28 mars 2024
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La « palestinianisation » de l’Europe

FP: Votre livre sur Eurabia est sorti en français en 2006, et paraît maintenant en italien. Des versions en néerlandais et en hébreux suivront cet automne. Y a-t-il des différences avec la version américaine?

Bat Ye’or: Oui, il y a des différences. J’ai écrit l’édition américaine en 2004, espérant alerter le public américain des changements qui affectent profondément l’Europe sur les plans démographiques, religieux, culturels et démocratiques. Ces transformations modifieront les relations de l’Europe avec l’Amérique et agrandirons le fossé qui les sépare. Cette situation n’est pas particulièrement liée au président Bush, bien que sa forte foi chrétienne soit une raison majeure de son impopularité en Europe. Le problème central est lié à la satellisation de l’Europe par le monde arabe et musulman – le résultat d’une politique poursuivie depuis plus de trente ans par choix, par crainte et par cupidité. Le poids démographique arabe et musulman en Europe s’associe au flux des capitaux arabes, à la globalisation des marchés, et aux énormes investissements financiers européens dans les pays arabes.
Tout ceci crée d’importants liens euro-arabes ainsi que des pressions, qui déterminent une politique basée sur l’opportunisme économique.

L’Union Européenne gère plusieurs programmes pour les étudiants arabes. Elle finance d’innombrables ONGs pro-arabes, et a établi de puissants réseaux euro-arabes pour coordonner une position commune contre les U.S.A. et Israël dans le monde académique, chez les intellectuels, les journalistes, et les syndicalistes. Les états européens financent et charpentent la guerre idéologique palestinienne contre Israël. Nous avons récemment vu le Syndicat National des Journalistes de Grande-Bretagne voter en faveur du boycott des produits israéliens. L’an dernier, c’était l’Association Nationale des Professeurs de l’Enseignement Supérieur (NATFHE en anglais) qui votait l’adoption d’un « boycott silencieux » des universités israéliennes et de leurs professeurs et étudiants. Cette politique est mise en place par les réseaux euro-arabes qui unissent les associations européennes et arabes.

Il y a une collaboration pesante, presque de fer, à tous les niveaux institutionnels entre l’Europe et les pays de la Ligue Arabe. L’anti-américanisme européen et l’anti-sionisme s’élaborent au sein de cet organe de liaison arabo-musulman. A moins que l’Amérique n’accepte d’entrer dans un processus destructif de reddition et de soutien moral à l’idéologie jihadiste, similaire à celui qui corrompt l’Europe, l’hostilité européenne ne s’en ira pas ; au contraire, elle s’accroîtra. L’Europe est maintenant enchaînée au monde arabo-musulman et ne peut se désengager ou changer de cap. Blair a essayé de le faire et a échoué lamentablement. En fait, après dix ans à la tête de son gouvernement, il porte une responsabilité majeure dans cette triste situation.

FP: Qu’est-ce qui a changé depuis la publication de Eurabia: l’axe euro-arabe en Amérique (janvier 2005)?

Bat Ye’or: La situation s’est aggravée sur tous les fronts. Aux débuts de la guerre en Irak (au printemps 2003), il y avait quelque espoir qu’un gouvernement démocratique arrive au pouvoir et amène la justice et la paix à son peuple. Mais l’élimination de la tyrannie, grâce aux forces de la Coalition, n’a fait que mettre en évidence les pires forces délétères et inhumaines qui consument les sociétés arabo-musulmanes. La guerre en Irak a exposé les défauts américains, les divisions occidentales et le manque d’empressement à confronter le jihad mondial. La situation chaotique que l’on voit là-bas et le processus de nucléarisation de l’Iran ont fortifié les islamistes.

De plus, la regrettable réaction du gouvernement Olmert contre le Hezbollah au Liban et le triomphe électoral du Hamas à Gaza ont conforté l’impression d’une débâcle israélienne et occidentale dans le monde arabe et musulman. La Grande-Bretagne a été humiliée et n’a pas réagit fermement au kidnapping de quinze de ses marins par l’Iran. Au lieu de cela, les journalistes et le monde universitaire britanniques s’en sont violemment pris à Israël pour apaiser les gouvernements musulmans et en particulier les Palestiniens qui avaient enlevé, contre espoir de rançon, un journaliste de la BBC.

Un tel comportement est typique de la dhimmitude : le Chrétien dhimmi, ayant trop peur d’attaquer son oppresseur musulman, retourne sa frustration impuissante contre une innocente victime dhimmie plus faible, le Juif. Ces relations triangulaires sont une constante dans le tissu social et politique de la dhimmitude pendant plus d’un millénaire et jusqu’à nos jours.

