28 mars 2024

Anatomie de toute réforme scolaire

L'idée dominante consiste toujours à avancer que chaque réforme viserait systématiquement à éviter de faire de l'enseignement un "marqueur social", symbole supposé de "l'inégalité sociale et culturelle" alors qu'en réalité la culture, la langue, par exemple, est un legs collectif, qui évolue certes, mais souvent est bien la seule richesse des plus démunis, car pour eux bien écrire et parler permet plutôt de compenser les divers héritages sociaux et culturels.

Plus encore, il s'avère que souvent, dans les familles modestes, le fait de savoir bien écrire et parler est une fierté qui permet d'asseoir encore mieux son appartenance citoyenne. Aussi la baisse du nombre de fils d'ouvriers dans les grandes écoles ne signifie pas que l'enseignement étant trop discriminant il faudrait le tirer vers le bas, l'amoindrir, alors qu'au contraire il faudrait plus accompagner les plus demandeurs par des systèmes de tutorat et de bourses.

En fait en expliquant sans cesse aux filles et fils du Peuple qu'ils n'arriveront jamais à rien parce qu'ils sont des "dominés" n'encourage guère à se dépasser, à faire comme les aînés qui avaient bien moins de possibilités qu'aujourd'hui en matière d'aide et de conseil.

Les détails de ce nivellement par le bas peuvent être croustillants : en français par exemple, outre les simplifications orthographiques diverses, c'est bien la façon d'enseigner la littérature qui est sujette à caution: ainsi l'explication de texte fera place à une analyse linguistique qui découpera le propos en figures de style sans pour autant réfléchir sur son sens. Les élèves sont donc invités à apprendre par coeur une description sans explication de son contenu ; ce qui les rend cyniques puisqu'il s'agit moins de comprendre un auteur que d'ingurgiter sa façon de faire.

Quant au choix de textes on aura affaire de plus en plus à l'idéologie postmoderne pour laquelle par exemple les Lumières se réduisent à la littérature libertine et aux combats voltairiens pour la justice et l'égalité alors que cette période est bien plus complexe que la réduction de la notion de liberté au dilemme plaisir/déplaisir.

La notion de "vertu" par exemple est bien plus subtile que sa traduction en moralité frugale. Elle indique l'idée de dignité citoyenne, de probité intellectuelle. Cette notion fut d'ailleurs au coeur de la pensée révolutionnaire française, Robespierre s'en réclamant absolument. Or, elle est devenue au fil du temps une sorte de pensée moralisante qui enfermerait le plaisir dans des obligations aliénantes, "réactionnaires" comme la fidélité à la parole donnée, le sens de l'honneur…

Vérité et mensonge voient ainsi s'effacer leur opposition. Ce qui est bien là le symbole du cynisme ambiant, du nihilisme généralisé maquillé en bonnes intentions…

 

8 février 2016

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