29 mars 2024

La régression de la condition féminine dans les pays dits arabes

La démarche légère, la vivacité des conversations, le futur souriant, une insouciance gaie, tout indiquait que la civilité restaurée bénéficiait aux femmes et que la douceur des moeurs changeait leur vie. La Méditerranée était en passe de recouvrer l’unité que les conquérants venus des déserts d’Asie avaient brisée au VIIe s. Les apparences étaient trompeuses, mais au moins, les cœurs frissonnaient d’espoir, malgré les pulsions de haine qui, dans les profondeurs, commençaient à saper ce bonheur dont on ignorait alors à quel point il était fragile.
En 1923, l’Egyptienne Hoda Charaoui et ses amies, qui revenaient du Congrès féministe mondial tenu en Italie, ont retiré leur voile en descendant du wagon harem : le peuple qui se pressait dans la gare du Caire et ses alentours les a acclamées. Soixante-dix ans plus tard, l’écrivain féministe Naoual el Saadaoui, menacée de mort, entre autres raisons, parce qu’elle ne voulait pas porter le voile, s’est réfugiée aux Etats-Unis, parce que personne, ni les autorités, ni la police, ni ses compatriotes, ne voulait assurer sa sécurité, de peur d’avoir à affronter l’islam triomphant.
La condition des femmes dans les pays arabes subit depuis deux ou trois décennies une tragique régression.

2. L’émancipation effective des femmes

Pendant environ cinquante ans, de 1920 à la fin des années 1970, les femmes vivant dans les pays arabophones et dans des pays non arabophones, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan, se sont émancipées ou ont été émancipées. Elles ont été libérées de leur statut de servantes esclaves par des hommes éclairés, penseurs ou hommes politiques libéraux, dont Qassem Amin, Mansour Fahmy, Taha Hussein, Saad Zaghloul, etc. ou par des femmes d’exception : Hoda Charaoui, Céza Nabaroui, Doria Chafik.
Dans ses romans parus dans les années 1950-60, l’Egyptienne Out el Kouloub énonce les thèses des penseurs du début du XXe s. : l’alphabétisation des femmes, l’égalité des droits entre femmes et hommes, l’abolition de la répudiation, la libération de la prison du voile:
« J’entendais une voix jeune et ardente défendre des idées qui déjà m’étaient chères : la nécessité d’instruire la femme, de lui donner les mêmes droits qu’aux hommes, de la libérer du voile, de transformer en sa faveur les règles du mariage, de ne plus permettre qu’elle soit mariée contre son gré et répudiée sans raison » (Ramza, Gallimard, 1961).
Résidant en Egypte dans les années 1830-50, la saint-simonienne Suzanne Voilquin écrit dans ses mémoires qu’elle n’a jamais vu de femmes dans les lieux publics. En 1923, pour la première fois depuis que les tribus arabes venues du désert ont conquis le Proche Orient, les femmes ont investi l’espace public : la rue d’abord, puis l’université, les plages, la rédaction des journaux, les administration, écoles, hôpitaux. Elle ont pu se forger un destin. Ce fut, au sens vrai de ce terme, une révolution, qui s’est accomplie par la seule vertu de l’exemple et la force de la conviction.

3. Les conditions de l’émancipation


Les femmes ont été émancipées parce que les conditions étaient remplies.
La première de ces conditions a été le recul de l’islam. Tant que l’islam régissait ces pays, les femmes étaient reléguées au harem ou à la cuisine, où deux fonctions leur étaient assignées : assurer aux mâles une descendance et tenir leur maison. Pendant un siècle, surtout entre 1920 et 1970, la charia a cessé d’être la référence essentielle des textes législatifs, sauf dans les pays arabo-islamiques de la péninsule, le califat a été aboli, les lois ont perdu leur caractère islamique, les moeurs et les personnes ont échappé au contrôle des associations « pieuses », des espaces de liberté ont été ouverts.

