19 mars 2024

Ilan Halimi: une demande d’appel injustement attaquée

Il y a incompréhension totale de beaucoup de faiseurs d’opinion sur ce qu’a été l’effroyable sort d’Ilan Halimi qui fut kidnappé, séquestré, torturé trois interminables semaines et assassiné parce que juif. Il y a incompréhension totale de l’émotion déclenchée par des carences issues d’un procès dissimulé par un huis clos. Procès de ceux qui ont participé, d’une manière ou d’une autre mais qui reste indissociable, à son calvaire. Et ces faiseurs d’opinion voudraient aujourd’hui que soit jetée l’opprobre sur «certaines associations» qui auraient exercé avec succès des « pressions » sur « nos gouvernants » …

Pressions ?

Mais de quelles pressions parle-t-on tant au lendemain de la décision d’appel contre les peines prononcées à l’encontre de 14 des accusés pour le meurtre d’Ilan Halimi ? Décision prise à la demande du ministre de la Justice qui en avait saisi le Parquet.
Il y avait des craintes, certes. Craintes de voir que les peines décidées par le jury de la Cour d’Assises de Paris ne soient pas à la hauteur de la sauvagerie et des circonstances du crime. Craintes d’autant plus grandes que « pour certains » des accusés l’Avocat général, pour reprendre les mots d’Elsa Vigoureux du Nouvel Observateur, a « requis la bienveillance de la cour… »

http://elsa-vigoureux.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/07/01/proces-fofana-le-requisitoire.html

Bienveillance ? En effet, toujours selon la journaliste, si l’Avocat général, Philippe Bilger, « s’attarde sur certains accusés, » en revanche à propos du sort d’Ilan Halimi son commentaire est le suivant : « Un enlèvement, une séquestration, des tortures. L’avocat général passe vite, mais gravement, sur ces séquences. » Vite. Il n’est pas du tout question d’avoir souhaité un quelconque voyeurisme, impossible d’ailleurs dans le cadre d’un huit clos, mais il semble qu’il y ait eu ici une certaine volonté de ne pas voir pleinement l’horreur du crime commis…
Et, oui, beaucoup se sont inquiétés de voir que les réquisitions, une fois celles-ci connues, n’étaient pas, pensaient-ils, à la hauteur du crime. Des peines jugées trop clémentes et avec sursis de surcroît qui se seraient traduites par une remise en liberté imminente pour certains accusés, des acquittements, mêmes. Sans oublier les comparses qui courent toujours, leurs complices ayant choisi de taire leur nom. Des craintes exprimées ici et là. Mais des pressions ?
C’est d’ailleurs « un mot que récuse » absolument Richard Prasquier, Président du CRIF. « Nous avons, » dit-il, « exprimé une émotion. » Et c’est, en effet, avant tout, une émotion qu’ont exprimé tous ceux qui ont  pris part à un hommage à Ilan Halimi le 13 juillet au soir aux abords du ministère de la Justice à Paris, la place Vendôme étant bouclée. Très nombreux surtout pour ce long weekend en début de vacances estivales. Des portraits d’Ilan Halimi rappelaient que c’est d’un être humain torturé et assassiné qu’il s’agissait. Dans de rares slogans dans une manifestation surtout silencieuse des jeunes gens réclamaient « Justice pour Ilan. » Des roses et œillets blancs avaient été distribués, des drapeaux français aussi. Et, c’est brièvement et dans le calme que Gil Taïeb, vice-président du FSJU, expliquait qu’il ne s’était pas « agi d’un procès comme les autres, qu’il y avait besoin d’exemplarité. » Puis, une Marseillaise a été entonnée par tous.

Huit clos

Or, d’exemplarité pourtant si nécessaire ici, il n’y a pas eu. Pour cause de huit clos. Un huit clos auquel les accusés mineurs au moment des faits avaient droit en l’état actuel de la législation, certes, alors qu’ils sont majeurs aujourd’hui. Mais un huit clos bien confortable pour eux, sans doute, auquel ils n’ont pas renoncé comme ils auraient pu le faire. Et huit clos qui a eu pour effet, dans sa perception générale, comme l’a résumé Michel Zerbib, qui représentait le BNVCA, que « le procès n’ait pas eu lieu. » En effet, de ce procès en trompe-l’oeil « on en a entendu tout et son contraire, » souligne Richard Prasquier. Qui a notamment rappelé aux représentants du ministre qui ont reçu une délégation de responsables d’associations au ministère « qu’il est nécessaire de bien exposer les circonstances dans lesquelles Ilan a été assassiné, exposer le fonctionnement du groupe et le rôle joué par chacun dans cet assassinat. »
Le FSJU, représenté par Gil Taïeb et Joe Zrihen, autre vice-président qui d’un point de veu républicain, se disait étonné de certaines peines, distribuait ce soir-là, pour sa part, un fascicule reprenant « des informations qui ont filtré en dépit du huit clos » pour tenter de pallier le vide créé des carences engendrées. 
Patrick Lozès, Président du CRAN, avait tenu à participer à la manifestation hommage car « c’est l’ensemble de la population française qui est concernée. » Il déplorait, lui aussi, « un très grand décalage entre l’émotion considérable et un procès à huit clos qui est passé à côté de sa dimension pédagogique, »  ce meurtre ayant montré « jusqu’où peuvent nous mener nos préjugés car Ilan a été tué parce qu’il était juif. Ce que l’on n’a pas assez entendu. »

