.

 

Le père de la victime arabe, lui,se plaint de la lenteur de l’enquête, ‘’alors que les caméras de surveillance ont tout filmé’’ précise-t-il, et va même jusqu’à accuser du crime ‘’le shin bet’’ (organisme de sécurité intérieure).

Il déclare par ailleurs que l’on a brûlé son fils ‘’comme le faisaient les nazis’’. Il n’avait sans doute pas vu cette vidéo qui a fait le tour du monde, où trois homosexuels irakiens musulmans étaient jugés, condamnés, immédiatement arrosés d’essence et jetés dans la fosse où le brasier les attendait, pour être purifiés, tout ceci devant les caméras. Il reconnait cependant que des Juifs sont venus pour exprimer leurs condoléances à sa famille.

Les familles juives attendent toujours sa solidarité de victime et sa compassion.

 

Quant à la mère d’un des tueurs Ammar Muhammad Abu Eisha elle a aussi été, en son genre, sans ambiguité : « si mon fils a pris part au kidnapping, je suis fière de lui, et j’espère qu’il continuera à déjouer les recherches, tant de l’armée israélienne que de la police palestinienne. ».

 

L’enterrement

Le 1er Juillet, après avoir espéré 19 jours avec les trois familles israéliennes, 50 000 personnes venues de tout Israël se sont rendu au cimetière de Modi’in. J’y étais et j’ai décrit ces funérailles[1]. Quasiment pas de drapeau. Pas de cris. Pas de slogans. Pas de bave haineuse aux commissures des lèvres. Pas de drapeaux de l’adversaire brulés. Encore moins de salves d’armes automatiques. Un recueillement impressionnant. Des prières murmurées. Des chants douloureux sans crescendo. Jusque tard dans la nuit autour des tombes des trois jeunes assassinés.

Vendredi 4 Juillet, quelques milliers de personnes accompagnent à l’est de Jérusalem la dépouille du jeune Arabe. Marée de drapeaux palestiniens. « Allah Ou Akbar ! »[2] crié à tue-tête Et bien sûr l’inévitable slogan chanté par toutes les foules du monde arabo-musulman comme un hymne à la guerre : « Par notre sang et par notre âme, nous nous sacrifierons pour le martyre).

Les réactions du peuple

 

Tant que l’espoir de retrouver vivants les trois jeunes Juifs fut maintenu, le peuple juif entier en Israël et dans le monde, retint son souffle et souffrit en silence. Mais lorsque fut annoncé la découverte des trois corps, et malgré les ‘’fuites’’ des autorités israéliennes afin d’amortir le choc final, laissant entendre que chaque jour s’amenuisaient les chances, il est vrai qu’une partie de la population, très minoritaire, a craqué. Criant vengeance et des slogans contre les Arabes. Les agences de presse occidentales n’ont pas loupé l’événement, inutile d’en rajouter.

Mais ce que ces agences se sont bien gardées de dire, c’est qu’immédiatement l’immense majorité du peuple, les autorités politiques et morales, et comme on l’a déjà mentionné, les familles même des trois étudiants assassinés, se sont tous désolidarisé d’un tel comportement, avec même souvent les mots les plus blessants. Ce qui a fait écrire un de mes amis, ceci : ‘’La réaction du peuple juif à l’annonce que les assassins de l’enfant arabe étaient des Juifs me rend encore plus fier d’appartenir à ce peuple.

 

Faut-il d’ailleurs rappeler que le seul endroit du monde où le peuple descendit massivement dans la rue en 1982, pour protester contre le massacre de Sabra et Chatila, perpétré en guise de représailles, dans un camp palestinien au Liban par les Phalangistes libanais, ce fut Tel Aviv avec 400 000 personnes (pour une population, à l’époque, d’à peine 6 millions de Juifs). Le même jour à Alger, un million de personnes sortit aussi dans la rue, mais c’était pour féter la victoire de l’Algérie contre l’Allemagne, au début de la Coupe du monde de foot…

 

Mais cette explosion de haine juive sur le web et dans la rue, une seule fois, mais une fois de trop, n’a-t-elle pas été facilitée par le comportement du peuple arabe ?

