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“La science du climat n’est pas établie”…

C'est ce que déclare, en substance, un physicien renommé, Steve Koonin (ci-contre), dans une lettre ouverte publiée dans un journal US à grand tirage. Koonin a, entre autres, été récemment Sous-Secrétaire dkoonin'Etat à la Science et à l'Energie dans l'administration Obama. Il a dirigé une enquête approfondie sur la science du climat au nom de la Société de Physique Américaine (l'APS).

Ainsi, Steve Koonin rejoint la lignée des Lennart Bengtsson [2], Richard Tol, Daniel Botkin [3], Judith Curry [4], Garth Paltridge [5] et bien d'autres [6], que l'on ne saurait qualifier de "climato-sceptiques" et qui ont, longtemps eux-mêmes, défendu, sinon participé à la rédaction des attendus et des conclusions des rapports successifs du GIEC mais qui ont, plus ou moins récemment, exprimé leur scepticisme quant aux certitudes affirmées par cet organisme de l'ONU.

Steve. E Koonin a publié un op-ed (ou une lettre ouverte) dans le Wall Street Journal du 19 Septembre 2014. Voici le fac-simile de l'entête de cet article [7] accompagné de la traduction de cet entête..

WSJKoonin

La science du Climat n'est pas établie.
Nous sommes très loin de posséder les connaissances requises pour mener une bonne politique en matière de climat, écrit le scientifique éminent Steven E. Koonin.

Par STEVE KOONIN

En guise de préambule à la lecture de l'article de Koonin, il est sans doute utile de situer le contexte dans lequel intervient la publication de cette lettre ouverte.

1) La Société de Physique Américaine (l'American Physical Society) (APS) et Steve Koonin.

Petit aperçu historique sur les prises de positions de l'APS sur les affaires climatiques.
Note : Cette section, un peu spécialisée, explique l'historique des démarches qui ont conduit à la nomination de Steven Koonin à la présidence d'un groupe de l'APS chargé de mener une enquête sur l'état de la science climatique. Les lecteurs non intéressés pourront sauter directement à la traduction [8] de la lettre ouverte de Koonin.

-En 2007, sans aucune consultation préalable auprès de ses quelques 50.000 membres, le bureau de l'APS a publié un communiqué [9]dans lequel il exprimait son (celui du bureau) point de vue sur le "réchauffement climatique "(nommé ainsi à l'époque, à présent qualifié de "changement climatique") en déclarant notamment que la science climatique était "irréfutable".
S'ensuivit une longue liste de récriminations, de protestations voire de démissions bruyantes de la part de plusieurs piliers de la société comme j'ai eu l'occasion de vous relater au cours des dernières années. Ainsi :

-En Juillet 2008, j'avais été contraint (à regret, parce que je suis membre de l'APS depuis des décennies) d'attribuer un bonnet d'âne au bureau de l'APS [13] pour ses réactions pour le moins incohérentes suite à la déclaration de Jeffrey J. Marque qui était alors l'éditeur des Newsletters de "Physics and Society" de l'APS. Compte tenu des désaccords au sein de l'APS dont il était un témoin privilégié, J. J. Marque avait décidé d'ouvrir un déba [14]t sur le réchauffement climatique dans les colonnes de son forum. Pour ouvrir ce débat et comme il est d'usage, Jeffrey Marque avait écrit un paragraphe d'introduction dont voici une traduction :

"Il existe une proportion considérable de gens, dans la communauté scientifique, qui sont en désaccord avec les conclusions du GIEC qui affirme que le CO2 anthropique est, très probablement, le principal responsable du réchauffement climatique qui s'est produit depuis la Révolution Industrielle. Comme la justesse ou la fausseté de cette conclusion a d'immenses implications pour l'action politique et l'avenir de notre biosphère, nous avons pensé qu'il était pertinent d'ouvrir un débat dans les pages de Physics and Society " (source [14]).

Suite à des récriminations insistantes, le bureau de l'APS a décidé, en 2010, de publier un commentaire [9]explicatif de la déclaration de 2007 tout en prenant du recul, notamment par rapport à une adjectif ("incontrovertible" soit "irréfutable") qui y figurait et auquel beaucoup ont reproché son caractère peu scientifique. En effet, très peu de choses, s'il en existe, sont "irréfutables" en matière de science.

