24 mars 2023

Retour vers la variabilité naturelle

Les lecteurs attentifs se souviendront que j'avais conclu un billet précédent en faisant remarquer que les climatologues proches du GIEC invoqueraient, tôt ou tard, les effets de la variabilité naturelle encore ignorés par les modèles (après avoir longtemps affirmé que la variabilité naturelle, c'est à dire les variations naturelles du climat en l'absence de contribution anthropique, était comprise et correctement prise en compte dans les modélisations).

De fait, nous assistons actuellement à une sorte de retour en arrière du processus de la recherche initié par la mise en place du GIEC qui est maintenant atteint de la "paralysie du paradigme" selon les mots de Judith Curry, vers une analyse plus proche de la méthode scientifique traditionnelle évoquée notamment par le Professeur Bob Carter.
S'agissant de l'analyse de l'influence des émissions anthropiques sur le climat de la planète, la méthode scientifique traditionnelle aurait consisté à rechercher, tout d'abord, l'ensemble des paramètres qui influent, de manière naturelle, sur le climat, c'est à dire en l'absence de forçage anthropique. Ceci aurait permis d'expliquer les causes des importantes variations climatiques des temps passés et notamment, parmi celles-ci, la plus proche de nous, l'intervention du petit âge glaciaire (du XVIIIe au début de XXe siècle) qui est très bien documentée et incontestée.

Ceci étant bien compris et modélisé, il aurait alors été possible d'observer et d'analyser les effets de la superposition d'un éventuel forçage anthropique.

Comme le savent les lecteurs(trices) de ce site, ce n'est pas cette méthode qui a été choisie. Le GIEC a été créé avec pour mission d'identifier, d'emblée, les effets anthropiques sur le climat. Cette inversion du processus scientifique traditionnel semble s'être, à présent, retournée contre ses initiateurs.
En effet, les climatologues proches du GIEC ont affirmé, pendant plus de deux décennies que "the science is settled" ("la science est comprise") et qu'ils avaient bien pris en compte l'ensemble des facteurs influençant le climat de la planète. De nos jours, les observations objectives mettent en évidence la divergence croissante entre les modèles et les observations et les climatologues se voient contraints d'effectuer un retour en arrière vers l'analyse des facteurs qui contribuent naturellement aux changements climatiques et qui ont été omis dans les modèles.
Sans aucun doute, certains penseront que c'est là beaucoup de temps perdu par rapport à ce qui aurait pu et dû être fait depuis le début.

Voici donc des extraits de deux articles parus, tout récemment, dans la revue Nature dont on sait qu'elle n'a jamais hésité à promouvoir les thèses du GIEC au détriment des avis opposés. Il s'agit d'analyses plus globales que celles proposées dans les articles spécialisés. Ces articles ont été rédigés par des contributeurs de la revue. Même s'ils sont loin d'être parfaits, je les ai choisi pour leurs qualités pédagogiques et parce qu'ils sont destinées à un public averti mais non spécialiste. Je donne de très larges extraits du premier article et de brèves citations du second.

Ces deux articles sont naturellement relatifs au plateau (ici souvent appelé "hiatus" – le choix du vocabulaire est signifiant) qui fait allusion au fait que la température moyenne à la surface de la planète ne varie plus de manière significative depuis quelques 16 ou 17 années consécutives, ce qui constitue une divergence considérable par rapport aux modèles du GIEC et ceci en dépit d'une croissance persistante du taux de CO2 atmosphérique durant cette même période.
La littérature scientifique de ces derniers mois a été enrichie d'un nombre importants de publications cherchant un explication rationnelle pour ce "plateau" ou ce "hiatus". Pour l'instant, plusieurs explications ont été avancées et les avis divergent. Chacun défend ses positions sans que l'on parvienne à un consensus.
En francophonie, on vous assure, urbi et orbi que tout va bien, que "la science est solide", que les choses sont claires en matière de climatologie.
Rien n'est plus loin de la vérité, comme vous allez le voir.

