" La Question Mein Kampf 
Pierre-André Taguieff prend position dans le débat qui oppose depuis quelques années, en Allemagne et en France notamment, les partisans d’une édition critique de Mein Kampf à ceux qui, pour des raisons diverses, y sont hostiles. Considérant qu’il serait irresponsable de parier sur l’ignorance, et que le « laisser-faire » en matière éditoriale relèverait ici de l’aveuglement volontaire, Pierre-André Taguieff plaide en faveur d’une édition historique et critique de Mein Kampf.
(Lire la seconde partie)
À Georges Goriely (1921-1998),
In memoriam
Nota : Le présent article, volontairement privé de son appareil critique volumineux afin de pouvoir être mis en ligne, est extrait d’une étude inédite, à paraître en 2010. L’auteur remercie Anne Quinchon pour sa relecture d’une première version de cet article.
Parmi les historiens professionnels, les spécialistes reconnus du nazisme qui ont étudié de près Hitler en tant qu’idéologue, donc en tant qu’auteur de Mein Kampf et d’un grand nombre de discours, de déclarations et de conversations à teneur doctrinale, ne sont pas très nombreux. Ils représentent une minorité dans la masse de leurs pairs : Hugh Trevor-Roper, Joachim Fest, Werner Maser, Karl Dietrich Bracher, Klaus Hildebrand, Lucy Dawidowicz, Eberhard Jäckel, George L. Mosse, Gerald Fleming, Saul Friedländer, David Bankier, William Carr, Richard Breitman, Robert A. Pois, Peter Longerich ou Ian Kershaw. Ils se sont tous appliqués à mettre en évidence le rôle joué par Hitler, en tant que sujet doté de convictions idéologiques, dans le processus de décision qui a conduit au génocide des Juifs d’Europe. Ils ont donc pris au sérieux Hitler en tant qu’idéologue, ou comme producteur d’une « vision du monde » (Weltanschauung) – terme récurrent dans Mein Kampf. Ils ont en même temps soutenu la thèse selon laquelle Hitler fut le meneur d’hommes sans qui jamais l’extermination des Juifs d’Europe n’aurait eu lieu. Au milieu des années 1960, le grand historien Walter Laqueur, à l’instar de George L. Mosse – auteur d’un ouvrage consacré aux « origines intellectuelles du Troisième Reich » (The Crisis of German Ideology, 1964), suivi d’une anthologie de textes introduits et situés, Nazi Culture (1966) -, avait déjà souligné l’importance de la dimension idéologique du mouvement nazi : « La doctrine du mouvement hitlérien ne fut pas un simple stratagème de propagande, ni l’épanchement d’un petit groupe d’esprits déséquilibrés. Au contraire, le nazisme est fondé sur un corps de doctrine qui date d’au moins un siècle. » Or, la doctrine nazie se confond pour l’essentiel avec la doctrine hitlérienne. Voilà une raison qui pourrait paraître suffisante d’étudier de près l’ouvrage où Hitler a exposé systématiquement sa doctrine – sa « vision du monde » – et son programme politique, Mein Kampf.
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