-En 2012, quelques corrections mineures [15] ont été apportées à ce commentaire. A noter que le commentaire publié en 2010 avait été précédé d'une consultation des membres de l'APS sous la forme d'un questionnaire succinct. A ma connaissance, les résultats et l'analyse des résultats de ce sondage n'ont pas été publiés mais il est clairement apparent, comme le montre la lecture des différents documents dans l'ordre chronologique que la déclaration (péremptoire) de 2007 a été sérieusement remise en cause et que l'évolution des déclarations a été clairement dans le sens de la prudence. On peut penser que le sondage mis en place par l'APS dans le courant de l'année 2010 faisait ressortir une forte demande allant dans ce sens, dont les responsables ont dû tenir compte.

-En 2013, Le POPA de l'APS [16], c'est à dire le Comité Chargé des Affaires Publiques de l'APS, a décidé de mettre sur pied un groupe d'enquête (nommé "The American Physical Society’s (APS) Climate Change Statement Review (CCSR)") sur les fondements de la science du climat, c'est à dire sur les connaissances qui relèvent essentiellement de la physique et donc du groupe I du GIEC. Le but déclaré de ce groupe d'enquête vise à réviser (si nécessaire) la très contestée prise de position officielle de l'APS, énoncée sans consultation des membres en 2007. Le groupe d'enquête – le CCSR – mandaté par l'APS comprenait les personnalités suivantes : Steven Koonin (président), Phillip Coyle, Scott Kemp, Tim Meyer, Robert Rosner et Susan Seestrom.
L'ordre de la mission pris en charge par ce groupe d'enquête est disponible en ligne [17]. Il s'agissait, principalement, d'organiser une séance de travail à laquelle étaient invités un certain nombre de climatologues reconnus afin de faire le point sur l'état des connaissances en matière de sciences fondamentales du climat, dans le but d'éclairer le POPA et le bureau de l'APS dans leur prise de position officielle sur le "changement climatique". Les participants invités se sont vus proposer un cadre de discussion sous la forme d'un questionnaire (lui aussi disponible [18]sur le site de l'APS). Ce document de 14 pages regroupe, de manière pertinente (de l'avis de Judith Curry et du mien), un grand nombre de questions qui ont été souvent évoquées sur ce site. La lecture de ce questionnaire donne un aperçu significatif sur le niveau approfondi des connaissance de ses rédacteurs physiciens.

Les bios des experts [19] qui ont participé à la séance de travail organisé par l'APS sont également disponibles sur le site de l'APS. La transcription complète de la séance de travail (AMERICAN PHYSICAL SOCIETY CLIMATE CHANGE STATEMENT REVIEW WORKSHOP) tenue sous l'égide de l'APS et sous la direction de S. Koonin est disponible [20] (pdf, 573 pages) sur le site de l'APS.

Un CV abrégé de Steven Koonin est disponible sur le site de l'American Institute of Physics [21]. La page qui le concerne [22] sur le site du Département de l'Energie US (DOE) donne plus de détails. Entre autres fonctions, Steven Koonin a été professeur de physique théorique au Caltech pendant près de 20 ans. A noter que Steven Koonin a la réputation de ne pas hésiter à dire ce qu'il pense. Il s'est notamment illustré, en 1989, lors d'une sévère dénonciation [23]de la célèbre "fusion froide" de Pons and Fleischmann.

2) La lettre ouverte de Steve Koonin dans le Wall Street Journal

Je donne ci-dessous une traduction intégrale* de l'article de Koonin publié dans le WSJ. Ceux qui voudront savoir d'où Steven Koonin tire un certain nombre de ses affirmations peuvent lire sa version initiale qui inclut les références des sources [24]que le journal n'a pas repris mais qui figurent dans son article original. A noter que nombre de ses affirmations font référence au contenu du dernier rapport (scientifique, complet) AR5 du GIEC.
Les caractères engraissés ci-dessous le sont par l'auteur de PU. Ils ne le sont pas dans l'article original du WSJ.