La haine de l’Amérique, la culture antisémite, l’inversion cynique de la vérité, le soutien donné aux tueurs et aux ravisseurs et le fait de prendre parti pour eux, sont l’expression d’un humiliant sentiment d’impuissance. La Grande-Bretagne est devenue le chien qui aboie pour ses protecteurs : les islamistes et les Palestiniens. Cette situation ne se limite pas à la Grande-Bretagne, mais peut-être est-ce parce qu’il s’agissait d’une des nations les plus fières et les plus puissantes d’Europe, de l’un des trois pays à être sortis grands vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale, que cette déchéance et cette humiliation auto-consenties sont si traumatisantes. Certains Européens s’opposent bien sûr à de telles politiques, mais les directives européennes ont tendance à entraver les droits démocratiques par le contrôle totalitaire, telle une nasse, de la culture, des médias, et des universités.
Qui plus est, de l’autre côté de l’Atlantique, l’alliance latino-arabe encouragée par Zapatero « l’Andalou » isole encore un peu plus l’Amérique. La tactique visant à diviser l’Occident pour l’affaiblir est en train de réussir.

FP: Vous avez introduit un nouveau concept: le « palestinianisme ». Qu’est-ce que cela signifie exactement?

Bat Ye’or: Je pense que c’est précisément le palestinianisme qui est à l’origine de la décadence de l’Europe. C’est une idéologie basée sur une théologie du remplacement, dans laquelle la Palestine remplace Israël. Ayant été conçue et promue par des intellectuels et des politiciens européens et arabes travaillant de concert, elle combine le pire des deux cultures. Pour le monde arabe et musulman, le palestinianisme incarne l’idéologie et les intentions du jihad contre un peuple dhimmi rebelle. Il est donc fondé sur une culture et une théologie musulmane qui refuse l’indépendance territoriale et la souveraineté à un peuple non musulman quel qu’il soit.

Le palestinianisme s’oppose à Israël sur deux points principalement :

1) les Juifs, étant un peuple dhimmi, ne peuvent diriger des Musulmans, et encore moins libérer et gouverner leur pays, tout particulièrement s’il a été conquis et colonisé par le jihad dans le passé – ce qui est le cas d’Israël, de l’Espagne, des Balkans, de la Hongrie et d’autres parties de l’Europe. Les Juifs doivent être ramenés sous le joug de l’islam. Et ceci s’applique aussi, bien entendu, aux Chrétiens ; Chrétiens comme Juifs doivent être réduits à la soumission et à la dhimmitude.

2) La doctrine musulmane rejette la Bible, elle n’accepte pas qu’elle constitue l’histoire du peuple d’Israël et la source du christianisme. Les Musulmans croient que le récit biblique, tel qu’il est transcrit dans le Coran, est l’histoire du peuple musulman et de prophètes musulmans. Pour cette raison, ils nient le patrimoine historique et ancestral des Juifs et des Chrétiens en Terre Sainte. Pour eux, les deux Testaments ont une source islamique, et décrivent une histoire islamique puisque les peuples de la Bible et Jésus lui-même (Issa) étaient musulmans. Le judaïsme et le christianisme sont considérés comme des falsifications de l’islam. C’est au cœur même de l’idéologie – disons même de la doctrine – du palestinianisme, et de sa guerre contre Israël.

Les courants européens ont ajouté à tout cela de leur antisémitisme chrétien traditionnel, qui condamne les Juifs à l’exil perpétuel jusqu’à leur conversion. La guerre palestinienne contre Israël, fortement encouragée par beaucoup en Europe, se révéla être une magnifique opportunité de poursuivre et de maintenir une culture de haine et de dénigrement des Juifs – aujourd’hui, de l’Etat d’Israël – et d’offrir un soutien moral et politique à un second Holocauste. L’Europe s’est avérée être le plus grand supporter et le plus grand bailleur de fonds des Palestiniens, ainsi que leur mentor idéologique.

FP: L’Europe s’est « palestinianisée », n’est-ce pas? Quelles ont été les conséquences de tout ceci pour l’Europe?
Bat Ye’or: Les conséquences pour l’Europe sont multiples et variées, profondes et, semble-t-il, irréversibles. Le palestinianisme a été l’outil le plus efficace pour diviser, affaiblir et détruire l’Occident. Mais ce processus ne put avoir lieu que parce qu’un appareil institutionnel, la Communauté Européenne – devenue l’Union Européenne en 1993 – a pu l’imposer à ses états membres en guise de politique étrangère.

Tandis que dans le monde arabe et musulman le palestinianisme était l’outil des jihadistes pour éradiquer l’indépendance et la liberté du peuple dhimmi juif, sa signification fut autre en Europe. Le soutien non officiel de la Communauté Européenne au jihad de la Ligue Arabe pour détruire Israël a rétabli une culture de haine qui est autodestructrice pour l’Europe elle-même. Quoi que les Européens en pensent aujourd’hui, l’intégralité de leur culture spirituelle et humaniste vient des prophètes bibliques, depuis la libération des Hébreux de l’esclavage et la promotion de l’égalité et de la dignité des humains, depuis les valeurs salvatrices que sont l’humilité, l’autocritique, la demande du pardon, depuis l’éloge de la paix et la séparation de la religion et de l’état, etc. Toutes les fêtes chrétiennes sont des fêtes juives christianisées. Les livres saints judaïques sont les livres saints chrétiens.

