29 mars 2024

Barack Obama est-il au niveau?

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Le Figaro Magazine – Au vu d'un bilan assez mince, et malgré l'hommage de son prix Nobel, diriez-vous que Barack Obama est resté un amateur?

Yves Roucaute – Aristote affirmait que la politique n'est pas une science mais un art, et que, pour bien l'exercer, il faut de l'expérience. C'est le problème d'Obama, qui en manque et qui n'a pas de vision stratégique. Son élection a été fondée sur un discours démagogique proclamant « tout est possible », jouant sur le renouveau, la jeunesse, la couleur de peau, déclenchant un phénomène d'engouement national puis international. Il est généreux, séduisant, certainement charmant, mais s'il n'avait été métissé, il n'aurait pas été élu sur son seul programme. C'est Hillary Clinton qui serait présidente. L'obamania s'estompe maintenant, sans doute aidée par le grotesque de ce prix Nobel. L'inconsistance d'Obama s'impose.

Nicole Bacharan – Inconsistance ou pragmatisme ? On a reproché leur manque d'expérience à presque tous les prédécesseurs d'Obama, particulièrement en politique internationale : George W. Bush, Bill Clinton, Jimmy Carter et même Ronald Reagan. Obama a fait une magnifique campagne, suscitant un espoir légitime, mais, comme toute campagne, sans reality check, sans l'épreuve de la réalité. L'y voici désormais. Il y révèle un tempérament assez cérébral et distant qui déçoit en partie les électeurs qui ont porté sur lui tant d'affects. Sa méthode surprend parce qu'elle est diamétralement opposée à celle de son prédécesseur : il prend son temps, écoute les points de vue divergents, fait beaucoup de pédagogie et de communication, cherche le compromis. C'est une méthode naturellement lente, et il est encore trop tôt pour juger de son efficacité.

Yves Roucaute – C'est vrai, mais le compromis a ses limites. Gouverner, c'est avoir le courage de sauter les obstacles, pas de les refuser. Ses « mains tendues » sont naïves, à l'Iran par exemple. Jimmy Carter est resté dans cet infantilisme et il n'a jamais été un bon président. Ronald Reagan, lui, était un stratège. Dès le départ, il savait ce qu'il voulait : détruire l'Union soviétique et libéraliser. A peine élu, avec le 11 Septembre, George W. Bush a dû choisir une stratégie globale. Le problème d'Obama, c'est la démagogie. Il faut l'oser pour clamer sans sourciller «Yes, we can !» En vérité, Barack Obama, c'est « Mr. Can't ». Parce qu'il y a des invariants inhérents à la puissance américaine. D'ailleurs, pour se valoriser, il doit mentir sur la politique de Bush. Dans son discours du Caire, il dit : «Nous, Américains, allons enfin marquer de l'intérêt et du respect pour les musulmans.» George W. Bush anti-musulman ? C'est absurde, depuis son projet de grand Orient avec son ami le roi du Maroc jusqu'au soutien des Etats du Golfe, de l'Egypte, de la Jordanie, de l'Irak ou de l'Afghanistan, et il favorisait même l'adhésion des Turcs à l'Union européenne. Obama devait tout changer, c'était le slogan majeur de sa campagne. Mais on ne peut pas abandonner brusquement l'Irak, ni lâcher Israël, ni déserter l'Afghanistan. Fermer Guantanamo ? Il faut bien mettre les prisonniers pris les armes à la main quelque part. En vérité, he can't.