"L'idée selon laquelle la "Science du Climat est établie" a envahi les discussions populaires et politiques actuelles. Malheureusement, cette affirmation est trompeuse. Elle n'a servi qu'à dénaturer les débats publics et politiques au sujet des questions relatives à l'énergie, aux émissions de gaz à effet de serre et à l'environnement. Elle a aussi réduit à néant les discussions scientifiques et politiques que nous devons avoir au sujet du climat du futur.

Ma formation de base comme physicien spécialiste en modélisation numérique – avec une carrière de 40 années passées dans la recherche scientifique, dans le conseil et la gestion dans des départements gouvernementaux, dans des activités académiques ou dans le secteur privé – m'ont permis d'acquérir une perspective détaillée et une vue générale de la science climatique. Une série de discussions approfondies, durant l'année écoulée, avec des climatologues éminents (NdT: Koonin fait ici clairement allusion à l'enquête dont il a la charge pour l'American Physical Society) m'ont apporté une perception encore meilleure sur ce que nous savons et sur ce que nous ne savons pas au sujet du climat. J'en suis arrivé au point de porter une appréciation sur le redoutable défi posé lorsqu'il s'agit de répondre aux questions qui intéressent les décideurs politiques et le public.

La question scientifique cruciale pour la politique n'est pas de savoir si le climat change ou non. C'est une affaire avérée. Le climat a toujours changé et le fera toujours. Les bases de données historiques et géologiques montre l'occurrence de changements climatiques majeurs, parfois sur des durées aussi brèves que quelques décennies. Nous savons, par exemple, que, durant le XXe siècle, la température moyenne de la surface de la Terre a augmenté de 1,4 degré Fahrenheit.(NdT : environ 0,8°C)

Il ne s'agit pas non plus de répondre à la question fondamentale de savoir si les humains influent sur le climat. Ce n'est pas un canular. Il y a peu de doute dans les communautés scientifiques que l'augmentation continuelle des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, ceci étant grandement dû aux émission de dioxyde de carbone résultant de l'usage conventionnel des carburants fossiles, influe sur le climat. Il y a aussi peu de doute que le dioxyde de carbone persistera dans l'atmosphère pendant plusieurs siècles. De nos jours, l'impact de l'activité humaine semble être comparable à la variabilité intrinsèque naturelle du système climatique lui-même.

En revanche, la question cruciale et non résolue pour la politique est la suivante : "Comment le climat va-t-il évoluer du fait des influences naturelles et anthropiques au cours du prochain siècle ?". Les réponses à cette question aussi bien au niveau régional que global, tout comme à des questions aussi difficiles concernant les conséquences sur les écosystèmes et sur les activités humaines, devraient nous aider à déterminer nos choix en matière d'énergie et d'infrastructures.

Mais -là est le noeud du problème – ces questions sont les plus difficiles à résoudre. Elles représentent un défi fondamental pour ce que la science peut nous dire au sujet des climats du futur.

Même si les influences anthropiques pouvaient avoir des conséquences sérieuses pour le climat, elle sont physiquement minimes par rapport au système climatique pris dans son ensemble. Par exemple, vers le milieu du XXIe siècle, on s'attend à ce que les contributions humaines au dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère fassent directement évoluer l'effet de serre naturel de seulement 1 ou 2%. (NdT : Pour cette observation, Koonin donne les références AR5 WG1 Figure 2.11 et AR5 Figure SPM 4.). Du fait que le système climatique est, par lui-même, hautement variable, la petitesse de cette fraction revient à placer très haut la barre qu'il faut atteindre pour donner confiance dans les projections des conséquences des influences humaines.

Un second défi auquel est confrontée notre "connaissance" du climat du futur réside dans notre piètre compréhension des océans. Les océans qui évoluent pendant des décennies et des siècles renferment l'essentiel de la chaleur du climat et influent fortement sur l'atmosphère. Malheureusement, des observations complètes et précises sur les océans ne sont disponibles que depuis les dernières décennies ; Ainsi, les bases de données fiables sont encore beaucoup trop limitées pour pouvoir comprendre, de manière satisfaisante, comment les océans vont évoluer et comment cela va affecter le climat.