Dans un article publié en 1947 dans la revue Les Cahiers du Sud, l’écrivain égyptien Taha Hussein, qui a soutenu le combat des femmes, rappelle que les penseurs du début du XXe s. ont rejeté « tout asservissement aux dogmes théologiques et aux règles juridiques », les dogmes et les règles étant ceux de l’islam, et que ce rejet a été le moteur de la nahdah ou « renouveau » des arts, des lettres, de la société. Inquiets de voir leurs pays engagés depuis de longs siècles dans une décadence sans fin, les Egyptiens, Libanais, Syriens, Turcs, Irakiens ont partagé la même volonté de s’instruire, d’apprendre les langues étrangères, de renouveler les arts, de s’initier aux sciences, de suivre l’exemple de l’Occident, où, en cinq siècles, le savoir, la technique, la maîtrise du réel, la réforme, devenus les valeurs suprêmes, ont engagé l’humanité dans le processus de civilisation le plus ample que les hommes aient jamais connu. Les penseurs arabes ont compris que des femmes analphabètes ne pouvaient ni initier ni a fortiori former les enfants dont elles avaient la charge à la connaissance. Pour Taha Hussein, le « réveil de la conscience arabe » (ou nahdah) sera définitivement accompli quand les Arabes connaîtront la liberté de pensée (condition qui n’est pas remplie) et quand la condition des femmes sera changée.

Les femmes ont été émancipées parce que les pays arabes se sont ouverts sur le monde. Ce fut le cas en Egypte. En effet, pendant plus d’un siècle, de 1830 à 1960, à la tradition islamique, les autorités ont préféré le développement économique, la paix, la connaissance, les sciences. Elles ont aboli l’infâme et raciste statut de dhimmi ou « toléré » qui fait des coptes, des chrétiens, des juifs, des sous-hommes ou des sujets de second ordre sans droits, ni sécurité, ni futur. Des malheureux ayant échappé aux massacres, grecs catholiques, Arméniens, juifs, russes blancs, y ont trouvé un asile et ont fait profiter l’Egypte de leurs talents. En bref, l’étau de l’islam sur la société a été desserré.

La troisième condition est la démocratie réelle. A partir de 1920, l’Egypte s’est dotée d’institutions démocratiques : parlement, élections libres, presse libre, opinion publique, égalité des citoyens devant la loi. C’est dans ce cadre que les femmes se sont émancipées. Sans la démocratie, l’émancipation n’aurait pas eu lieu.
Out el Kouloub raconte comment, au début du XXe s., son héroïne Ramza, pour faire enregistrer le mariage qu’elle avait contracté contre la volonté de son père, compose elle-même la plaidoirie que son avocat prononce. Elle dénonce « la prétention abusive d’un père despote à disposer de sa fille comme d’une esclave », exalte les aspirations « de la femme égyptienne, décidée à être traitée en être humain » et celles de « la jeunesse égyptienne, éprise de libertés démocratiques, conditions des libertés nationales ».
« En revendiquant la liberté de me marier selon mon choix, il semblait que je fusse devenue la championne de l’indépendance égyptienne. Les journaux paraissaient avec des manchettes sensationnelles : « De ventres d’esclaves ne peuvent naître que des esclaves », ou bien : « Libérons nos mères, nos épouses, nos filles, pour que naissent des générations d’hommes libres ! » (Ramza, 1961)

4. La régression tragique


Dans l’imaginaire égyptien il y a un siècle, « de ventres d’esclaves », il ne pouvait « naître que des esclaves ». A cela, aujourd’hui, les militants de l’islam opposent que les femmes sont « des ventres à fabriquer » des musulmans. Il leur incombe de donner naissance, non pas à des hommes ou des femmes, encore moins à des femmes libres, mais à des musulmans et uniquement à des musulmans. Il se ressasse en Occident la thèse suivante : ce sont les femmes qui, en s’émancipant, desserreront l’étau qui étouffe les pays arabes. En 1980, Mme Minces, journaliste maoïste et bien pensante, après avoir enquêté au sud de la Méditerranée, écrit dans La Femme dans le monde arabe (Mazarine, 1980) : « A l’inverse de l’Algérie, il y a en Egypte place pour un mouvement féministe ».