1) Kevin Trenberth et la chaleur (toujours) manquante : C'est la faute des oscillations océaniques et, notamment, de la PDO.
L'article de la revue Nature qui suit repose essentiellement sur un article récent de Kevin Trenberth (du NCAR US) qui se pose de graves questions et tente une explication sur la divergence constatée entre les modèles du GIEC et les observations objectives. Son explication est une alternative à quelques autres, totalement différentes, qui viennent d'être publiées par d'autres auteurs. Un débat très animé est en cours. Sans aucun doute, Kevin Trenberth fait partie du Top-ten des climatologues proches du GIEC où son influence a été déterminante.

Nature 505, 276–278 (16 Janvier 2014) doi:10.1038/505276a:
Changement climatique : la problématique de la chaleur manquante.

tollefson

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici une traduction presque complète de cet article. Comme à l'accoutumée, les encadrés en couleur différente du fond sont des traductions des textes originaux. Sauf pour les sous-titres, les caractères engraissés dans le corps du texte, le sont par l'auteur de PU.

"Changement climatique : l'affaire de la chaleur manquante
Plongés depuis seize ans dans le "hiatus du réchauffement climatique", les scientifiques reconstituent le puzzle d'une explication.

Le plus grand mystère actuel des sciences du climat a peut-être pris corps, alors qu'il était ignoré jusque là, avec un affaiblissement subtil des vents tropicaux qui soufflent sur l'Océan Pacifique à la fin de l'année 1997. Normalement, ces vents poussent les eaux réchauffées par le soleil vers l'Indonésie. Lorsqu'ils faiblissent, l'eau chaude est reversée vers l'Amérique du Sud, ce qui se traduit par un phénomène connu sous le nom d'El Niño – la température moyenne du globe a atteint une valeur record en 1998 – puis le réchauffement s'est arrêté.

Pendant plusieurs années, les scientifiques ont ignoré la pause au motif des fluctuations du système climatique : les variations naturelles de l'atmosphère, des océans et de la biosphère qui pilotent des épisodes chauds et froids du globe. Mais la pause a persisté ce qui a déclenché une crise mineure dans ce domaine de recherche. Tout en présentant des sauts et des creux, la température moyenne de l'atmosphère n'a monté que très peu depuis 1998, contredisant ainsi apparemment les projections des modèles et en dépit des émissions toujours croissantes des gaz à effet de serre. Les sceptiques du climat ont tiré parti de la tendance des températures comme un élément de preuve que le réchauffement climatique s'était arrêté. Pendant ce temps-là, les scientifiques savent que la chaleur doit quand même augmenter quelque part dans le système climatique mais ils se sont trouvés en difficulté pour expliquer où cette chaleur s'en allait si ce n'était pas dans l'atmosphère. Certains ont commencé à se demander s'il n'y avait pas quelque chose de faux dans leurs modèles.

A présent, alors que le hiatus du réchauffement climatique entre dans sa seizième année, les scientifiques sont enfin rentrés bille en tête dans la problématique de la chaleur manquante. Certains ont pointé le soleil, les volcans et jusqu'à la pollution chinoise en tant que responsables mais des études récentes suggèrent que ce sont les océans qui sont la clef de l'anomalie. Le dernier suspect en date est l'El Niño de 1997-1998 qui a pompé des quantités prodigieuses de chaleur des océans jusque dans l'atmosphère – peut-être suffisamment pour faire basculer le Pacifique équatorial dans un refroidissement prolongé qui a oblitéré la hausse des températures du globe depuis lors.

"L'événement El Niño de 1997 à 1998 a été le déclenchement pour des changements dans le Pacifique et je pense que c'est très probablement le début du hiatus" dit Kevin Trenberth qui est un climatologue au NCAR (Centre National pour la Recherche Atmosphérique) de Boulder au Colorado. Selon cette théorie, le Pacifique tropical pourrait sortir de sa torpeur prolongée de période de froid dans les années à venir. "A la fin", dit Trenberth, "il rebasculera dans l'autre direction" (NdT : sans doute, mais la période de la PDO est de 60-70 ans ce qui fait que cet événement pourrait se produire dans une vingtaine d'années environ).