Un troisième défi fondamental relève des rétroactions qui sont capables d'amplifier fortement ou d'anihiler la réponse du climat aux influences humaines ou naturelles. Une rétroaction importante dont on pense qu'elle multiplierait pas deux l'effet direct du dioxyde de carbone provient de la vapeur d'eau, des nuages et de la température.
Mais les rétroactions sont incertaines. Elle dépendent de détails des processus tels que l'évaporation et le flux radiatif à travers les nuages. Elles ne peuvent pas être déterminées avec certitude à partir des lois fondamentales de la physique et de la chimie, de telle manière qu'elles doivent être testées par des observations précises et détaillées qui, dans de nombreux cas, ne sont pas encore disponibles.

Au delà des défis posés par les observations, il y a ceux qui sont posés par les modélisations informatiques complexes qui sont utilisées pour prédire le climat du futur. Ces gros programmes tentent de décrire la dynamique et les interactions des diverses composantes du système climatique – l'atmosphère, les océans, les continents, les glaces ainsi que la biosphère des être vivants. Alors que quelques éléments des modèles reposent sur des lois physiques bien testées, d'autres parties impliquent des estimations qui résultent d'informations imposées par des considérations techniques. La modélisation informatique des systèmes complexes est autant un art qu'une activité scientifique.

A titre d'exemple, les modèles du climat du globe décrivent la Terre sur une grille qui est actuellement limitée par les capacités des ordinateurs à une résolution qui n'est pas meilleure que 60 miles (Ndt : environ 100 km) (La distance du centre de New York à Washington DC est ainsi représentée par 4 cellules de grille). Mais des processus tels que la formation des nuages, les turbulences et la pluie, tous apparaissent sur des échelles beaucoup plus petites. Ainsi, ces processus déterminants n'apparaissent dans les modèles que sous la forme de paramètres ajustables qui spécifient, par exemple, comment la couverture nuageuse moyenne dépend de la température moyenne et de l'humidité sur une case de la grille. Dans un modèle donné, il y a ainsi des douzaines de telles suppositions qui doivent être ajustées ("tunées" dit-on dans le jargon des modélisateurs) afin de reproduire à la fois les observations actuelles et des données historiques mal connues.

Nous entendons souvent dire qu'il existe un "consensus scientifique" au sujet du changement climatique. Mais, pour ce qui est des modélisations informatiques, il n'existe pas de consensus utile au niveau des détails qui seraient pertinents pour nous assurer de l'influence de l'activité humaine. Depuis 1990, le Groupe Intergouvernemental pour l'Etude du Climat de l'ONU (Le GIEC) a mis en place une révision périodique de l'état de la science climatique. Chaque rapport successif émis par cette organisme, avec la contribution de milliers de scientifiques du monde entier, en est arrivé à être perçu comme représentant l'état de l'art en matière de science climatique au moment de sa parution.

Pour ce qui est du dernier rapport du GIEC (Septembre 2013), son Groupe de Travail N°1 qui se consacre aux sciences physiques, utilise une collection de quelques 55 modèles différents. Bien que la plupart de ces modèles soient ajustés pour reproduire les grandes caractéristiques du climat de la Terre, les différences marquées dans leurs détails et dans les projections, mettent en évidence toutes les limitations dont je viens de parler.

Par exemple :

Les modèles diffèrent dans leurs description de la température moyenne de la surface du globe durant le dernier siècle par un facteur supérieur à 3 pour le réchauffement total enregistré durant cette période. De tels désaccords sont aussi présents dans de nombreux autres paramètres fondamentaux du climat, y compris pour ce qui est de la pluviométrie qui est déterminante pour l'équilibre énergétique de l'atmosphère. Il en résulte que ces modèles conduisent à une très grande dispersion des descriptions du fonctionnement interne du climat. Du fait que les modèles sont si largement en désaccord, il n'y en a guère plus d'un seul qui puisse être correct.