En 1980, elle jugeait que les Algériennes étaient condamnées au silence éternel, ce en quoi elle ne se trompait guère, mais qu’en Egypte pouvait émerger une force qui donnerait enfin aux femmes une place dans l’espace public. En Egypte, entre 1920 et 1960, les femmes ont milité dans deux mouvements en partie concurrents : UFE, acronyme pour Union des femmes d’Egypte ou Union féministe égyptienne, et Bint el Nil (« la fille du Nil »). Or, l’émancipation dont elles ont été les artisans, grâce à deux femmes d’exception, Hoda Charaoui et Doria Chafik, a été un feu de paille. La civilité a duré trois décennies. En 1980, la tragédie était nouée. Le slogan suivant lequel les femmes, en s’émancipant, desserreront l’étau, tient de l’invocation à la Coué. L’Egypte en fournit la preuve. L’étau, un moment ouvert, s’est brutalement refermé. Une analogie fera comprendre ce qui s’est passé. On a cru que les peuples pétrifiés dans les glaces de l’hiver communiste respireraient le doux air du printemps. Les chars russes en Hongrie et en Tchécoslovaquie ont dissous l’illusion.

Le communisme interdit au printemps de fleurir. Les citoyens de l’Est ont dû attendre la chute du Mur de Berlin pour respirer enfin les effluves de la liberté. Il en va de même pour ce qui est de la condition des femmes dans les pays arabes. Ce n’est pas le serrage plus ou moins dur de l’étau qui interdit aux femmes d’être des êtres humains, c’est l’étau. Or, dans les pays arabes, l’étau est tabou. Il faut être aveugle pour ne pas voir que l’islam a repris le contrôle des pays du sud de la Méditerranée. L’étau s’est refermé sur les sociétés, les enfants, les moeurs et les femmes, ne laissant aux forces laïques (id est les seuls militaires de haut rang ou les chefs de la police) que des Etats croupions ou en faillite ou discrédités ou réduits aux seuls organes de répression, lesquels tomberont un jour comme des fruits blets : il suffira aux imams de se baisser pour s’en emparer, comme l’ont fait les mollahs en Iran.
L’émancipation a beau avoir été inouïe, massive et historique, non seulement elle s’est arrêtée, mais elle a été effacée en moins de deux décennies. Si elle a échoué, c’est qu’elle ouvrait une brèche que l’islam, les forces politiques qui s’en réclament, les mâles qui fondent leur pouvoir sur l’asservissement des femmes se sont empressés de fermer.

5. L’abolition de la démocratie


Emanciper, c’est rendre aux esclaves une liberté dont ils sont privés. Ce n’est possible que là où il y a des hommes libres. Or, le drame des pays arabes est de végéter sous des régimes tyranniques. C’est un régime de ce type et d’inspiration socialiste qui, en Egypte, a liquidé les mouvements féministes. Après le coup d’état de 1952, l’UFE (Union des femmes d’Egypte), fondée en 1923, a été vidée de toute raison d’être pour être transformée en association de dames charitables. En 1957, Nasser a dissous Bint el Nil, fondé par la poétesse philosophe Doria Chafik, qui avait osé protester publiquement contre la dictature. Le crime des Egyptiennes était de soutenir le régime démocratique fragile, qui, pendant un peu plus de trente ans, de 1920 à 1952, leur a accordé les droits. Cosmopolites, francophiles, la xénophobie leur faisait horreur. Hostiles au nationalisme pan arabe, elles étaient démocrates. Voici comment le « célèbre » orientaliste français, Berque, du Collège de France, présente, dans L’Egypte, impérialisme et révolution (1967, Gallimard), le régime démocratique qui, dans les années 1920, a accordé aux femmes le droit à l’émancipation. « L’un des pièges de l’histoire politique en Egypte, de ce temps-là (années 1920), c’est l’adoption zélée des formes de la démocratie occidentale ». Berque répète l’antienne communiste.