N’a-t-on pas vu ce dernier se réjouir bruyamment, ostensiblement du rapt des trois jeunes Juifs, et plus encore après la découverte des cadavres ?

Ne l’a-t-on pas vu innover en matière de communication en inventant, comme Dieudonné la quenelle, un nouveau signe de victoire, non plus avec deux doigts en V, mais avec trois doigts, cherchant ainsi à narguer et à provoquer le peuple juif ?

Signe repris dans l’ensemble du monde musulman, dois-je le préciser, et enseigné même à des enfants de deux ans !obsques victoire 3 doigts e

 

 

 

Certes, on a les victoires que l’on mérite

 

 

 

 

Quand aux dirigeants politiques et aux autorités intellectuelles arabes dont c’est le rôle de dire la vérité au peuple, et de dresser des barrières à ne pas franchir, qui a élevé sa voix pour condamner cette provocation ? Qui a appelé les siens à plus de retenue ?

En réalité, et c’est triste à le constater, personne ! Ni en ‘’Palestine’’ ni dans le monde arabo-musulman.

 

Que n’aurait-on pas dit des Juifs dans une posture symétrique ?! Eux dont beaucoup se sentent aujourd’hui collectivement responsables, même quand ils ne résident pas en Israël, du crime commis contre le jeune Arabe. Eux desquels les autorités politiques, religieuses et morales ont fait immédiatement barrage à tout mouvement de haine, appelant au contraire à réfléchir, penser, se recueillir, que ce soit par les médias ou dans les synagogues.

Démontrant ainsi dans les faits que la Loi apparue il y a plus de 30 siècles, interdisant à l’individu de se faire justice, s’était irrémédiablement inscrite, si je puis me permettre cette image, dans le patrimoine génétique des Juifs.

 

Comparer la haine juive à la haine arabe est de ce fait, très instructif.

L’annonce de la mort des trois jeunes Juifs si elle permit à certaines passions anti-arabes de s’exprimer, et donna même malheureusement le prétexte au meurtre du Jeune Arabe, ne déboucha nullement sur cette atmosphère de pogrom qui règne aujourd’hui dans le camp arabe.

Différence que seule peut expliquer la différence des valeurs morales de chaque peuple et des comportements des deux autorités politiques et morales.

 

En effet depuis l’annonce de la découverte du corps du jeune Arabe, et jusqu’en ce moment même où j’écris, les Juifs sont devenus, dans l’ensemble d’Israël, les cibles recherchées de milliers de jeunes émeutiers arabes.

Enfants et femmes, sans discrimination, automobilistes, motocyclistes, bus, sont pris à partie, caillassés, lynchés quand les jeunes Arabes en ont la possibilité. Même les véhicules de l’ONU en ont fait les frais. Même le tramway qui permet aux Arabes de la partie est de Jérusalem de se rendre dans la partie ouest, soit pour étudier, soit pour travailler, soit encore pour s’y faire soigner, comme par exemple à Hadassah d’Ein Kerem situé à l’extrême ouest de Jérusalem.

Même les espaces privés ont été violés : on est entré dans une Yéschiva de la vieille ville de Jérusalem pour s’attaquer aux étudiants et à leurs maitres en théologie.

On a tenté de brûler les Tombeau de Joseph dans la ville de Naplouse, inclus par l’Unesco ‘’dans le patrimoine palestinien’’ ( !). Et l’on s’est attaqué à celui de Rachel près de Bethleem.

 

Comme en France récemment durant la Coupe du monde, comme dans l’ensemble du monde arabe après un match de foot, perdu ou gagné, on casse, on brûle, on s’attaque aux passants. De préférence non-musulmans, mais quand il n’y en a plus comme en Algérie, les nationaux, femmes ou enfants font aussi l’affaire.

 

Et ici en ce moment même, en Israël, à Jérusalem, comme dans certains endroits de Galilée, c’est le Juif qu’on s’est mis en tête de lyncher, mettant à nu le soubassement antijuif de tous les mouvements nationaux palestiniens, présents et passés !