Bien que la température moyenne de la surface de la Terre ait augmenté rapidement de 0,9 degrés Fahrenheit ( NdT : environ 0,5°C) pendant le dernier quart du XXe siècle, celle-ci a augmenté beaucoup plus lentement durant les 16 dernières années alors que la contribution de l'humanité au dioxyde de carbone de l'atmosphère a augmenté de quelques 25%. Ce fait surprenant démontre, à l'évidence, que les influences naturelles et la variabilité sont suffisamment puissantes pour contrebalancer le réchauffement actuel résultant de l'activité humaine.

De fait, il est bien connu que les modèles ont échoué à représenter ce ralentissement de la montée de la température. On a avancé plusieurs douzaines d'explications différentes pour expliquer cet échec, la variabilité océanique étant sans doute un acteur de premier plan. Mais, dans l'ensemble, cet épisode persiste à mettre en lumière les limites de nos modélisations.

Les modèles donnent une description approximative de la diminution de la surface de la banquise arctique observée durant les deux dernières décennies mais ils échouent à décrire une augmentation comparable de la banquise antarctique qui se trouve maintenant avoir atteint des records d'extension.

Les modèles prédisent que la basse atmosphère au dessus des tropiques absorbera une grande partie de la chaleur correspondant au réchauffement de l'atmosphère. Mais ce "hotspot" n'a pas été observé de manière crédible ce qui jette un doute sur notre compréhension de la rétroaction déterminante de la vapeur d'eau sur la température.

Même si l'influence humaine était beaucoup plus faible dans le passé, les modèles ne rendent pas compte du fait qu'il y a 70 ans, le taux de montée global des océans était aussi important que celui que nous observons de nos jours – environ un pied par siècle.

Une test crucial de nos connaissances en matière de rétroactions est la sensibilité climatique – c'est à dire le réchauffement induit par un doublement hypothétique de la concentration en dioxyde de carbone. La meilleure estimation actuelle de la sensibilité (entre 2,7 degré Fahrenheit et 8,1 degré Fahrenheit) (NdT : respectivement environ 1,6°C et 4,5°C) n'est ni différente ni plus assurée qu'elle ne l'était il y a trente ans. Et ceci en dépit des efforts titanesques en recherche qui ont coûté des milliards de dollars.

Ces questions, et beaucoup d'autres demeurées ouvertes, sont, en fait, mentionnées dans les rapports scientifiques complets du GIEC bien qu'une lecture attentive et informée soit quelquefois indispensable pour parvenir à les dénicher. Il ne s'agit pas là de "problèmes mineurs" qui devraient être "éclaircis" par les recherches à venir. Il s'agit bien là de déficiences qui érodent la confiance dans les projections des modèles numériques. Les efforts pour venir à bout de ces problèmes devraient figurer parmi les premières priorités de la recherche climatique.

En revanche , une lecture par les organes officiels et par le public du seul "Résumé Pour les Décideurs" (SPM) du GIEC ne permettrait pas d'avoir une bonne perception des implications de ces déficiences. Il s'agit de défis fondamentaux à l'encontre de notre compréhension des impacts humains sur le climat et ils ne devraient pas être dissimulés au nom du mantra "la science du climat est établie".

Alors que les deux décennies écoulées ont vu des progrès en science climatique, ce domaine de recherche n'est pas encore assez mûr pour répondre aux questions difficiles et importantes qui sont posées. L'état de la question, manifestement immature, met en lumière ce qui devrait être évident : la compréhension du climat, au niveau requis pour déterminer l'importance de l'influence humaine, est un problème vraiment très très difficile.

Dans l'avenir, nous pouvons et nous devrions prendre les mesures afin de rendre les projections du climat plus utiles. Un effort international pour mettre en place un système global d'observation du climat générerait une collection de données d'observation plus précise, s'enrichissant sans cesse à mesure que le temps passe. De même, des calculateurs de puissance croissante peuvent permettre de parvenir à une meilleure compréhension des incertitudes inhérentes aux modèles. On pourra utiliser des pas de grilles plus fins incluant des descriptions plus sophistiquées des processus qui y prennent corps. Il est urgent de faire des progrès dans cette science car nous pourrions être pris au dépourvu si notre compréhension ne s'améliore pas aussi rapidement que le changement climatique lui-même n'évolue.