Un contraste brutal

Vu sur un graphique des températures atmosphériques du globe, le hiatus contraste de manière saisissante avec le réchauffement rapide des deux décennies qui l'ont précédé (Ndt : voir graphique ci-dessous) Les simulations préalablement réalisées selon le GIEC suggèrent que le réchauffement aurait dû se poursuivre avec un taux moyen de 0,21°C par décennie de 1998 à 2012 au lieu du réchauffement observé qui est seulement de 0,04°C par décennie mesuré par le Met Office du Royaume Uni à l'Université de East Anglia à Norwich.
L'explication la plus simple pour le hiatus et pour la divergence avec les modèles est la variabilité naturelle. Tout-à-fait comme il y a des variations entre le chaud et le froid dans le temps qu'il fait d'un jour sur l'autre, les fluctuations chaotiques du climat peuvent propulser les températures vers le bas ou vers le haut d'une année sur l'autre ou d'une décennie sur l'autre. Les données sur les climats du passé montrent des vagues de chaleur ou de froid qui ont duré longtemps et les modèles du climat suggèrent que ceci peut se produire quand le monde se réchauffe sous l'influence des gaz à effet de serre.

Mais aucune des simulations du climat effectuées pour le GIEC n'a engendré ce hiatus particulier à cette période particulière. Ceci a conduit les sceptiques – et quelques scientifiques – à la conclusion controversée que les modèles auraient pu surestimer les effets des gaz à effet de serre et que le réchauffement futur pourrait ne pas être aussi fort que ce qui était redouté"[…].

Voici le relevé de température moyenne (1997-2014) du globe établi par les mesures satellitaires RSS-MSU (qui dispose des données pour le mois de Février 2014)rss-msufev

 

C'est ce que Jeff Tollefson (et Trenberth) appellent "le hiatus" et que quelques autres nomment "la pause".
Pour ma part, comme Pachauri, je préfère utilise le terme de "
plateau" car il n'implique rien sur son avenir…que personne n'est réellement en mesure de prévoir.

 

 

Tollefson qui adhère manifestement aux raisonnements de Trenberth, survole rapidement les autres explications concurrentes et déjà publiées (soleil, volcans, aérosols etc.) pour le "hiatus" et les rejette.

"Mais même les scientifiques qui restent confiants dans les modèles de base, reconnaissent qu'il y a une demande croissante pour expliquer ce qui se passe de nos jours.. "Il y a quelques années, vous voyiez le hiatus, mais on pouvait l'écarter parce qu'il était bien noyé dans le bruit" dit Gabriel Vecchi qui est climatologue à la NOAA (laboratoire de dynamique des fluides de Princeton, New Jersey). A présent, "c'est une chose qu'il nous faut expliquer".

Les chercheurs ont suivi différentes pistes au cours des dernières années en se focalisant essentiellement sur trois facteurs : le Soleil, les particules aérosols dans l''atmosphère et les océans. La puissance énergétique du soleil tend à augmenter ou à diminuer avec un cycle de 11 ans mais le soleil est rentré dans une phase d'endormissement au tournant du millénaire. Le cycle naturel approche actuellement de son maximum mais jusqu'à présent il a connu le maximum solaire le plus faible depuis cent ans. Ceci pourrait aider à expliquer le hiatus et la divergence avec les simulations numériques qui impliquent une irradiance solaire plus forte que celle que la Terre a reçue depuis 2000.

Une augmentation inattendue des particules aérosols dans la stratosphère pourrait aussi être un facteur refroidissant la Terre plus qu'il n'avait été prédit. Ces particules renvoient la lumière du soleil dans l'espace et les scientifiques soupçonnent que les petits volcans – et peut-être jusqu'à l'industrialisation de la Chine – auraient pu pomper des aérosols supplémentaires dans la stratosphère pendant 16 ans, provoquant une baisse des températures du globe.

