Tout d'abord, je tiens à remercier les organisateurs de cette table ronde, en l'occurrence le Haut commissariat des droits de l'Homme des Nations Unies ainsi que le Centre d'information des Nations Unies au Caire, de m'avoir invité à prendre part à cette table ronde et à parler de la question amazighe notamment en Afrique du Nord.
Je m’appelle Masin Ferkal, président de l'organisation TAMAZGHA qui œuvre pour la défense des droits et intérêts des Imazighen aussi bien en Afrique du Nord, leur pays, qu'ailleurs dans le monde. Notre organisation a également créé un site Internet d’information qui traite principalement de la question amazighe notamment en Afrique du Nord. TAMAZGHA est basée à Paris, mais elle a des correspondants à travers l'ensemble de l'Afrique du Nord.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, j'aimerais apporter quelques précisions quant à l'intitulé de cette rencontre qui est malheureusement de nature discriminatoire voire méprisant à l'égard des Imazighen mais aussi des peuples comme les Coptes ou les Kurdes pour ne citer que ceux-là.
En effet, il est question de « l'expérience des défenseurs des droits de l'Homme dans les pays arabes". Cela nous interpelle. Ainsi, l'Afrique du Nord serait, apparemment, supposée faire partie des pays arabes ! Nous déplorons cette approximation dans l'appellation de cette région du monde, une appellation qui contribue, de facto, à la discrimination dont sont victimes les Imazighen en Afrique du Nord. Si une telle appellation est fausse et ne correspond à aucune réalité historique, elle est une création coloniale visant tout simplement à l'assimilation des Imazighen par leur arabisation et islamisation forcées, ce que nous ne cessons, au sein de notre organisation, de dénoncer, notamment auprès des instances onusiennes. Enfin, l'appellation contribue à conforter cette domination arabe dont souffrent les Imazighen, car elle est tout simplement négatrice de l’amazighité qui est le socle identitaire et civilisationnel de l’Afrique du Nord qui est pourtant traversée par des apports riches et variés de diverses civilisations qui ont marqué l’histoire de l’Humanité.
Œuvrer pour que les Imazighen soient respectés en tant que tels, commencer par ne pas les intégrer dans une dénomination qui les assimile, cela fait aussi partie de notre combat de défenseurs de droits de l'Homme.
Venons-en maintenant à l’objet de la communication qui m’a été demandée comme contribution à cette table ronde.
Il est, bien évidemment, difficile d’évoquer de façon exhaustive la problématique amazighe en Afrique du Nord. Nous tâcherons de montrer, dans cet exposé, le caractère arbitraire des Etats en place en Afrique du Nord qui violent au quotidien les principes fondamentaux des droits de l’Homme et qui mettent en pratique une véritable politique anti-amazighe.
Depuis 1999, notre organisation, Tamazgha, présente régulièrement des rapports sur l’atteinte aux droits des Imazighen par les Etats en place en Afrique du Nord. Et nous nous sommes adressé à deux organes du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, à savoir Le Comité pour l’élimination de la Discrimination raciale (CERD) et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR). Toutes les fois qu’un Etat de la région d’Afrique du Nord présente son rapport périodique à l’un des Comités sus-cités, nous présentons un rapport alternatif par lequel nous tâchons d’apporter des éléments d’information aux experts des dits Comités sur les violations des dispositifs de la Convention et du Pacte signés par les Etats-parties ainsi que sur les injustices et les discriminations dont sont l’objet les Imazighen. C’est ainsi que nous avons eu à présenter des rapports alternatifs aux rapports des Etats suivants : Algérie, Lybie, Maroc, Tunisie, Mauritanie, mais aussi la France et l’Espagne.
Il est peut-être utile de rappeler que le pays amazigh s’étend des Oasis de Siwa, aujourd’hui sous autorité égyptienne, aux Iles Canaries, sous administration espagnole, en passant par les territoires sous contrôle des Etats libyen, tunisien, algérien, marocain et mauritanien. Le territoire touareg, qui représente le nord des territoires sous administration nigérienne, malienne et burkinabé fait partie aussi de territoire amazigh.
La justification de la présentation de rapports alternatifs aux rapports de l’Etat français est la présence d’une communauté amazighe et amazighophone importante dans ce pays qui, malheureusement, ne reconnaît pas les spécificités linguistiques et culturelles de cette communauté.
