28 mars 2024

Sissi n’est pas Moubarak

La décision de la Cour égyptienne du samedi 29 novembre d’acquitter l’ancien président Hosni Moubarak, son fils et ses associés, de toutes les charges résiduelles contre eux a conduit la plupart des commentateurs à déclarer que le président égyptien actuel, Abdel Fattah’ Sissi a fait un retour en arrière. Sous sa direction, disent-ils, L’Egypte a restauré le régime autoritaire de Moubarak sous un nouveau dictateur.
 
Alors que cela peut être la façon dont les choses apparaissent superficiellement, la vérité est qu’au moins en ce qui concerne Israël, rien n’est plus éloigné de la vérité.
 
Pendant ses trente années de règne, Moubarak a toujours considéré que les menaces contre Israël n’étaient pas liées à celles contre l’Egypte. De ce point de vue, malgré les requêtes continues de Jerusalem, Moubarak a permis aux jihadistes se s’implanter dans le Sinaï. Il a permis que l’Egypte soit utilisée comme la voie majeure pour que le personnel et les armements terroristes pénètrent à Gaza. Il n’a pris que des mesures sporadiques mineures contre les tunnels de contrebande reliant Gaza au Sinaï.
 
En 2005, il devint apparent que les forces du Hamas, du Hezbollah, de l’Iran et d’al Qaïda opéraient dans le Sinaï en coopérant entre elles.
 
Malgré les avertissements d’Israël, Moubarak ne prit aucune mesure efficace pour briser l’alliance émergente et la convergence des forces.
 
C’est du fait du refus d’agir de la part de Moubarak que les Palestiniens de Gaza purent entamer et étendre massivement leur guerre de projectiles, de roquettes et de missiles contre Israêl. Depuis les toutes premières attaques, exécutées il y a 14 ans, les campagnes de projectiles palestiniens n’auraient jamais pu advenir sans la collaboration efficace de l’Egypte.
 
Lors d’occasions innombrables, des commandants terroristes palestiniens purent s’échapper dans le Sinaï en évitant l’arrestation par les forces israéliennes, pour revenir du Sinaï et reprendre leurs opérations.
 
Moubarak croyait qu’Israël était sa valve de sûreté.  
 
En facilitant les opérations jihadistes contre Israël depuis le territoire égyptien, il croyait préserver l’Egypte de ceux-ci. De son point de vue, les ‘Frères Musulmans’, le Hamas le Hezbollah et l’Iran seraient si satisfaits de sa coopération dans leur jihad contre les Juifs qu’ils le laisseraient tranquille.
 
Ce n’est qu’en 2009, quand l’Egypte annonça la découverte d’un arc terroriste dans le Sinaï comprenant des Gardiens de la Révolution Iranienne, des agents du Hamas et du Hezbollah préparant des opérations contre Israël et l’Egypte, et cherchant à renverser son régime, que Moubarak commença de manifester qu’il avait pu se tromper sur la situation. Mais même alors, ses actions contre ces forces furent sporadiques et à contrecœur.
Les attaques continues du Hamas contre Israël les années suivantes, et l’accumulation de forces des ‘Frères Musulmans’ et d’al Qaïda dans le Sinaï étaient un signal clair que Moubarak ne voulait pas se confronter avec la réalité déplaisante que les forces attaquant Israël étaient les mêmes cherchant à renverser son régime et à détruire l’Etat égyptien.
 
En puissant contraste, Sissi s’éleva au pouvoir alors même que ces forces étaient enclines à détruire l’Etat égyptien. Les ‘Frères Musulmans’ ont conquis le pouvoir en partie grâce au soutien qu’ils reçurent du Hamas.
 
Pendant les rébellions de janvier 2011 contre Moubarak, les agents du Hamas jouèrent un rôle clé en prenant d’assaut les prisons égyptiennes dans le Sinaï et en libérant des dirigeants des ‘Frères Musulmans’ – dont leur président Mohammed Morsi. En 2012 et 2013, les forces du Hamas auraient servi de troupes de choc pour étouffer les protestations contre le régime des ‘Frères Musulmans’. Ces protestations se dressèrent dans l’opposition aux décisions de Morsi d’instaurer des pouvoirs dictatoriaux que Moubarak n’avait jamais rêvé d’exercer, et ses machinations constitutionnelles destinées à transformer l’Egypte en Etat islamique et en centre d’un futur califat mondial.
 
Sissi et ses généraux renversèrent les ‘Frères Musulmans’ avec le soutien de l’Arabie saoudite et des Emirats Arabes Unis pour empêcher l’Egypte de se dissoudre en un axe jihadiste sunnite dans lequel le Hamas, al Qaïda et d’autres mouvements jihadistes étaient des intervenants clés, et l’Iran et le Hezbollah des forces alliées.
 