La démocratie formelle est exogène. Diffusée par des zélateurs de l’Occident, elle contamine l’identité supposée de l’Egypte, nécessairement arabe et islamique. Cette attaque contre la démocratie est écrite par un « savant » qui jouit des bienfaits qu’elle lui prodigue, au moment où Nasser institue dans une Egypte sous les fers une censure féroce, la corruption, le parti unique, des camps de concentration, la surveillance des citoyens. Cela ne dissuade pas Berque de remercier avec un zèle suspect « les autorités qui ont favorisé (ses) recherches ». Suivent trois noms de ministres, que je m’interdis, par décence, de citer ici.

Les Orientalistes, dont Berque, soutiennent les tyrans par connivence tiers-mondiste. Les féministes en Egypte sont issues de l’aristocratie d’origine turque ou des classes aisées de la bourgeoisie urbaine. Aux yeux des tiers-mondistes, elles sont suspectées de ne pas haïr les étrangers. A la différence du Français Berque, l’Egyptien Taha Hussein, le « père des lettres arabes », a soutenu les femmes qui s’émancipaient. Pour lui, l’Egypte est méditerranéenne. Par son passé et sa culture, elle est plus proche des civilisations d’Occident, dont celle de la Grèce, que des déserts d’Asie d’où viennent les conquérants arabes.

6. Le retour à l’islam


Dans ces prisons que sont devenus les pays arabes à l’instar de l’Egypte à partir de 1952, les organisations islamiques, dont les Frères musulmans (mouvement fondé en 1928 avec l’objectif affiché de réislamiser l’Egypte, d’en chasser les juifs et des étrangers, et de mettre fin à l’émancipation des femmes), financées par les Saoudiens, n’ont eu aucun mal à resserrer l’étau. Le retour à l’islam a signifié pour les femmes le retour à la maison. Voilées, reléguées à la cuisine (el nissaa fil matbakh), exclues de l’espace public, désormais elles sont des mineures éternelles placées sous la tutelle des mâles. Le rôle qui leur est assigné est d’être des mères ou, comme le disent les fanatiques de l’islam, des ventres islamiques. Bref, l’ordre islamique, que la révolution féministe a ébranlé dans les années 1920-1960, a été restauré. L’enfermement du berceau au tombeau, qui horrifiait Qassem Amin en 1895 et en 1913 Mansour Fahmy, est à nouveau la condition des femmes.

7. Les bouleversements géopolitiques

L’Egypte, le Liban, la Syrie, l’Irak, l ‘Afrique du Nord, sont habités par des populations qui parlent un arabe impur et qui, d’un point de vue ethnique, sont berbères, chaldéennes, assyriennes, nilotiques, etc. De cet ensemble, il faut exclure l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, les seuls pays qui méritent de porter le qualificatif arabes et musulmans ou arabo-islamiques, dans la mesure où aucune autre religion que l’islam n’y est tolérée et où les naturels sont arabes d’un point de vue ethnique. Dans la péninsule arabique, la condition des femmes n’a guère changé. Seules les femmes des pays arabophones ont été émancipées. En Arabie saoudite, au cours du XXe s., l’ordre islamique n’a pas été ébranlé. Pour ce qui est des femmes, les règles fixées par l’islam au VIIe s. et que Mansour Fahmy critique dans La condition de la femme dans l’islam (1913) restent en vigueur. Après l’expérience démocratique des années 1920-50, l’Egypte, la Syrie, l’Algérie, l’Irak, etc. ont basculé dans la tyrannie et, par haine de l’Occident, ils se sont placés sous la tutelle communiste, devenant des protectorats de l’URSS. Ces choix aberrants ont entraîné un désastre gigantesque sur tous les plans, économique, social, culturel, moral.