Le malaise que vivent Imazighen en Afrique du Nord est très profond, et il est difficile de le résumer en 15 minutes, mais nous nous efforcerons dans cet exposé de mettre le doigt sur l’essentiel des discriminations dont sont responsables les Etats en place en Afrique du Nord. C’est en Algérie et au Maroc que la question amazighe a vu une évolution importante ces dernières décennies. Cette évolution a contraint les Etats algérien et marocain à prendre des mesures de « reconnaissance » du fait amazigh. C’est pourquoi l’exposé sera axé principalement sur l’état de la question berbère au sein de ces deux Etats.
La négation officielle et institutionnelle du fait amazigh en Afrique du Nord.
La négation de l’amazighité est un acte officiel assumé par les Etats. Ces derniers, sans exception, consacrent la langue arabe comme seule langue officielle.
L’Etat algérien, lui, se distingue en faisant référence à l’amazighité dans le préambule de sa Constitution ainsi qu’un article qui fait de la langue amazighe une langue nationale.
« Article 3 : L'arabe est la langue nationale et officielle. »
Art. 3 bis : Tamazight est également langue nationale.
L'Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. »
Mais cette mention dans la Constitution n’a pas amélioré pour autant la situation de la langue amazighe. A noter également l’existence d’une loi de généralisation de la langue arabe qui est votée par l'Assemblée nationale en décembre 1990 signée en janvier 1991 (Loi n° 91-05 du 16 janvier 1991) qui sera amendée et donnera lieu à une nouvelle loi le 17 décembre 1996 (ordonnance N°96-30 du 21 décembre 1996) puis mise en application à partir du 5 juillet 1998.
Par ailleurs, il convient de noter les diverses contradictions avec nombre de lois et de textes qui font de la langue arabe la seule langue d’usage. C’est le cas de la Justice, par exemple. L’inscription de tamazight en tant que langue nationale dans la Constitution algérienne ne fait pas pour autant de cette langue une langue d’usage au sein des institutions de l’Etat.
L’Etat marocain, dans le préambule de sa Constitution précise que « Le Royaume du Maroc, Etat musulman souverain, dont la langue officielle est l’arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe » (Constitution du 13 septembre 1996). L’élément amazigh est complètement ignoré. Et une telle affirmation suggère qu’il n’y a de place que pour la langue arabe au Royaume du Maroc où il n’y aurait que des Arabes. Les Imazighen n’auraient d’autre choix que d’accepter l’assimilation que l’Etat leur impose.
Discrimination linguistique et culturelle.
Si l’enseignement est intégré par les Etats algérien et marocain, il demeure dérisoire et très loin des attentes des populations amazighes. Ainsi, l’Etat algérien qui prétend œuvrer pour l’enseignement de la langue amazighe n’a pu assurer plus de 5 % pour une opération qui a commencé en 1995.
L'enseignement de la langue amazighe est donc loin d'être un enseignement généralisé comme il doit l'être si la langue amazighe est considérée comme une véritable langue nationale.
Dans leur rapport (avril 2010) soumis au Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), trois organisations de défense des droits de l'Homme (FIDH, CFDA, LADDH) relèvent des défaillances en matière d'enseignement de tamazight : "Ainsi, malgré la reconnaissance du tamazight, la cohérence de la politique de l’enseignement, dont celui des langues, préconisée par l’Etat, est plus que défaillante.". Ces organisations concluent sur cette question en demandant à l'Etat algérien d'engager une politique à la hauteur de la reconnaissance que l'amazighité mérite : "Il apparaît donc nécessaire à nos organisations que le gouvernement algérien construise une politique dotée de ressources économiques et financières adaptée, afin que la culture amazighe soit reconnue et promue au sein de l’Etat algérien."
L’enseignement de la langue amazighe est censé être généralisé à l’ensemble du territoire et à l’ensemble des niveaux d’enseignement. Force est de constater que depuis 1995, date de l’introduction de cet enseignement au sein de l’école algérienne, aujourd’hui il n’y a que moins de 3 % de l'effectif global des élèves scolarisés dans le système scolaire algérien bénéficient d'un enseignement de la langue amazighe. Avec 0,95 % dans le cycle primaire, 4,92 % dans le cycle moyen et 1,22 % dans le cycle secondaire. Notons, par ailleurs, les disparités qu'il y a entre les différents cycles.
Nous notons au passage que la quasi-totalité des élèves bénéficiant de cet enseignement habite la région de Kabylie.
Ces taux ont été constitués sur la base des chiffres et informations fournies par l’Etat algérien dans ses troisième et quatrième rapports périodiques (E/C.12/DZA/4) examinés par le CESCR lors de sa 44ème session qui a eu lieu à Genève du 3 au 21 mai 2010 (E/C.12/DZA/CO/4).