Comme en 1921 et en 1929, à Jérusalem, à Hébron[3] et à Jaffa, à l’appel du grand Muphti de Jérusalem, Amin El Husseini, lequel, installé à Berlin par Hitler durant la dernière guerre mondiale, ne cessa d’appeler ce dernier à ne pas oublier les Juifs de Palestine dans la solution finale.

 

Qu’attend la petite nièce du Muphti et actuelle ambassadrice palestinienne auprès du Parlement européen Leila Shahid pour appeler son peuple à réfréner ses pulsions judéophobes ? Elle qui il y a quelques mois était allé à la Foire du Livre de Casablanca pour vanter les bons rapports entre Juifs et Musulmans dans le monde arabe[4]… Et ce alors que cette Foire était dénoncée même par les journaux français de gauche, comme une des Foires du Livre parmi les plus antisémites du monde arabe. Et pourtant après celle d’Alger, le record n’était pas si facile à battre.

 

Qu’attendent les autres dirigeants ‘’modérés’’ et les intellectuels palestiniens pour condamner de tels agissements organisés par le Hamas et son antenne israélienne, un parti légal, le Mouvement islamique, tous deux affiliés à l’internationale des Frères Musulmans ?

 

Qu’attendent-ils pour expliquer à leur peuple, au moins pour conserver la bonne image des ‘’Palestiniens’’ comme ‘’victimes’’, au moins vis-à-vis de cette Europe qui n’a plus de compassion que pour les Juifs morts, qu’il ne faut surtout pas dessiner des croix gammées sur les murs comme elles sont apparues dans les quartiers arabes de Jérusalem et d’autres villes, et encore moins sortir les drapeaux nazis des vieilles valises de leurs grands-pères, comme cela vient de se passer dans le village arabe près de Hébron, Beït Omar ?[5]

Photo Olivier Lunski drapeau Bet Omar

 

 

Photo Olivier Lunski drapeau Bet Omar

 

 

 

Qu’attendent aussi ces intellectuels israéliens qui la jouent ‘’nouveaux prophètes’’, pour interpeller leurs homologues arabes en ‘’Palestine’’ et leur demander d’exercer leur magistère moral , mais également leurs homologues arabes d’Israël, musulmans et chrétiens ?

Oui et chrétiens car l’identité de l’assassin de la jeune fille d’AfulaShelly Dadone, tuée il y a un mois par 17 coups de poignard, vient d’être dévoilée : il s’agit d’un taximan israélien arabe chrétien Hussein Khalifa, et ce pour des ‘’motifs nationalistes’’ comme on dit à présent, à peu près identiques à ceux des Juifs qui ont tués le jeune Arabe de Jérusalem…

 

Face à tant d’irresponsables, comment ne pas souligner l’héroïsme dece jeune Arabe de Galilée Mohammed Zoabi, qui a envoyé grâce à youtube un magnifique message d’amour à son peuple, le peuple israélien, en disant sa compassion pour les jeunes kidnappés, et qui fut aussitôt menacé par le clan familial qui n’est autre que celui de la députée de la Knesset, Hanin Zoabi qui, elle, n’a toujours pas condamné le meurtre des trois jeunes Israéliens…

 

Les Juifs, je le disais en introduction sont sans doute malades d’auto-culpabilisation. Pathologie gravissime car loin d’amoindrir la violence de l’agresseur potentiel, elle l’encourage. Elle est sans doute le résultat de 2000 ans de persécutions par le monde chrétien puis musulman. Sans possibilité de se défendre, car privé d’Etat, le peuple juif a dû cultiver une sorte de syndrome de Stockholm, quand suspendu au bon vouloir de son bourreau, on finit même sinon par l’estimer, au moins le ‘’comprendre’’.

 

Mais les Arabes de Palestine, comme ceux habitant en Israël, même s’ils ne sauraient être collectivement assimilés à ces milliers d’émeutiers dont on vient de décrire le comportement, eux aussi risquent d’être victimes de la perversion que toute violence génère dans le corps social, surtout lorsqu’elle n’est pas combattue par ses propres élites, surtout quand elle est vécue passivement, comme c’est le cas aujourd’hui.

