29 mars 2024

“T’es prof de quoi?”

Lu sur le site du Monde.fr : "par ccileParis19, Enseignant à paris 19ème.

Cette semaine,

— Lundi :

 Un élève refuse de me donner sa fiche de suivi. Il s'est tellement mal tenu qu'il ne veut pas que je la remplisse… Il s'est montré odieux pendant une heure. Il sort de ma classe en courant et en me tutoyant.
 Je me rends compte qu'ont disparu de ma salle une séquence entière, 10 ans de travail dans une pochette, des documents importants, d'anciens exposés d'élèves… et une pochette de polycopiés qui étaient placés sous le bureau…
 Dans les couloirs, la tension monte. Les élèves se mettent à détaler à toute vitesse par groupe de 8 ou 10. Pas d'autre chose à faire que de se ranger sur le côté pour éviter d'être percutée. Pendant les heures de cours, ils sont 6 ou 7 à faire des allers retours dans le couloir du 1er. Ils crient, se battent, mettent des coups dans les portes, se moquent de ceux qui sont en classe… Ils se sont « échappés » de la perm.

— Mardi :

 J'apprends qu'une collègue s'est fait griffer au cou par une élève. Je suis abasourdie. Un peu effrayée aussi. Mais pas de conseil de discipline prévu, l'élève ne va pas bien ! Et la collègue ?
 L'après-midi est tendu au 1er étage. Je fais cours porte ouverte, comme d'habitude. Mais à présent, les élèves qui « zonent » dans le couloir pénètrent dans ma salle, m'interpellent, interpellent mes élèves de 5e : « Ouesch, t'es prof de quoi ? Et les bouffons ! Regardez y travaillent… ». Au bout d'1/2 heure, je décide de fermer ma porte. On me l'ouvrira 9 fois dans la 2e 1/2 heure…
 Dans la salle à côté, une élève de 12 ans répond à son professeur d'Histoire « Tu m'saoules, ta gueule ! »… Elle sera renvoyée une journée.

— Mercredi :

 Je tente de vider les couloirs à 10 h 20. Je fais le deuil de ma pause et de mon café. Plus facile quand on sait que deux heures plus tard, c'est la quille… Je parviens à sortir une bonne vingtaine d'élèves. Et trois minutes plus tard, je les vois entrer à nouveau dans le hall… On leur a dit qu'il pouvait. Il fait trop froid dehors… Je suis énervée, totalement abattue…

— Vendredi :

 Je me rends compte qu'on m'a aussi volé 2 manuels dans ma salle. Je m'en veux de ne pas avoir vidé mon bureau. J'en veux à ces 3 armoires fermées à clé au fond de la salle 116. Je n'ai pas une seule des clés qui ouvrent ces armoires… Elles me narguent. Pourtant en début d'année, je suis allée deux fois demander une clé à l'intendance. Personne ne sait où elles sont…

 Je suis déçue et consciente du message des élèves : toi, t'as pris trop la confiance en laissant tes affaires, ici, on est chez nous… J'ai l'impression que cette semaine, on m'a envoyé un message clair…

 Je vois 2 de mes élèves de 6e se faire rouer de coups par des 4es. Un nouveau jeu ? Ça m'inquiète. Mais je continue à tenter de vider le couloir : une bande de nanas écoute de la musique en dansant. Si. Si. Une bande de types tient le radiateur. Ils font semblant de ne pas m'entendre quand je leur demande avec un grand sourire d'aller se ranger dans la cour. Heureusement, parmi eux un des 3es dont je suis prof principal. Je lui demande de sortir et au passage d'emmener ses copains avec lui. Et puis, j'apprends qu'il y a eu un souci dans cette classe de 3e. Des élèves ont été convoqués à la vie scolaire la veille. Mais je l'apprends par une collègue et par les élèves eux-mêmes. Je me sens seule. Sans le rapport de mon collègue dans le casier, je n'aurai pas pu réagir. Drôle d'ambiance, on n'a plus vraiment l'impression d'être dans un collège. La veille, devant l'établissement, un élève a tenté une intimidation sur une prof pour éviter un rapport… Il sera renvoyé une journée.

— Vendredi soir

 Je craque un peu ce soir. Je fonds en larmes en préparant le biberon de mon fils.

 J'ai bientôt 40 ans. 15 ans d'ancienneté. Je suis passée par Clichy sous Bois, la cité Michelet… J'aime mon boulot. À 36 ans, j'ai obtenu la hors classe. Et j'en suis encore là. Je ne suis plus dans un établissement classé ZEP. Après la zone sensible, la zone prévention violence, je pensais qu'un collège non classé, c'était un peu ma récompense à moi…

 La violence ordinaire de ce bahut semble être acceptée, banalisée ? Les gens font-ils semblant d'aller bien ? À quel moment prend-on en compte la sécurité des élèves ? Et la nôtre ?

Alors ce soir, je décide de ne plus tenter de vider les couloirs seule.
Je décide de ranger mes affaires, enfin ce qu'il en reste, ailleurs.
Je vais tenir jusqu'aux vacances en espérant trouver des solutions pour garder la tête froide et continuer d'être choquée par ce qui est choquant, abattue par ce qui est inacceptable. Je ne veux pas banaliser la violence. Je ne veux pas me montrer moins exigeante avec mes élèves. J'aimerais continuer à garder une vision raisonnable des choses et des êtres. Et ce soir, je suis usée par une semaine banale finalement. Et je me demande si deux jours suffiront à me remettre d'aplomb.

Cécile "

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