Si, en l’espace de 15 ans, l’Etat algérien n’a pas pu enseigner la langue amazighe, reconnue pourtant comme langue nationale, qu’à 5 % des enfants scolarisés. Cela montre le dédain que l’Etat algérien porte à la langue amazighe.
Sur le plan culturel, les efforts demeurent très loin des attentes et les mesures prises restent ponctuelles et relèvent plus du folklore que d’une véritable volonté en vue d’une prise en charge réelle de la culture amazighe. Nous pouvons passer en revue une à une toutes les initiatives de l’Etat algérien et montrer leur inconsistance d’une part, et d’autre part leur non contribution au développement de la culture amazighe. Mais le temps imparti ne le permet malheureusement pas.
Quant à l’Etat marocain, c’est en 2003 qu’il a décidé d’introduire l’enseignement de la langue amazighe dans son système scolaire avec la création d’une institution appelée IRCAM (Institut royal de la culture amazighe).
Si l’on croise les chiffres avancés par l’Etat marocain dans ses 17e et 18e rapports présentés au CEDR qui les a examinés lors de sa 77ème session qui s’est tenue à Genève du 2 au 27 août 2010 (CERD/C/MAR/17-18) concernant le nombre d’enfants bénéficiant du système scolaire marocain, avec les chiffres avancés par le Ministère marocain de l’Education concernant le nombre d’élèves bénéficiant de l’enseignement de la langue amazighe, on en déduit que cet enseignement ne bénéficie qu’à moins de 8 % de l’ensemble des scolarisés.
Tout comme pour l’Etat algérien, ces chiffres montrent « l’intérêt » réel que l’Etat marocain accorde à la langue amazighe.
Sur le plan culturel, l’attitude de l’Etat marocain est similaire à celle de l’Etat algérien à savoir que le peu d’initiatives prises s’inscrivent plus dans une logique folklorique. Par ailleurs les moyens mis en œuvre pour le développement de la culture amazighe sont très loin des attentes des Imazighen et de ce que mérite une culture nationale.
De l’alphabétisation.
Les deux Etats, Maroc et Algérie, prétendent déployer des efforts importants en matière d'alphabétisation. Il convient cependant de signaler que l'alphabétisation se fait exclusivement en langue arabe (seule langue officielle dans les deux Etats). Encore une fois, la langue amazighe se trouve exclue et les amazighophones qui souhaitent bénéficier du programme d'alphabétisation mené par les Etats se trouvent contraints de le faire dans la seule langue arabe et qu'il leur est impossible de bénéficier de l'alphabétisation dans la langue qu'ils parlent quotidiennement : tamazight.
Ainsi, l'alphabétisation est plus un instrument d'arabisation que d'alphabétisation proprement dit vu que les personnes adultes qui ne maîtrisent que la langue amazighe se voient imposer la seule langue arabe qu'ils doivent apprendre.
Les autres Etats, en l’occurrence la Lybie, la Mauritanie, la Tunisie et l’Egypte pratiquent une politique de négation quasi-totale des Imazighen. La langue amazighe n’est ni reconnue ni enseignée par ces Etats. La culture amazighe est totalement absente de champ officiel. Elle en est même interdite.
Discriminations religieuses.
L’ensemble des Etats en place en Afrique du Nord ont inscrit l’islam comme religion d’Etat. Mêmei si les Constitutions de certains de ces Etats ont inscrit le respect des libertés de conscience et d’opinion, ou encore celui de l’exercice des autres cultes que l’islam, il n’en demeure que, dans les faits, l’islam est imposé à tous. Et même dans leurs textes, ces Etats se contredisent puisque nombres de textes de lois sont consacrées à la discrimination.
A titre d’exemple, la Constitution algérienne stipule ce qui suit :
« Article 73 : Pour être éligible à la Présidence de la République, le candidat doit :
– jouir uniquement de la nationalité algérienne d’origine;
– être de confession musulmane;
La discrimination fondée sur l'appartenance religieuse est, dans ce cas, incontestable.
Toujours en Algérie, la personne qui souhaite accueillir (adopter) un enfant mineur et qui n'est pas de religion musulmane ou qui n'a pas du tout de religion se verra refuser légalement ce droit. Cette condition d'appartenance à la confession musulmane est dictée par la loi n° 84-11 du 09 Juin 1984 portant code de la famille qui précise que « Le titulaire du droit de recueil légal doit être musulman, sensé, intègre, à même d'entretenir l’enfant et capable de le protéger. »
La réglementation régissant le mariage des Algériennes avec des étrangers non musulmans est une atteinte à l'un des droits les plus fondamentaux de l'être humain à savoir celui de choisir librement son conjoint quelque soit son origine. En effet, cette réglementation interdit le mariage des Algériennes à des étrangers qui ne soient pas de confession musulmane. Et si l'étranger en question tient à son mariage, la réglementation exige de lui la conversion à la religion musulmane.