 

L’exemple de l’Algérie devrait faire réfléchir les intellectuels musulmans de Palestine[6]. La violence ethnique générée par le FLN sous la forme d’un terrorisme au facies contre le non-musulman, si elle a réussi dans un premier temps à faire fuir hors de leur pays un million de non-musulmans, chrétiens et juifs, a aussi été une sorte de bombe à retardement qui a éclaté dans les années 90 du siècle dernier, tuant cette fois d’autres Arabes et d’autres Musulmans.

 

Voilà ce que me dit textuellement mon ami d’enfance Smaïn (alors que je préparais le tournage d’un film en Algérie, en l’an 2002, et alors que le terrorisme islamiste venait à peine d’être jugulé dans les grandes villes), lorsque je lui demandai de me raconter ce qu’il vit à Oran le 5 Juillet 1962.

Après un très long silence, il me répondit ceci : ‘’Tu sais Jean-Pierre, quand nous les anciens de la rue on se retrouve, on se dit que ce que l’on a vécu ces dernières années, c’est pour payer le 5 juillet’’.

Le 5 juillet 1962 à Oran, le jour même de la célébration de l’indépendance, plus de 700 personnes, chrétiens, juifs essentiellement, mais aussi musulmans, furent arrêtées, affreusement assassinées, lynchées, scalpées, violées, brulées, durant toute une journée, massacre s’achevant deux jours plus tard[7]…

Et je rappelle aux intellectuels palestiniens et israéliens qui l’ignoreraient qu’il y eut 200 000 morts et trois fois plus de blessés, durant cette deuxième guerre d’Algérie, de 1992 à 2002, appelée par le peuple, pour cette raison, ‘’décennie noire’’.

 

Ce qui me justifie à affirmer qu’il n’est rien de plus urgent pour les élites du monde arabo-musulman, que de délégitimer la violence. La violence dite ‘’révolutionnaire’’ a surtout permis aux violents, c’est-à-dire aux gens en armes, de s’emparer de tous les pouvoirs, puis de les conserver même après les indépendances acquises. Jusqu’à aujourd’hui, le monde arabo-musulman, fort de 57 nations indépendantes, est géré par des militaires, directement ou indirectement. Et ce n’est pas près de changer.

Il y a une dizaine d’années le dirigeant politique le plus intelligent que l’Algérie ait jamais produit, Mouloud Hamrouche, reconnaissait qu’il fallait remonter aux années 40 pour retrouver une culture politique dans le mouvement national. Il aurait même pu dire ‘’années 30’’, et même ajouter que c’était une des conséquences positives de la colonisation. De ce point de vue, on peut conclure que la dite ’’guerre de libération’’ déclenchée le 1er Novembre 1954 a été une catastrophe pour la société algérienne, détruisant les premiers germes d’une culture démocratique ainsi que ses élites. Dont l’Algérie ne finit pas de payer la note.

 

Pourtant le face à face judéo-arabe, au lieu d’être source de destruction pourrait être un stimulant intellectuel et économique de premier ordre. Mais à quelques conditions minima que le monde arabo-musulman à le devoir de réunir.

Il a à combatte ses pulsions judéophobes et à se débarrasser à jamais de toute la violence accumulée contre les Juifs, dans les tréfonds mêmes de son inconscient dont il faut chercher la source dans les textes sacrés, à commencer par le Coran.

Il lui faudrait avoir le courage intellectuel d’aller revisiter ses mythes fondateurs, d’écrire une histoire plus conforme à la réalité, et par exemple de cesser de rendre équivalent ‘’Naqba’’ et ‘’Shoah’’.