Certains ont avancé l'idée que ces deux facteurs pouvaient être les principaux facteurs du hiatus mais des études publiées durant les années récentes suggèrent que leurs effets sont probablement relativement petits. Trenberth, par exemple, a analysé leurs impacts sur la base des mesures satellitaires de l'énergie qui rentre et qui sort de la planète et il a estimé que les aérosols et l'activité solaire ne pouvaient rendre compte que de 20% du hiatus. Ceci laisse le gros du hiatus aux océans qui représentent de gigantesques éponges à chaleur. Et c'est alors que les projecteurs se sont braqués sur la zone équatoriale du Pacifique."[…]

Jeff Tollefson donne ici une introduction (non traduite) aux événements météorologiques bien connus (sécheresses, inondations etc.) associés aux phénomènes El Niño-La Niña (l'ENSO). Il passe sous silence le fait que les phénomènes "extrêmes" qu'il décrit, sont répétitifs et très bien connus. Ils ont notamment été observés par Charles Darwin (1831-1836) lors de son voyage d'étude puis identifiés avec l'ENSO à la fin du XIX e siècle.
Tollefson évoque ensuite l'Oscillation Pacifique Décennale en ces termes:

"Souffler le chaud et le froid

Cette variation de la température océanique connue sous le nom d'Oscillation Pacifique Décennale (PDO Pacific Decadal Oscillation), pourrait être une pièce cruciale du puzzle posé par le hiatus. Le cycle se renverse tous les 15 à 30 ans et, lors de sa phase positive, l'oscillation favorise El Niño qui tend à réchauffer l'atmosphère. Après avoir relâché de la chaleur pendant quelques décennies à partir du Pacifique Est et du centre, la région se refroidit et entre dans la phase négative de la PDO. Cet état tend à favoriser La Niña qui apporte des eaux fraîches venant des profondeurs le long de l'équateur tendant à refroidir la planète. Les chercheurs ont identifié la signature de la PDO en 1997 mais ce n'est que récemment qu'ils ont commencé à comprendre comment elle s'articule au sein du processus général de la circulation océanique et dans quelle mesure elle peut aider à expliquer le hiatus.

Une découverte importante est intervenue en 2011 lorsqu'une équipe du NCAR dirigée par Gerald Meehl a expliqué que si on incluait le comportement de la PDO dans les modèles climatiques globaux, cela introduisait des interruptions de durée décennale dans le réchauffement climatique. Les observations des données des températures océaniques durant le récent hiatus révèlent, dans une étude plus récente, comment les chercheurs du NCAR (NdT, Trenberth et al qui pensent que la chaleur perdue s'est réfugiée au fond des océans) ont montré qu'un surplus de chaleur s'est déplacé dans les profondeurs océaniques après 1998, ce qui a contribué à empêcher le réchauffement de l'atmosphère. Dans un troisième article, l'équipe des mêmes chercheurs a utilisé des modèles numériques pour documenter le processus de renversement quand la PDO bascule dans sa phase positive alors que celle-ci échauffe la surface de l'océan et l'atmosphère, contribuant ainsi à plusieurs décennies de réchauffement rapide.

Une percée décisive est survenue l'année dernière de la part de Shang-Ping Xie et Yu Kosaka de la Scripps Institution of Oceanography à La Jolla en Californie. Les deux chercheurs ont utilisé un procédé différent en programmant un modèle qui inclut les températures de surfaces réelles pour les dernières décennies dans la région Est du Pacifique équatorial pour voir ce qui arrivait pour le reste du globe. Non seulement leur modèle a recréé le hiatus de la température du globe mais il a aussi reproduit les tendances climatiques saisonnières et régionales qui ont accompagné le hiatus y compris le réchauffement dans beaucoup de zones et des hivers nordiques plus froids.

"ça a été une révélation pour moi quand j'ai vu cet article" dit John Fyfe qui est modélisateur du climat au Centre Canadien pour la Modélisation Climatique et d'Analyse dans le Victoria. Mais, a-t-il ajouté, ça n'explique pas tout. " Cela a contourné la question sur la cause qui pilote le refroidissement tropical".