Une transparence rigoureuse serait aussi un progrès souhaitable, tout particulièrement du fait de l'importance de la politique et des décisions qui sont en jeu. Ceci pourrait être mis en place par des analyses périodiques et indépendantes de la part d'une "équipe rouge" (NdT : La mise en place de "red teams", d'"équipes rouges" est une pratique courante aux USA. Elle permet d'informer les décideurs en leur apportant des points de vue alternatifs sur une variété de question délicates. Cette idée a déjà été suggérée à plusieurs reprises par les "climatosceptiques"… sans aucun résultat.) qui mettent à l'épreuve et discutent les projections en se focalisant sur leurs déficiences et sur leurs incertitudes ; ce serait certainement la meilleure chose à faire pour ce qui est de la méthode scientifique. Mais du fait que le climat change de manière naturelle sur des décennies, il faudra encore de nombreuses années pour obtenir les données nécessaires pour isoler, de manière crédible, et pour quantifier les effets de l'influence humaine.

Les décideurs et le public souhaiteraient sans doute vivre dans le confort que procurent les certitudes dans la science climatique. Mais je redoute que la promulgation intransigeante de l'idée que la science "est comprise" (ou est un "canular") n'obère et ne fige les efforts scientifiques retardant ainsi les progrès dans ces questions importantes. L'incertitude est un des premiers moteurs et une des premières motivations de la science et elle doit être confrontée frontalement. Elle ne doit pas être confinée à des conversations feutrées dans des apartés lors des conférences académiques.

Les choix sociétaux, dans les prochaines années, reposeront nécessairement sur des connaissances incertaines sur les climats du futur. Cette incertitude ne doit pas nécessairement être une excuse pour l'inaction. Il y a une prudence bien justifiée pour accélérer notre développement dans les technologies à basses émissions (NdT : Koonin a dirigé un groupe sur les énergies renouvelables chez BP) et pour prendre des mesures à la fois économiques et efficaces du point de vue énergétique.

Mais les stratégies vis à vis du climat, au delà des efforts "sans regrets", impliquent des coûts, des risques et des questions d'efficacité de telle manière que des facteurs non scientifiques rentrent en ligne de compte pour les décisions. Elles mettent en jeu notre degré de tolérance vis à vis des risques ainsi que les priorités que nous attribuons au développement économique, à la réduction de la pauvreté, à la qualité de l'environnement et à l'équité intergénérationnelle et géographique.

Des individus et des pays peuvent légitimement être en désaccord sur ces questions, de telle manière que la discussion ne devrait pas porter sur la "croyance" ou sur la "négation" de la science. En dépit des affirmations de la part de nombreuses sociétés scientifiques, la communauté scientifique ne peut prétendre à aucune expertise particulière en ce qui concerne les objectifs et les valeurs les plus profondes de l'humanité. Ce sont les sphères politiques et diplomatiques qui sont le mieux adaptées pour ce débat et pour la solution de ces questions. Les distorsions dans la présentation de l'état actuel de la science du climat ne sont d'aucune utilité pour la progression de ces efforts.

Toute discussion sérieuse au sujet du changement climatique doit commencer par la reconnaissance non seulement des certitudes mais aussi des incertitudes, tout particulièrement s'agissant des projections du futur. La reconnaissance de ces limites, plutôt que leur ignorance, conduira à une discussion plus sobre et, en définitive, plus productive sur le changement climatique et les politiques qui lui sont associées. Agir différemment rend un très mauvais service à la climatologie elle-même.

Le Dr. Koonin a été sous-secrétaire d'Etat pour la Science et le Département de l'Energie durant le premier mandat du Président Obama. il est actuellement directeur du "Center for Urban Science and Progress" à l'Université de New-York. Dans le passé, il a été professeur de physique théorique et recteur au Caltech ainsi que directeur scientifique de BP où son travail était consacré aux énergies renouvelables et aux énergies à bas carbone."