 

Il lui faudrait par conséquent encourager les initiatives telles celle du Pr Mohamed Dajani qui a fait visiter récemment Auschwitz à ses étudiants, et non le faire démissionner de l’Université El Qods à son retour, justement pour cette raison, comme le firent ses collègues parmi lesquels le recteur ‘’modéré’’ Sari Nousseïbeh

 

Il lui faudrait dire et expliquer le passé nazi d’une grande partie de ses dirigeants. Nasser et bien d’autres ne représentèrent-ils pas la jeunesse arabe à Berlin en 1936 ? Amin El Husseini ne fut-il pas depuis Berlin, le fondateur d’une armée musulmane nazie ? Les officiers nazis ne trouvèrent-ils pas refuge au Moyen Orient pour y former les ‘’élites’’ intellectuelles et militaires ?

Ben Bella, bien avant Ahmadinejad, n’a-t-il pas caressé le fantasme arabo-musulman de finir le travail nazi, y compris s’il le fallait par la bombe atomique ?

 

 

jerusalem croix gammees face mont des oliviers

Jérusalem en face du Mont des Oliviers

 

Il faudrait surtout et avant tout que le monde arabo-musulman reconnaisse que les Juifs ont une inscription historique dans le paysage moyen oriental bien plus ancienne que celle des ‘’Palestiniens’’ qui jusqu’en 1964 se définirent comme musulmans, arabes, syriens, jordaniens, et dont bon nombre venaient eux-mêmes de différentes contrées d’Arabie, d’Asie, et d’Afrique du Nord, et bien sûr aussi d’Egypte : les noms de famille des uns et des autres n’en trahissent-ils pas d’ailleurs l’origine ?

En somme, et je l’ai déjà écrit, pour régler la question palestinienne, il faudrait que le monde arabo-musulman règle préalablement sa propre ‘’question juive’’.

 

Et ceci, peut-être en parallèle avec la question de sa propre identité, question on ne peut plus légitime au moment où toutes les (fausses) ‘’nations’’ dessinées par les Anglais et les Français sont en train de s’effondrer pour laisser place à des ensembles dotés d’une unité ethnique et religieuse qui peut-être fourniront un jour le cadre de vraies nations qui retrouveraient leurs véritables identités qui ne sont pas ‘’arabes’’.

 

L’Europe et l’Amérique pourront-elles jouer un rôle positif pour aider les deux parties à dépasser l’ère du conflit (ce à quoi n’en finissent pas d’appeler de nombreux intellectuels israéliens, tels Barnavi ou Amos Oz) ?

Oui, si elles prennent conscience de tout ce que je viens d’énumérer.

Oui, si elles sont capables d’aider la partie la plus fragile, le monde arabo-musulman, à se reconstruire sur la base de la réalité et de la vérité.

 

Mais en sont-elles seulement capables ? J’en doute !

J’en doute lorsque je vois la grande partie de ses médias et de son intelligentsia, non pas être l’arbitre objectif, pouvant de ce fait être une autorité morale pour les deux parties, mais un agent actif de la guerre médiatique sans pitié qui a pris Israël comme unique cible planétaire ?

Et ce alors que la réalité vécue par les peuples des 57 pays du monde arabo-musulman est tout simplement atroce, pour toutes les minorités religieuses, intellectuelles ou sexuelles, ou de peau noire, mais aussi pour les majorités, notamment pour la jeunesse et les femmes…

 

Un intellectuel arabe israélien, palestinien comme il se présente, Bassem Aid, dirigeant une Association palestinienne des droits de l’homme ne décrivait-il pas dernièrement dans un Colloque sur la culture de l’honneur et de la honte qui s’est tenu à Jérusalem, la terrible réalité du crime d’honneur visant les femmes palestiniennes, y compris en Jordanie, où le fémicide est le plus élevé au monde ?

 

Pour l’instant en tous cas, nous sommes plutôt témoins de la double impuissance de ‘’l’Occident’’ (Europe + USA) tant vis-à-vis de ‘’la question palestinienne’’ que vis-à-vis du totalitarisme islamique qui domine l’ensemble du monde arabo-musulman, et qui est devenu en quelques années, la menace principale à l’intérieur même de cet ‘’Occident’’.