Ceci a été étudié par Trenberth et John Fasullo (NdT : également auteurs d'un célèbre 'bilan énergétique de la Terre) qui est aussi du NCAR, lesquels ont impliqué les vents et les données sur les océans pour expliquer comment ce processus s'enclenche. Leur étude explique comment les vents dominants associés à La Niña aident à pousser les eaux chaudes vers l'Ouest et, finalement, à les enfouir dans les profondeurs tout en activant la hausse des eaux froides le long de la zone de l'Est équatorial. Dans les cas extrêmes comme celui de La Niña de 1998, ceci est capable de forcer l'océan dans une phase froide de la PDO.

Une analyse des données historiques est venue conforter leurs conclusions, montrant que la phase froide de la PDO a coïncidé avec quelques décennies de refroidissement après la Seconde Guerre Mondiale, et que la phase chaude a coïncidé avec la montée rapide de la température du globe de 1975 à 1998.

"Je crois que les éléments de preuve sont assez clairs" dit Mark Cane qui est climatologue à l'Université de Columbia à New York. "Ce ne sont pas les aérosols ou la vapeur d'eau stratosphérique (NdT : explications avancées par des équipes concurrentes). Il s'agit d'une décennie de températures plus basses dans la zone Est du Pacifique équatorial."pdonature

 

 

 

 

 

 

 

 

 

jisao-hadcrut

Le graphique ci-dessus superpose les variations temporelles de l'indice PDO (JISAO- Université de Washington) avec la courbe des températures. Ce graphique montre que la température s'est élevée pendant les périodes 1920-1945 d'une part et 1976-1998 d'autre part, de manière synchrone avec les indices PDO positifs (en rouge sur le graphe du haut). Par contre, la période durant laquelle l'indice PDO a été négatif (en bleu sur la courbe du haut) a effectivement correspondu avec une période de stagnation ou de refroidissement de la température.

J'ai réalisé une autre version de la même superposition qui est peut-être plus explicite encore, car moins étirée que celle de cet article de Nature. Elle superpose l'indice PDO-JISAO (1900-2013) donné par l'Université de Washington et les données mensuelles de l'anomalie de température HadCRUT4, de 1900 à Janvier 2014.

La voici ci-contre. On aperçoit ici deux points de basculement particulièrement visibles.

D'une part, le refroidissement brutal de la PDO vers 1946 qui a coïncidé avec une baisse de la température (qui faisait craindre la survenue d'un petit âge glaciaire à l'époque) qui s'est prolongée jusqu'en 1980 où un nouveau renversement de la PDO a coïncidé avec la hausse récente des températures qui s'est prolongée jusqu'à la fin du XXe siècle.

Il apparaît que la PDO a de nouveau basculé dans un régime froid depuis quelques années. La température du globe a stagné depuis lors.

A noter que les climatologues avaient, jusqu'à récemment, attribué le "hiatus" de 1945 à 1976 aux aérosols et non pas à la phase négative de la PDO. D'autre part, dans son dernier rapport, l'AR5, le GIEC affirme que l'influence anthropique ne s'est fait sentir que depuis 1950. Dès lors, on peut se demander ce qui a provoqué une hausse de température identique à celle de 1976-1998 pendant les années 1910-1946. L'intervention de la PDO permet d'expliquer la succession des trois épisodes comme l'avaient déjà remarqué plusieurs chercheurs indépendants du GIEC (Voir la section 2, ci-dessous).

Un débat houleux

Cane a été le premier à prédire le refroidissement actuel du pacifique, bien que les implications ne fussent pas claires à l'époque. En 2004, lui et ses collègues ont trouvé qu'un simple modèle climatique régional prédisait un basculement chaud dans le Pacifique qui avait commencé en 1976 quand la température du globe a commencé à augmenter rapidement. En y réfléchissant après coup, ils ont conclu leur article avec une simple prévision. "quelle que soit sa valeur, le modèle prédit que le El Niño de 1998 a marqué la fin de période chaude du Pacifique tropical post-1976."