Une zone en friches, purifiée de tout « étranger », d’Alger à Bagdad, voilà ce qu’étaient ces pays dans les années 1980, après quarante ans de tyrannie imposée par le « socialisme arabe ». Dans cet ensemble, les seuls pays qui se soient développés et aient offert des conditions de vie dignes à leurs sujets ont été l’Arabie saoudite, le Koweit, les Emirats arabes : bref les pays arabes et islamiques, les seuls qui soient habités par des arabes et où la seule religion possible est l’islam. En Egypte ou en Algérie, l’islam a été marginalisé, en Arabie saoudite, il est resté la société. Au début des années 1960, un conflit armé violent a opposé l’Egypte à l’Arabie au Yémen, les Egyptiens soutenant les progressistes du Sud, les Saoudiens les tribus archaïques du Nord. Ce conflit portait sur le modèle dont les deux pays étaient porteurs. Il était politique et symbolique. C’est l’Arabie saoudite qui a triomphé. Avec l’argent du pétrole et le soutien des Etats-Unis, elle a fait main basse sur toutes les associations islamiques, dont la bienfaisance cache mal un projet conquérant, agressif et guerrier.

8. La régression en France


Ce qu’il y a de tragique, c’est que la régression touche depuis vingt ans la France et l’Europe, où les jeunes filles et les femmes originaires des pays arabes se voient assignées à résidence. La soumission est leur destin. Il ne faut pas s’en étonner. La liquidation du féminisme égyptien et le retour à l’islam ont trouvé des partisans en France. Oui, vous avez bien lu : en France, « patrie des droits de l’homme », des savants influents, dont Berque, qui ont élaboré, au début des années 1960, les grandes lignes de « la politique arabe de la France », ont contribué par la parole et l’écrit au grand désastre. En 1940 ils collaboraient. Pourquoi ne l’auraient-ils pas fait en 1950 et dans les décennies qui ont suivi ? Les partisans du désastre, qui se nomment Berque, Gardet, Burgat, Touraine, etc., sont orientalistes ou sociologues. S’ils sont ethnologues, ils ne trouvent rien à redire à l’excision, puisque les victimes ne sont ni leurs filles ni leur femme.

Ou encore, ces bien pensants sont journalistes au Monde ou à Libération. Berque a écrit des myriades de livres sur l’islam. Proche de Chevénement, ami de Daniel du Nouvel Observateur, supporter des tyrans, pendant trente ans, il a célébré les « langages des Arabes » ou la grandeur de l’islam, pour mieux rabaisser les femmes. Dans L’Egypte, impérialisme et révolution (700 pages), salué comme une «somme », Berque étudie l’histoire de l’Egypte de 1882 à 1952. Comme il a dépouillé les petites annonces et les avis nécrologiques, il n’ignore pas qu’a existé, dans la première moitié du XXe s., un féminisme libre. Pourtant, son objectif est d’en limiter la portée, de cacher ce qu’il a apporté de neuf, d’en dénaturer les idées et les thèses, en bref, de le rabaisser. Ainsi Berque mentionne le titre de deux livres d’Amin, le théoricien de l’émancipation de la femme : Les Egyptiens (1907) et El marah el gadidah (1905) mais il ne signale nulle part l’existence de Tahrir el marah (1895, en français « la libération de la femme »), ce grand livre qui a été lu, à juste titre, par les femmes comme un manifeste de combat. De Mansour Fahmy, il dit qu’il est un « fin lettré », mais il ne mentionne pas la thèse qu’il a soutenue à la Sorbonne en 1913 et qui a été publiée l’année suivante, La condition de la femme dans l’islam. Il est vrai que Mansour Fahmy ose rendre responsable l’islam de la dégradation, à partir du VIIe s., de la condition des femmes en Arabie et dans les pays conquis.