 

Mais cet Occident, avant d’avoir cette prétention d’aider les Juifs et les Arabes à sortir de la violence, ne devrait-il pas cesser de promouvoir sans critique, dans ses propres universités, les doctrines de Frantz Fanon, qui voyait dans la violence ‘’révolutionnaire’’ une dimension cathartique qui devait libérer de toutes leurs entraves mentales les colonisés et les femmes asservies par la tradition ?

 

Et plutôt que d’idolâtrer l’intellectuel palestinien arabe chrétien Edward Saïd qui reprit à sa manière la démarche fanonienne, en expliquant que l’asservissement des Arabes provenait de leur colonisation par l’image que l’Occident avait construit de l’Orient, ne devrait-il pas promouvoir la critique magistrale du philosophe égyptien Fouad Zakariya qui pulvérisa la théorie saïdienne dans son ouvrage ‘’Les Arabes à l’heure du choix’’ [8], en démontrant avec du simple bon sens que le jour où les Arabes seront en mesure de produire du savoir sur leur propre société, la logique de transmission de l’Occident vers l’Orient s’inversera.

 

Cet Occident ne devrait- il pas se demander lui-même s’il ne devrait pas au préalable, régler sa propre ‘’question juive’’  et sa propre ‘’question islamique’’ ?

 

Quant au peuple israélien, et ses élites juives qui tiennent le haut du pavé de certaines institutions de la presse écrite et audio-visuelle, et des universités, ne devraient-ils pas se demander comment sortir au plus vite de cette pathologie que les victimologues ont fort bien décrit depuis longtemps et qui consiste à s’accuser du mal que l’on subit de l’autre, posture qui loin de favoriser l’aplanissement du conflit donne raison à l’agresseur conforté par les propres aveux de l’agressé en mal de confession ?

 

Regarder le monde arabo-musulman tel qu’il est, judeophobe, christophobe, négrophore, corrompu, autoritaire, totalitaire, violent, sanguinaire, et non tel qu’on voudrait qu’il soit, ne l’affaiblira pas. Au contraire, cette vision réaliste sera le meilleur soutien que l’on puisse apporter à ses réformateurs et à ses démocrates.

 

En tous cas, ce qui vient de se passer en Israel est un trésor de données pour ceux qui voudront bien étudier les comportements des peuples qui s’y affrontent.

 

Une pensée plus qu’émue pour les quatre victimes innocentes : Yeyal Yfrah, Gil’Ad Shaar, Naftali Frenkel et Mohammad Abou Khdeir.
8 Juillet 2014,

Jean-Pierre Lledo

© Copyright Europe Israël – reproduction autorisée avec mention de la source et lien actif

 

 

 

[1] http://www.europe-israel.org/2014/07/gilad-eyal-et-naftali-les-adieux-par-jean-pierre-lledo/

[2] Ce qui signifie ‘’Dieu est le plus grand’’ et non ‘’Dieu est grand’’ comme habituellement traduit. Le superlatif signifiant bien qu’il s’agit du dieu des musulmans, mouslimoun, formé sur le mot ‘’islam’’.

[3] ‘’Le Juif errant’’ d’Albert Londres.

[4] Pour presenter l’encyclopédie grassement financée par l’Europe sur le même sujet, dirrigée par Meddeb et Stora, qui tous deux ne sont pas spécialistes de cette histoire.

[5] Drapeau nazi et croix gammées qu’aucun journaliste occidental n’a aperçus…

[6] Warshavski, grand défenseur israélien de la cause palestinienne, vient de reconnaitre récemment que la société arabe palestinienne vivait une grave régression, visible notamment par le fait que presque toutes les femmes portent le hijeb. Il souligne aussi que désormais les gens s’identifient d’abord comme ‘’musulmans’’, puis comme ‘’Arabes’’, enfin comme ‘’palestiniens’’.

[7]  http://www.huffingtonpost.fr/../../jean-pierre-lledo/algerie-quel-est-lauteur-du-massacre-du-5-juillet-1962-a-oran_b_4218693.html

[8] Publié au Caire ne 1989 aux éditions Al Fikr, et en France aux Editions La Découverte en 1991.

 

 

 

 

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