28 mars 2024

L’illusion des anti-burkinistes

Pour commencer, je ferai deux observations.


Première observation : en démocratie, chaque personne est libre de choisir sa tenue vestimentaire. Si les élus se mettaient à interdire telle ou telle tenue qui a le malheur de ne pas plaire à certains administrés, on pourrait imaginer des arrêtés municipaux interdisant aux hommes de porter des chemises roses et aux femmes de porter des pantalons. On comprend que le Conseil d’Etat, anticipant de telles dérives, ait pris le parti de défendre les droits individuels.

Seconde observation (rarement faite par les commentateurs) : les troubles à l’ordre public invoqués par les maires, s’ils se produisaient, seraient le fait non des porteuses de burkini, mais des administrés qui ne tolèrent pas la vue de celles-ci dans leur environnement immédiat. En bonne logique démocratique, il faudrait protéger ces femmes contre leurs potentiels agresseurs et prendre les mesures qui s’imposent afin de garantir, au nom de l’égalité, leur droit de profiter de la plage paisiblement comme tous les autres vacanciers. L’argument du trouble à l’ordre public procède d’un dangereux paralogisme qui pourrait conduire, par exemple, à interdire aux homosexuels de se tenir la main dans la rue au motif que cela risque de déplaire et de provoquer des réactions d’hostilité.

Il découle de ces remarques qu’il est impossible de lutter contre des comportements communautaristes au moyen des principes démocratiques. Et cela pour une raison de fond : les comportements dits communautaristes sont des comportements individuels, qui relèvent d’une conception du bien librement choisie (j’admets la possibilité que certaines femmes portant un burkini soient contraintes, mais il sera difficile aux élus de le prouver). Or une démocratie est par essence pluraliste : la loi protège les libertés individuelles et permet à chacun de vive conformément à sa conception du bien. La puissance publique doit veiller à l’intérêt général, mais cette notion est difficile à définir. Les libéraux pensent que la seule façon d’assurer l’intérêt général est de garantir les libertés individuelles ; ils pensent que toute législation qui va au-delà se retourne contre l’objectif à atteindre. Les « républicains » ont un autre argument : ils invoquent le « vivre ensemble ». Mais cet argument est flou : que veut dire « vivre ensemble » ? Ne suffit-il pas que les citoyens accomplissent correctement leurs actions de citoyens, qu’ils votent, paient leurs impôts, fassent preuve de civisme, éduquent leurs enfants ?

La citoyenneté a pour cadre la sphère publique, non les « lieux publics ». Malheureusement, les journalistes confondent tout en parlant d’« espace public ». Un lieu comme une plage est un lieu « ouvert au public », ce n’est pas comme l’École la « sphère publique ». L’exposition des corps est une affaire privée, sans rapport avec la citoyenneté, qui se situe à un niveau plus abstrait et concerne le « corps collectif ». On se dit parfois qu’un peu de culture politique ne ferait pas de mal aux journalistes…

En se plaçant au point de vue des principes démocratiques, on ne peut que donner raison au Conseil d’État, dont la décision était absolument prévisible. Mais j’en tire la conclusion inverse de celle défendue par la Ligue des Droits de l’Homme.

En résumé je dirai ceci : puisqu’il est impossible, sans renoncer à la démocratie, d’interdire les comportements qui vont dans le sens du communautarisme, le seul moyen d’agir est désormais d’empêcher les communautaristes d’entrer sur notre territoire et d’encourager ceux qui y sont déjà à le quitter au plus vite.

Cette manière de poser le problème permet de distinguer deux points de vue trop souvent confondus (aussi bien par les journalistes que par la direction actuelle du FN et d’ailleurs par toutes les formations politiques) : le point de vue du droit formel et celui de la civilisation. Parce qu’ils sont constructivistes et très hostiles à la problématique identitaire, les idéologues qui conduisent les débats à la télévision et dans les médias en général dissimulent constamment la dimension civilisationnelle du « grand remplacement » en utilisant systématiquement les termes du droit et les principes démocratiques.
C’est un véritable tour de passe-passe auquel nos concitoyens ne comprennent rien, parce que ce qu’ils constatent, eux, et ce qu’ils refusent, dans un réflexe salutaire d’autoconservation, c’est le changement la civilisation.

Il en va de même pour la laïcité. Il faut beaucoup de mauvaise foi pour prétendre combattre l’islamisation de notre société en invoquant le principe de laïcité, car la laïcité, comme le rappelait justement un avocat de la Ligue des Droits de l’Homme, est « une méthode » et non « un contenu ». Il faudra un jour expliquer à nos concitoyens que c’est au nom de la laïcité que l’on a introduit des menus de substitution à l’école et que l’on commence à supprimer les crèches. La laïcité est en effet le dispositif qui protège la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Il faudra aussi expliquer que la laïcité implique la neutralité des services publics mais n’impose ni n’interdit aucun comportement particulier dans les lieux publics du moment que ces comportements s’exercent dans les limites de l’ordre public. Il faudra donc expliquer aux gens de bon sens mais qui manquent de culture politique qu’il faut poser les problèmes de droit en termes juridiques et les problèmes de civilisation en termes d’identité.

Cette distinction est capitale pour la défense de nos valeurs et de notre modèle de vie qui ne se réduit pas à des « droits » mais qui a aussi un contenu relatif à une « histoire ».

Au constructivisme qui n’est qu’une option philosophique parmi d’autres, et qui avance souvent masqué, opposons le culturalisme, qui, s’il est aussi une option parmi d’autres, permet au moins de poser les problèmes de civilisation en toute clarté et en toute honnêteté.


Laurent Fidès a publié Face au discours intimidant

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