Nicole Bacharan – Imagine-t-on un homme politique faisant une campagne électorale sur le thème de l'impuissance ? «Yes, we can !» signifiait d'abord : « Oui, nous pouvons élire un Noir à la présidence », colossale évolution dans un pays qui a connu deux siècles d'esclavage et cent ans de ségrégation. Les Etats-Unis et une bonne partie du monde se sont identifiés à cette capacité de changement. Au bout d'un an de mandat, «Yes, we can !» a rempli certaines attentes : le système bancaire a tenu, du moins jusqu'à présent ; la croissance repart aux alentours de 3 %. La réforme du système de santé, elle, sera peut-être moins ample que ne le souhaitait le candidat Obama, mais elle marquera un tournant historique. Sur le plan international, c'est une autre histoire : Obama a ouvert tous les chantiers, mais, c'est vrai, sans guère de résultats. Là encore, il applique sa méthode et pratique le soft power, un cocktail de diplomatie et d'ouverture culturelle. Il tente de tendre la main aux populations du Moyen-Orient qui restent partagées entre la fascination pour l'Amérique – l'envie d'immigrer n'a pas faibli – et la haine anti-américaine héritée de la période Bush (quelles qu'aient été les intentions véritables de George Bush, la guerre d'Irak a bien été perçue comme anti-musulmane). Mais, quand il a parlé dans son discours du Caire du «droit des femmes à se voiler», j'aurais préféré qu'il insiste sur le droit des femmes à ne pas se voiler. Reconnaissons que, dans le même discours, il a aussi affirmé clairement la réalité de l'holocauste – une vérité que l'on n'entend jamais dans cette partie du monde. Il reste qu'Obama a peu d'influence sur ses vrais interlocuteurs, des régimes autoritaires qui n'ont rien à gagner à s'ouvrir au pluralisme. Il n'a pas les moyens, pour l'instant, d'imposer un changement de cap au Hezbollah, au Hamas, encore moins à l'Iran. Et même pas à la Syrie ou à Benyamin Netanyahou. Les pays arabes, mais aussi la Russie, voient les Etats-Unis affaiblis, en pleine crise économique, empêtrés dans deux guerres, et ils considèrent les tentatives d'ouverture d'Obama comme de la faiblesse. L'Amérique ne fait plus peur. Ce qui n'est pas forcément une bonne chose.

Yves Roucaute – Et nous revoici devant la question de la méthode. Toutes les chancelleries des pays musulmans, Syrie et Iran compris, se sont secrètement réjouies de l'intervention en Irak qui les déstabilisait. Obama, lui, craint de déplaire. Pour être applaudi, il a prétendu que George W. Bush ne savait pas s'y prendre. Avec le Hamas, le Hezbollah ou l'Iran, «moi, je veux leur tendre la main !» a-t-il dit. «Tendre la main, d'accord, répondent-ils, mais vous nous laissez caraméliser Israël ou pas?» On a un vrai problème Obama : il manque de charpente. Aucune stratégie, aucune vision de la place de l'Amérique. C'était flagrant dans son attitude courbée face à l'empereur du Japon ou dans sa monumentale bourde avec l'Inde. Pour la défense des droits de l'homme ou la misère en Afrique, il n'est jamais en première ligne. Pas un mot à propos du dalaï-lama lors de son voyage en Chine. Exactement le contraire de ce qu'avait fait Bush. Agir, trancher, risquer sa popularité, il ne sait pas. Lors de la crise financière, c'est Nicolas Sarkozy qui s'est retrouvé en pointe au G20, pas Obama. Encore Nicolas Sarkozy avec Lula sur les questions d'écologie malgré les promesses d'Obama. Obama se désintéresse même de l'Union européenne. Son absence de Berlin lors de la commémoration de la chute du Mur est symbolique, car cette chute n'est pas l'effet d'une main tendue mais d'un bras de fer où Jean-Paul II et Reagan ont gagné en refusant tout compromis sur les valeurs. Il est temps pour « Mr. Can't » de retrouver le sens de la politique plutôt que celui du spectacle et de renouer avec les fondamentaux américains.

Nicole Bacharan – Difficile pour Obama de prendre l'initiative sur l'économie quand son pays est en grande partie à l'origine de la crise. Sur l'environnement, le Congrès ne le suit guère. L'expression « l'homme le plus puissant du monde » est trompeuse. Le président américain a moins de latitude qu'un président français. Le système institutionnel américain est extraordinairement lourd, sans cesse bloqué par les contre-pouvoirs. Obama n'est pas un faiseur de miracles, laissons-lui du temps ! Son mandat sera jugé sur l'état de l'économie et sur l'évolution de la guerre en Afghanistan. Ce que l'on peut attendre de lui, c'est qu'il trouve le bon équilibre entre main tendue et exercice de la puissance. Il vient de prendre la décision d'envoyer de nouvelles troupes en Afgha nistan. La guerre n'est pas populaire, mais les Américains semblent encore faire confiance à leur président. En sera-t-il de même avec ses alliés ? Le suivront-ils ? Si l'on veut qu'Obama soit fort, alors aidons-le !

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