Les exemples peuvent être multipliés et montrent toute l’hégémonie de la religion musulmane et la discrimination dont font l’objet les non-musulmans.
Cette discrimination pratiquée par l’Etat a été mise au grand jour ces derniers temps avec l’arrestation et la traduction devant les tribunaux de plusieurs personnes n’ayant pas observé le jeûne musulman. Si la totalité des personnes arrêtées en Kabylie ont été libérées suite notamment à la mobilisation populaire, un citoyen de le ville d’Oum Elbouaghi a écopé, lui, de deux années de prison ferme et d’une amende.
L’Etat marocain n’est pas en reste. Comme son voisin, il exclut les non-musulmans de la possibilité de recueil légal de mineurs qui est réservé aux seuls Musulmans (Loi n°15-01 relative à la prise en charge des enfants abandonnés). Le Code de la nationalité marocaine affirme clairement la nationalité marocaine est réservée exclusivement aux personnes issues de communautés parlant la langue arabe ou ayant l’islam comme religion (Loi 62-06 promulguée par le dahir n° 1-07-80 du 23 mars 2007 ; B.O. n° 5514 du 5 avril 2007).
Atteintes aux libertés.
A côtés des multiples discriminations dont sont victimes Imazighen au quotidien partout à travers l’Afrique du Nord, il y des atteintes aux libertés fondamentales qui visent des citoyens parce qu’ils sont amazighs.
Le droit de donner à son enfant le prénom de son choix demeure un droit remis en cause. Les prénoms amazighs sont quasi-systématiquement refusés et interdits dans la majorité du territoire nord-africain. Les autorités marocaines, et malgré les recommandations notamment du CERD et du CESCR, refusent dans divers cas de permettre aux Marocains d’accéder à ce droit : pouvoir donner des prénoms amazighs à leurs enfants.
Encore récemment, le Consulat du Maroc à Lille a refusé d’enregistrer une fille dont le prénom est MAZILIA TARA sous prétexte que ce prénom n’était pas marocain.
Human Right Watch (HRW) a dressé toute une liste de cas recensés au Maroc. L’ONG a d’ailleurs adressé une lettre en date du 16 juin 2009 au Ministre de l’Intérieur marocain pour lui demander des explications quant à ces refus.
L’Etat marocain a décidé la dissolution et l’interdiction du Parti démocratique amazigh en avril 2008 pour le motif que ce parti est fondé sur des critères ethniques. Plusieurs associations culturelles amazighes se sont vues refuser leur enregistrement par l’administration ce qui ne leur permet pas de mener leurs activités et de prétendre aux aides de l’Etat. Plusieurs activités ayant trait à la question amazighe ont été simplement interdites aussi bien par l’Etat algérien que l’Etat marocain.
Si on rajoute à tout cela la discrimination devant la Justice à savoir que les populations amazighes n’ont pas la possibilité de s’exprimer dans leur langue devant les Juges qui s’expriment exclusivement en langue arabe, ce qui remet en cause la notion même de jugement équitable. Si on rajoute les discriminations dans l’accès à l’information et à la culture dans la mesure où les médias (journaux, télévisions et radios) sont quasi-exclusivement en langue arabe. On se rend compte aisément du déni identitaire fait aux Imazighen et à cette dimension plusieurs fois millénaire qui est l’âme même de l’Afrique du Nord. Ce déni est voulu par des régimes acquis à l’idéologie arabo-musulmane dont le seul objectif demeure l’éradication de l’amazighité de l’Afrique du Nord.
Aujourd’hui cette situation est inadmissible et ne peut plus durer. C’est pourquoi les défenseurs des droits de l’Homme, comme moi, qui activent en Afrique du Nord et ailleurs, œuvrent sans relâche pour que ces politiques discriminatoires et répressives, qui n’ont que trop duré, cessent et que Imazighen accèdent à leurs droits fondamentaux et à leur souveraineté. Et les actions que nous menons auprès des instances onusiennes contribuent à cela.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention et je renouvelle mes remerciements au Haut Commissariat des droits de l’Homme des Nations qui m’a offert cette occasion de faire entendre la voix des Imazighen à l’occasion de cette table ronde.