Antisémitisme

En effet, ce rôle joué par l’antisémitisme dans ce meurtre effroyable n’a pas non plus été mis en évidence dans le silence de ce huit clos. Richard Prasquier réclamait d’ailleurs aussi aux représentants du ministre de la Justice que cela soit fait. Antisémitsme qui est, on le sait, une circonstance aggravante.
Or, un antisémitisme d’un genre nouveau a réapparu en France à la fin de l’année 2000. La CNCDH constatait, en effet, «  un spectaculaire quintuplement des violences antisémites (116 en 2000, 24 en 1991), après le 28 septembre 2000, date du déclenchement des affrontements israélo-palestiniens. »
CNCDH qui concédait en 2001 « Pour certains, on assisterait aujourd’hui à une nouvelle mutation, avec ce que Pierre-André Taguieff appelle la « nouvelle judéophobie. » Et poursuivait ainsi : « Cet antisémitisme répondrait à de nouvelles caractéristiques telles que la corrélation avec la crise israëlo-palestienne d’une part, et avec la lutte contre le terrorisme islamique d’autre part ; la concentration en des zones géographiques déterminées, généralement là où cohabitent des communautés juives dynamiques et des populations musulmanes, souvent dans des quartiers sensibles ; la gravité des violences contre des synagogues, des écoles, des attributs visibles de la religion et l’ampleur des menaces et frictions de proximité. »
Les travaux du BNVCA ont démontré que le conditionnel utilisé ici n’avait guère lieu d’être. Les victimes sont d’ailleurs juives et les bâtiments visés sont juifs.
En 2004 selon la CNCDH toujours : « L’évolution mensuelle de l’antisémitisme ne marque pas de pics pouvant correspondre à des événements forts au Proche-Orient, comme ce fut le cas dans les années précédentes. Ce constat semble indiquer seulement que les auteurs d’exactions antisémites semblent moins réactifs à l’actualité. Mais l’inquiétude n’est pas moins grande puisqu’on en déduirait que l’antisémitisme s’installe, à haut niveau, de manière continue et durable. » Une 
Antisémitsime qui perdure hélas, 9 ans plus tard et qui était bien réel dans le milieu où fonctionnait et sévissait, toujours selon l’Avocat général, dans des propos rapportés par Elsa Vigoureux, cette « bande, un groupe de fraternités qui a œuvré pour le pire. Et qui a trouvé le chef qu’elle méritait. » Bande qui, avec Ilan Halimi n’en était pas à sa première tentative de kidnapping de Juif et avait élaboré ses tentatives dans ce climat d’antisémitisme évident. D’après ce qui a filtré du procès le memeur de la bande, condamné à la peine maximale, a reconnu non seulement l’assassinat d’Ilan Halimi mais aussi ses motivations antisémites. L’Avocat général aurait dit de lui, « il est antisémitisme. » Mais, en revanche, il aurait en quelque sort exonéré d’antisémitisme les autres membres du groupe puisque Philippe Bilger aurait parlé d’une « bande soumise attirée par le goût du lucre plus que par l’antisémitisme. » Comment croire qu’il n’y ait pas eu chez certains protagonistes pour ne pas dire la plupart cette composante antisémite quand on connaît le milieu où ils sévissaient ? Ce qui heurte entre autres, Michel Zerbib qui s’indigne du fait que pour l’Avocat général « il y aurait eu un ansiémtisme banal et donc quasi acceptable et un autre antisémitsme, brutal, celui-là… »
Car, en 2006, la CNCDH constatait une « hausse de 6 % des violences et menaces antisémites. Mais plus que cette hausse de l’antisémitisme en général, c’est le caractère plus violent de l’expression de l’antisémitisme qui suscite les inquiétudes de la CNCDH. En effet, plus que les menaces, ce sont les actions violentes qui ont augmenté, elles étaient au nombre de 134 en 2006 contre 99 en 2005 soit une augmentation de 35 %. On relève aussi que parmi les actes de violence, le nombre d’agressions contre les personnes a pratiquement doublé, passant de 53 en 2005 à 94 en 2006. On note également dans la catégorie des menaces, un doublement des menaces envers les personnes physiques (135 menaces contre les personnes sur un total de 407 menaces en 2006, contre 69 sur un total de 409 en 2005). »
Agresser des Juifs était donc devenu de plus en plus courant en France….Juifs qui ne représentent que 1% de la population française, faut-il le rappeler….