Aux penseurs féministes, Berque préfère les adversaires de l’émancipation des femmes, dont Talaat Harb, le banquier qui refusait que ses femmes sortissent du harem où elles vivaient recluses. Les actions de l’Union des femmes d’Egypte en faveur de la cause des femmes, de la défense de la Palestine, de la création de la Ligue des Femmes arabes sont dissimulées, ainsi que la belle revue L’Egyptienne. Voici comment Berque présente Hoda Charaoui, la fondatrice du féminisme arabe, faisant précéder son nom du condescendant dame :

« Elle naquit en 1879, fille de Sultan Pacha, ce président d’assemblée qui sut se dissocier à temps, et non sans bénéfice, du mouvement d’Orabi. Les enfants semblent avoir eu à coeur de purifier cette fortune d’origine suspecte. L’un d’eux se fit le bailleur de fonds de Talaat Harb. La fille devint l’héroïne de la revendication nationale et de l’émancipation féminine ».
Si l’on en croit ce savant, « Dame Charaoui » aurait combattu, non pour donner aux femmes des droits qui leur étaient niés et une liberté qui leur était refusée, mais pour faire oublier l’origine douteuse de la fortune de son père et pour racheter sa prétendue trahison en faveur des Anglais, comme si elle était une bonne catholique faisant repentance. En guise d’histoire, Berque écrit un mélodrame injurieux pour les femmes.

Enfin, les Orientalistes, Berque en particulier, conçoivent la culture, non pas comme l’expérience qui nous arrache à nous-mêmes et à notre milieu, mais comme celle qui nous y lie et nous y enferme. Il n’existe que des membres d’une communauté, ethnique et confessionnelle, arabe et islamique en l’occurrence, qui préexiste et qui s’impose à chacun, qu’il soit homme ou femme, pris dans les rets de la culture, prisonnier des langages qu’elle lui a appris, condamné à les répéter jusqu’à la mort. Dans ce cadre, l’émancipation des femmes d’origine arabe, même en France, devient impossible. Etre soi-même, c’est trahir une identité purement fantasmée et imposée par des tyrans.

A l’opposé des Orientalistes partisans du voile en Europe, les penseurs égyptiens Amin et Fahmy défendaient des principes universels : Amin, une foi moderne et réformée ; Fahmy, l’esprit d’examen et la raison critique. Taha Hussein et Out-el-Kouloub pensent les femmes comme des individus capables de décider par elles-mêmes de leur destin. Les féministes revendiquaient leurs droits au nom de principes universels : Berque, les Orientalistes, les partisans du voile leur dénient ces droits au nom de l’identité islamique. Dans le camp des femmes, on trouve, à côté des penseurs libéraux, les opprimés, les partisans de l’Etat de droit et de démocratie ouverte. En face, les nationalistes arabes côtoient les marxistes, les tiers-mondistes, les soi-disant anti-impérialistes, les islamistes, les fanatiques misogynes, les partisans d’un Etat totalitaire et xénophobe, les défenseurs d’une identité islamique imposée à tous. A la liberté, les Orientalistes, les sociologues, Berque ont préféré l’identité islamique qui nourrit la haine des femmes.

L’émancipation des femmes a été une réalité pendant un demi siècle, parce que l’islam discrédité jouait un rôle marginal dans les pays arabes. Comme dans les vases communicants, le retour à l’islam et la volonté de l’islam de régir les moeurs et le monde éliminent les femmes de l’espace public, jusqu’en France et en Europe et ce, avec la bénédiction des biens pensants. Leur sort est scellé pour de longs siècles ; c’est la relégation dans le long tunnel de l’asservissement.



Article sélectionné par Azemz Hocine et Azzedine Ait Khelifa

3 réflexions sur « La régression de la condition féminine dans les pays dits arabes »

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