Rejoindre le camp des jihadistes implique de supprimer ces liens qui charpentent et soutiennent le christianisme, l’affaiblissant ainsi, et le laissant prêt à s’écrouler. Et la haine détruit plus celui chez qui elle couve que sa victime. [Rejoindre le camps des jihadistes] signifie adhérer à l’idéologie jihadiste qui cherche à imposer une règle islamique totalitaire au monde entier, une perspective qui ne conçoit pas la diversité humaine en termes d’égalité, et qui n’accepte ni la critique, ni la liberté d’expression ni celle de penser. Cela signifier que tant le christianisme que le judaïsme, en tant que religions et que civilisations, doivent être récusés et méritent d’être détruits.

Le palestinianisme s’efforce de supprimer les liens entre le christianisme et le judaïsme parce qu’il professe que le christianisme est né de l’islam, d’un Jésus qui était un prophète musulman – l’Issa coranique – et très différent du Jésus juif dépeint par les quatre évangélistes – eux-mêmes nourris de l’Ancien Testament et non du Coran. En Europe, le remplacement théologique du judaïsme déclenché par le palestinianisme affecte aussi la politique.

A l’exception de commentaires désobligeants, les médias évitent de mentionner Israël, comme si déjà il n’existait plus, le supprimant ainsi par un boycott muet.

Une autre tendance européenne consiste à imposer une stricte similarité historique et une équivalence entre Israël et les Arabes ou les Palestiniens, alors qu’il n’y en a pas.

Puisque le palestinianisme est maintenant l’idéologie principale en Europe, il a déterminé le soutien européen aux stratégies des jihadistes. Et le jihad n’est pareil à aucune autre guerre, il constitue à lui seul un recueil guerrier complet, avec ses stratégies sacrées et ses tactiques rituelles. L’Europe a légitimé les intentions de destruction d’Israël de l’OLP dès les années 1970, ses enlèvements et ses massacres de civils, ses détournements d’avion, son terrorisme, en rejetant la responsabilité sur les victimes plutôt que sur les auteurs des méfaits. Pour pouvoir justifier ces crimes qui sont tellement contraires à ses valeurs humanistes et à sa morale, l’Europe dût diaboliser Israël, la dépeindre comme le plus grand ennemi de la paix, et a ce faisant offert un bain de jouvence à sa haine d’Israël, la calomniant de ses propres crimes.

Ce n’est pas tout. La plupart des Européens ne sont pas d’accord avec cette politique. Beaucoup l’ont dénoncée et combattue. Par le biais d’une campagne coordonnée et surveillée par les composantes de l’Union Européenne, un système s’est donc mis en place ; il relie la politique, les marchés, la culture, les universités, les médias et les intellectuels, et étend son emprise totalitaire à travers les états membres pour imposer une odieuse culture du mensonge et du refus de la réalité et ainsi soutenir la politique étrangère pro-palestinienne de l’Europe.

FP: Tout ceci est très déprimant, Bat Ye’or. Y a-t-il quelque espoir dans la confrontation entre l’Occident et l’islam militant ? L’Europe est-elle perdue pour de bon ? Que devrions-nous faire, nous qui sommes dans le monde libre ? Que pouvons-nous faire ?
Bat Ye’or: Le seul espoir pour l’Occident réside dans sa perception des visées du jihad mondial et de ses dangers. Ce n’est pas seulement une guerre militaire, c’est aussi – et même plus – un débat spirituel, intellectuel et politique. Mais l’Union Européenne prend un chemin opposé, en imposant même un lexique[*] qui censure le mot « jihad » et l’écarte de la discussion, lui et son existence historique. La lâcheté de la position européenne décourage de courageux Musulmans qui luttent pour que la pensée et les sociétés islamiques se démocratisent et se modernisent. Les Européens sont si bien conditionnés par le palestinianisme à haïr l’Amérique et Israël qu’ils sont non seulement en plein déni, mais aussi complètement anesthésiés.

Que pouvons-nous faire ? D’abord, en Europe comme aux États-Unis, nous réapproprier nos universités qui sont devenus des bastions du « saïdisme ». Enracinée dans le palestinianisme, cette école baptisée d’après l’Égyptien chrétien Edward Saïd a remplacé le savoir orientaliste par l’ignorance et l’endoctrinement à la haine contre Israël et l’Occident. Nous devons aussi établir le débat d’idées au grand jour, le rendre public, sans censure, ni boycott ni menaces. C’est le seul moyen de prévenir un racisme né de la frustration et de l’impuissance. Mais – par-dessus tout – les Européens doivent décider de leurs valeurs, de leur futur, et se battre pour leurs institutions démocratiques et contre la subversion de leur culture. Ils doivent reprendre le contrôle de leur propre sécurité plutôt que de mendier la protection des jihadistes et d’être rançonnés par eux.

FP: Bat Ye’or, merci de vous être jointe à nous.
Bat Ye’or: Merci de m’avoir invitée, Jamie.
Entretien avec Jamie Glazov de FrontPageMagazine.com | 26 avril 2007 Traduction: Pistache, 29 avril 2007

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