*Skyfall.fr en a publié une autre traduction sur son site. [25]

3) Quelques réactions

Comme on s'en doute, compte tenu du parcours remarquable de Steve Koonin, de sa notoriété et des fonctions importantes qu'il a exercées au sein de l'administration Obama, la publication de cette sorte de "coming out" dans le Wall Street Journal a généré un buzz important dans la presse anglophone. A l'heure où j'écris ces lignes, le nombre des commentaires qui font suite à l'article de Koonin sur le WSJ s'élève à 2938 (!).
Bien que
Koonin ne remette pas en cause les fondamentaux de la doxa en vigueur en se retranchant, pour ce faire, derrière le "consensus" scientifique, son article constitue une très sérieuse remise en question des affirmations des supporters du GIEC, des politiques et de la totalité des médias (francophones). Comme on s'y attend et compte tenu des enjeux, cette lettre ouverte (cet op-ed) a suscité des réponses peu amènes de la part des ténors et des promoteurs bien connus de "la science du GIEC" (tels Pierrehumbert [26] et Ben Santer-Thomas Stocker [27], entre autres).

Pourtant, Koonin se contente de pointer quelques-unes des divergences modèles/observations (visibles par tous et mentionnées maintes fois dans ce site au cours des années passées) et de conclure, comme le ferait (ou le fera), sans doute, tout physicien indépendant qui se serait donné la peine de se pencher attentivement sur cette question, que la science sur cette affaire est très loin d'être conclusive.
Ceci ne devrait pas surprendre car comme on le sait, la physique est fille des mathématiques. A ce titre, elle place très haut la barre de la rigueur en matière de sciences et s'accomode mal des hypothèses plus ou moins hasardeuses ou invérifiées.

La revue Physicstoday [28] (publiée par l'American Institute of Physics), très populaire chez les physiciens et dont on connaît la ligne éditoriale conforme à la doxa en vigueur, n'a, semble-t-il, pas pu éviter (ce qui lui est d'ailleurs reproché par quelques commentateurs) de rapporter sur cette lettre ouverte de Steven Koonin.

C'est ainsi que l'un de ses éditeurs, Steven Corneliussen, reprend des extraits des déclarations de Steven Koonin, avec un titre et un sous-titre qui ont manifestement provoqué la colère des promoteurs de "la cause". Ce à quoi Corneliussen a répondu qu'il n'a fait que son devoir de journaliste scientifique.
Voici le fac-simile de l'entête de cet article accompagné de sa traduction :

physicstoday [29]

Le physicien Steve Koonin remet en cause (ou discrédite) le consensus des climatologues.

Dans un long commentaire publié dans le Wall Street Journal, le vétéran leader en technoscience déclare que la science n'est pas avérée.
Par Steven T. Corneliussen [30], Septembre 2014."

Ainsi et compte tenu de la notoriété de Physicstoday dans le petit monde de la physique internationale, on peut penser que la grande majorité des physiciens sont désormais informés des prises de position de Steve Koonin.

4) Le rétropédalage continue : La sensibilité climatique au CO2 s'amenuise au point de jeter un grand doute sur la nécessité ou l'urgence affirmée des politiques entreprises par différents pays (comme, en premier chef, la France)..

Comme je vous l'ai dit, on constate qu'un nombre croissant de scientifiques consciencieux qui s'attachent notamment à comparer les prévisions/projections/scénarios des modèles climatiques en vigueur avec les observations factuelles et qui constatent des divergences croissantes et multiples, entre les modèles et les faits, prennent actuellement du recul par rapport à la doxa en vigueur. curry3


Peu après la publication de l'article de Koonin, Le Wall Street Journal Climate Dynamics [31] " dans lequel, avec Nicholas Lewis et à partir des observations objectives, les auteurs montrent que la sensibilité du climat aux ajouts de CO2 est bien moindre que celle qui est rapportée dans les rapports successifs du GIEC.


Voici le fac-simile de l'entête de l'article de Judith Curry dans le WSJ [32] accompagné de sa traduction.

WSJcurry

La fonte statistique du réchauffement climatique
Des évidences croissantes suggèrent que les hypothèses de base du changement climatique sont fausses : Le compte n'y est pas.