C'est un résultat étonnamment exact mais ce travail reste fortement contesté, en partie parce qu'il est basé sur un modèle simplifié du climat qui se concentre seulement sur la zone Pacifique équatoriale. Cane poursuit en remarquant que la tendance durant le siècle passé a été vers un réchauffement dans le Pacifique Ouest (NdT : du fait de la survenue de nombreux El Niños durant cette période) par rapport à la zone Est. Ceci ouvre la porte, dit-il, à la possibilité que le réchauffement dû aux gaz à effet de serre pilote les situations La Niña et pourraient continuer à le faire dans le futur contribuant à supprimer le réchauffement climatique. "Si tout ceci est vrai, il existe une rétroaction négative et si nous ne la prenons pas en compte dans nos modèles ces derniers surestimeront le réchauffement" dit-il.

Il y a deux défauts potentiels dans cette attribution. Tout d'abord, les données historiques sur les températures des océans sont notoirement imprécises ce qui a conduit de nombreux chercheurs à contester les affirmations de Cane que le Pacifique équatorial avait basculé vers des conditions plus riches en La Niña durant le siècle passé. Ensuite, de nombreux chercheurs ont trouvé des processus opposés dans les simulations numériques des modèles climatiques qui calculent les interactions entre l'atmosphère et les océans au delà du Pacifique équatorial. Ces simulations tendent à montrer une tendance vers plus de conditions du type El Niño résultant du réchauffement climatique.

La différence semble résider dans le mécanisme par lequel le réchauffement influence l'évaporation dans des zones du Pacifique, selon Trenberth. Ce dernier dit que les modèles suggèrent que le réchauffement climatique a un plus grand impact sur les températures dans la zone Est relativement froide parce que l'augmentation de l'évaporation ajoute, là-bas, de la vapeur d'eau dans l'atmosphère augmentant ainsi le réchauffement atmosphérique. Cet effet est plus faible dans la région plus chaude du Pacifique Ouest où l'air est déjà saturé d'humidité.

Les scientifiques auront la possibilité de tester leurs théories dans un assez proche avenir. Pour ce qu'il en est actuellement, les vents tropicaux forts poussent encore plus d'eau chaude vers l'Ouest, vers l'Indonésie, approvisionnant des tempêtes telles que le typhon Haiyan de Novembre dernier (NdT : malheureusement, les études montrent que cette saison cyclonique n'a rien d'exceptionnel) et repoussant les eaux du Pacifique Ouest qui sont maintenant de quelques 20 cm plus hautes que celles du Pacifique Est. Tôt ou tard, cette tendance va inévitablement se renverser. "Vous ne pouvez pas continuer à empiler des eaux chaudes dans le Pacifique Ouest" dit Trenberth "Il arrivera que l'eau montera si haut que la tendance va se renverser". Et quand ceci se produira , si les scientifiques sont sur la bonne piste, la chaleur manquante va réapparaître et les températures vont remonter de nouveau." (NdT : Autrement dit, ces scientifiques attendent le prochain El Niño qui ne manquera pas de se produire et de faire monter (un peu) la température comme l'a fait le fort El Niño de 2010 avant que celle-ci ne retombe… )

Comme vous l'avez constaté, l'auteur de ce billet est un supporter des idées de Kevin Trenberth qui est également l'auteur d'un article que j'avais commenté sous le titre "A la recherche de la chaleur perdue": Dans l'état actuel des choses, Trenberth pense que la chaleur "perdue" s'est réfugiée dans les profondeurs des océans. Nous verrons plus loin ce qu'en pense une de ses collègues, Judith Curry.

Voici le lien de l'article dont s'est largement inspiré Jeff Tollefson pour son billet dans Nature :
" Un hiatus apparent dans le réchauffement climatique ?" (Open Access)
Kevin E. Trenberth and John T. Fasullo

Un article (open access) rédigé sensiblement dans le même esprit que celui qui est traduit ci-dessus, est paru dans la revue Science, concurrente de Nature,. Il est intitule :"The pacific tropical ocean : Back in the driver's seat ?" : "L'océan Pacifique tropical : De retour aux commandes ?"