République et valeurs républicaines

Procès invisible, incompréhensible, donc. Et les valeurs de la République n’ont pu être rappelées comme cela aurait dû l’être. A cela s’ajoute pour Joël Mergui, Président du Consistoire, un autre fait, passé sous silence, et qui mérite, lui aussi d’être souligné : « puisque l’on ignore le nom de deux des membres du groupe, cela veut dire que pour ceux qui les connaissent la loi de la cité fait plus peur que la loi française… »

Réactions aux procédures d’appel : la charge

Écouter Europe Matin en ce 14 juillet, au lendemain de la manifestation hommage à Ilan Halimi, était édifiant à cet égard. L’heure était à la charge contre une décision ministérielle prise « pour satisfaire à des pressions… » La presse, nous disait-on, était « critique » de la décision prise par le ministre de la Justice qui avait demandé au Parquet de faire appel des verdicts prononcés contre  certains membres du « gang des barbares. » Dans les cas de verdicts inférieurs aux réquisitoires de l’Avocat général . On y parlait de « justice malléable. » On évoquait (étonnamment ) les déclarations de Théo Klein, qui fut président du CRIF…. il y a 20 ans ! On parlait de « prétendue déferlante antisémite » en France…Voir, à ce sujet, les rapports de la CNDH plus haut.
Et, toujours dans Europe Matin on apprenait que cette décision ministérielle avait provoqué parmi « les foudres de l’opposition » celles du député Vert Noël Mamère qui dénonce « un précédent fâcheux…la tyrannie de l’émotion…. » accusant le ministre de la Justice d’avoir « cédé aux pressions exercées par certaines associations.., » qui aurait donc « agi en politicienne et pas en garant de la justice… » On citait un socialiste qui « ne conteste pas le fond, » dit-on en glissant sur ce qui est pourtant l’essentiel, « mais la précipitation. »
Et, pour couronner cette charge, il y a eu l’interview de l’avocate de la personne qui a attiré Ilan Halimi dans cet abominable piège, n’a pas renoncé au huit clos, et va faire l’objet d’un nouveau procès. Interview menée par Aymeric Caron avec un mordant rarement constaté de nos jours et qu’on aimerait entendre plus souvent. Cette avocate, choisit ses mots avec une grande prudence, dit sans dire, ne suit pas textuellement le journaliste lorsqu’il lui demande / suggère que la décision mise en cause a été prise à l’Elysée, mais, citant Montaigne, fait mine de s’indigner du danger qui menacerait notre société,  « la séparation des pouvoirs étant l’un des piliers de notre démocratie… » Elle accuse « certains conseils » de s’être « répandus dans les couloirs du Palais de Justice » rapportant que « bien avant les verdicts ils disant qu’ils avaient moyen d’obtenir un appel… » devant l’insistance du journaliste elle finit pourtant par lâcher que « en quelque sorte l’indépendance de la justice est remise en cause, si c’est ce que vous voulez me faire dire… » Et l’avocate, qui vient pourtant de rendre un hommage aux jurés « formidables » qui ont condamné sa « cliente » à 9 ans de prison, estime que celle-ci n’aurait dû être condamnée qu’à 7 ans. Sept ans pour avoir livré un jeune homme sans histoires entre les mains d’une telle bande et l’avoir mené ainsi – sans le savoir, nous dit-on, mais cela aurait-il été démontré lors du procès ? – à un calvaire de 3 semaines…C’est oublier que sans elle Ilan Halimi n’aurait jamais été ainsi massacré. C’est oublier aussi que si un seul de ces coupables ou accusés avait parlé, n’avait pas gardé le silence pendant 24 jours, Ilan Halimi ne serait pas mort. Mais, après tout, les avocats ont des clients – terme qu’utilisait d’ailleurs à juste titre cette avocate – et sont donc payés pour ça.

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Hélène Keller-Lind

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