Par JUDITH CURRY
"Lors du dernier sommet des Nations Unies sur le climat, le Secrétaire Général Ban Ki-Moon, a averti qu'"En l'absence de diminutions significatives des émissions par tous les pays et dans les secteurs clefs, la fenêtre d'opportunité qui permettrait de confiner le réchauffement à moins de deux degrés, va bientôt définitivement se refermer". En réalité, cette fenêtre d'opportunité pourrait rester encore ouverte pendant un bon moment. Un nombre croissant d'éléments de preuve suggère que le climat est moins sensible aux émissions de dioxyde de carbone que ne le supposent, en général, les politiques – et que la nécessité de réduire ces émissions est moins urgente."

Le texte complet de cet article de Judith Curry [32]dans le WSJ était, pendant un temps, réservé aux abonnés de ce journal. Judith Curry en propose une version complète sur son blog Climate Etc [33].

5) Perspectives

De manière générale et à la lecture de la littérature qui paraît, à jet continu, sur ces sujets, on observe actuellement une augmentation du nombre des désaccords, voire de défections par rapport à la ligne du GIEC. Du strict point de vue scientifique, on constate également l'intervention de plus en plus fréquente, jusqu'à devenir quasi omniprésente, de la mention à la variabilité naturelle intrinsèque désormais souvent estimée être d'une amplitude (au moins) équivalente aux effets anthropiques, comme le rappelle Koonin. C'était loin d'être le cas, il y a quelques années, ou la variabilité naturelle n'était quasiment jamais mentionnée. Il est clair qu'il s'agit là d'une tendance lourde qu'il convient de suivre avec attention.
Comme je l'ai souvent noté dans les lignes de ce site, on revient ainsi, peu à peu, à ce qui aurait dû, dès le début, être la démarche scientifique normale : il faut expliquer les mécanismes de la variabilité naturelle du climat avant de tenter de discerner une éventuelle influence humaine.

La question qui reste posée est de savoir quel sera le délai nécessaire pour que cette évolution importante de la tendance de la recherche scientifique dans ce domaine parvienne aux oreilles de nos médias et de nos politiques, notamment (mais pas seulement) francophones. Comme nous avons eu l'occasion de l'apprendre, dans le passé et parfois à nos dépens, l'inertie du système politico-médiatique peut être excessivement grande.

Enfin, la lettre ouverte de Koonin pourrait indiquer un possible infléchissement des prises de position de l'APS par rapport au statu quo ante, ce qui constituerait une grande première dans le microcosme des grandes sociétés savantes.

Car il faut savoir que les universités et autres centres de recherche financés par l'argent public bénéficient grandement des subsides gouvernementaux attribués à ces recherches sur le climat, par le biais de l'"overhead" (c'est le mot qui est aussi fréquemment utilisé dans les universités françaises).
L'"overhead" (i.e. le prélèvement pour les frais généraux) qui peut se monter à quelques 60% (aux USA mais nettement moins en France) des contrats de recherche obtenus par les chercheurs, tombe dans l'escarcelle des universités. Ainsi, il est évident qu'il n'est pas dans l'intérêt bien compris des responsables des universités de s'opposer à la doxa gouvernementale en vigueur. Or, le plus souvent, ce sont ces mêmes responsables qui constituent le gros des dirigeants des sociétés savantes comme l'APS.
Ainsi peut-on comprendre qu'il faudrait vraiment beaucoup de vertu aux responsables de l'APS pour qu'ils emboîtent le pas de Steven Koonin et des autres contestataires physiciens. On ne tue pas facilement la poule aux oeufs d'or quand on gère le budget d'une université mais, en revanche, il serait suicidaire d'engager une société savante comme l'APS dans une voie sans issue contredite par les faits et les observations scientifiques.

Cruel dilemme !
A mon avis, compte tenu des incertitudes, il est assez probable que le bureau de l'APS choisira une voie nettement plus neutre que par le passé : la voie de la prudence. Et il est fort possible, également, que d'autres sociétés savantes suivront cet exemple.

Nous verrons…

Stay tuned !