Du fait des évènements qui l’ont élevé au pouvoir, Sissi a adopté une posture stratégique très différente de celle de Moubarak. Selon sa vision, les forces jihadistes sunnites et leurs alliés shiites dirigés par les Iraniens sont des menaces existentielles pour l’Etat égyptien même si leur cible principale est Israël. Sissi accepte que le combat d’Israël contre eux a un impact direct sur l’Egypte.
 
Il a reconnu que quand Israël parvient à les défaire, l’Egypte est plus en sécurité. Quand Israël est faible, la menace augmente sur l’Egypte.
 
Comme Israël, Sissi mesure que l’idéologie des ‘Frères Musulmans’, partagée par le Hamas, al Qaïda et d’autres groupes jihadistes sunnites significatifs, fait de tous ces groupes une menace pour l’Egypte. Grâce à cette évaluation, Sissi a abandonné la politique de Moubarak de potentialisation de leur guerre contre Israël.
 
Il a non seulement abandonné la politique de renforcement de Moubarak envers eux, mais aussi agi en alliance avec Israël pour les combattre. Cela n’a jamais été aussi évident que dans ses actes contre le Hamas à Gaza.
 
Après s’être emparé du pouvoir en juillet 2013, Sissi a immédiatement ordonné à l’armée égyptienne de prendre les mesures pour assurer la frontière entre Gaza et le Sinaï. A cette fin, pour la première fois, l’Egypte  pris des mesures efficaces et continues pour bloquer la contrebande des armes et des gens entre les deux zones. Ces mesures ont eu un impact profond sur le régime du Hamas. Celui-ci est allé en guerre contre Israël cet été dans une tentative d’obliger l’Egypte et Israël d’ouvrir leurs frontières avec Gaza en soutien au régime du Hamas et de ses alliés jihadistes.
 
Le Hamas était certain que les reportages de la souffrance à Gaza obligeraient l’Egypte à s’opposer à Israël, et d’ouvrir sa frontière avec Gaza. Cela conduirait aussi à une pression de la part des USA sur Israël qui amènerait Israël à se plier aux exigences du Hamas.
 
Contre toute attente, et contre les précédents du comportement égyptien aussi bien sous Moubarak et Morsi, Sissi a soutenu Israël contre le Hamas. De plus, il a conduit l’Arabie saoudite et les UAE vers une alliance officieuse avec Israël. Le bloc qu’il forma était suffisamment puissant pour surmonter la pression des USA de mettre fin à la guerre en s’inclinant face aux exigences du Hamas et à l’ouverture des frontières de Gaza avec l’Egypte et Israël.
 
Depuis que le cessez-le-feu est appliqué il y a trois mois, Sissi a continué de sceller la frontière. En conséquence, il a interdit au Hamas la capacité de reconstruire l’infrastructure terroriste de Gaza. Dans son Etat réduit, le Hamas est moins à même de permettre les opérations de ses frères jihadistes dans le Sinaï qui sont les premiers à conduire l’insurrection contre l’Etat égyptien.
 
Bien sûr, le développement stratégique le plus significatif ces dernières années est le réalignement stratégique des USA sous le président Barack Obama. Sous Obama, les USA ont viré de bords, soutenant l’Iran et ses alliés, ses satellites et ses atouts, y compris les ‘Frères Musulmans’ et le Hamas, contre les alliés sunnites de l’Amérique et Israël.
 
Mais l’alliance qui a surgi cet été entre Israël et l’Egypte, avec la participation de l’Arabie et de l’UAE, est aussi un développement stratégique hautement significatif. Pour la première fois, une puissance régionale majeure fonde sa posture stratégique sur sa vision que les menaces contre elle et contre Israël proviennent des mêmes sources et par conséquent, que la guerre contre Israël est une guerre contre elle.
 
Les Israéliens ont défendu cette cause depuis des années avec leurs voisins arabes, ainsi qu’avec les Américains et d’autres Etats occidentaux. Mais pour de multiples raisons, aucun n’a jamais voulu accepter cette réalité fondamentale et basique. 
 
Par conséquent, tous, des Américains aux Européens et aux Saoudiens ont longtemps soutenu des politiques renforçant les forces jihadistes contre Israël.
 
Sissi est devenu le premier dirigeant majeur à briser ce consensus, suite aux actes menés par le Hamas avant et depuis qu’il s’est emparé du pouvoir. Il a conduit l’Arabie saoudite et les UAE dans son voyage intellectuel.
 
Et cette réévaluation a eu un profond impact sur les réalités régionales en général et sur la position stratégique d’Israël en particulier.
 
Du point d’Israël, c’est un véritable tournant.
 
Le gouvernement doit prendre toutes les mesures possibles, dans les domaines économiques et militaires, pour s’assurer que Sissi tire bénéfice de ses actes.
 
 D’abord publié dans le « Jerusalem Post »

Adaptation française de Sentinelle 5775 ©
 

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