2) Les prédécesseurs oubliés :

Les lecteurs(trices) attentifs(ives) de Pensee-Unique.fr se souviendront que j'ai souvent évoqué, notamment dans ce billet qui date d'Oct. 2009 , les publications ou les observations de divers chercheurs, climatologues ou météorologues, qui avaient déjà mis en évidence la coïncidence assez remarquable qui existe entre les phases océaniques de la PDO et de l'AMO (l'Oscillation Multidécennale Atlantique) et les variations de la température terrestre que les chercheurs proches du GIEC comme Trenberth et Fasullo remettent à l'ordre du jour. aleo3

En voici deux exemples, parmi bien d'autres ::

 


Une publication ( Energy and Environnment, 21, 437-460, Sept. 2010) de Joseph d'Aleo et Don Easterbrook qui analysent ces corrélations observationnelles et dont la figure ci-contre est extraite.

Comme on le voit, ces auteurs avaient, dès 2009, observé que les variations de la température globale suivent d'assez près les évolutions d'une combinaison de la PDO et de l'AMO.

 

 

 

De même William Gray (un spécialiste renommé des ouragans) avait proposé le graphique suivant lors d'un colloque mentionné dans cet autre billetgray2.

 

William Gray avait basé ses analyses sur l'évolution des courants océaniques. Tout comme Judith Curry (basé sur l'AMO, voir ci-dessous), Syun Ichi Akasofu et quelques autres, Gray prévoit un abaissement de la température globale dans les années à venir.

 

 

 

3) Un deuxième article, tout récent, publié dans Nature Climate Change est intitulé "Heat hide and seek" (La chaleur joue à cache-cache)
. Nature Climate Change est une sous-section, nouvellement créée, de Nature, destinée à rassembler les articles sur le climat. L'auteur, Lisa Goddard est membre du "International Research Institute for Climate and Society, Columbia University, Palisades, New York 10964, USA.". Elle met, sans ambages, le doigt sur un point crucial.

goddard1

 

 


Nature Climate Change 4, 158–161 (2014) doi:10.1038/nclimate2155

Voici un extrait significatif de cet article qui fait référence au précédent et que l'on ne s'attendait certainement pas à voir un jour publié dans Nature :

"Il est intéressant de constater que personne n'évoque ouvertement l'autre versant de cette situation : l'accélération du réchauffement climatique. Les années 1970 jusqu'au milieu des années 1990 ont connu une période positive de l'Oscillation Pacifique Décennale et ont vu une accélération du réchauffement. Si vous acceptez les arguments sur l'effet d'une phase négative sur le réchauffement, alors, une phase positive de la PDO aurait dû avoir un résultat opposé."[..]

"Les informations requises pour gérer les risques et les opportunités des futurs changements climatiques, qu'ils soient naturels ou résultent de l'action humaine, doivent reposer sur une science solide. La science part de bonnes observations et d'une bonne synthèse. Mais les choses ne doivent pas d'arrêter là. Elle doit servir aussi à une meilleure compréhension, à un meilleur suivi et à des prédictions qui vont de la variabilité interannuelle aux décennales et de ses manifestations quant à un changement de la moyenne climatique."


On en saurait mieux dire tout haut ce qui vient immédiatement à l'esprit de tous les observateurs :
A partir du moment où on invoque l'effet de la phase négative de la PDO pour expliquer l'absence de réchauffement depuis 16 ou 17 ans, comme le font Trenberth et Fasullo, il est difficile de nier que la phase positive précédente a contribué au réchauffement de la période précédente (1976-1998) qui est précisément celle qui est censée démontrer l'influence anthropique, selon le GIEC.

Mais, évidemment, la reconnaissance de la contribution de la phase positive de la PDO durant la période 1976-1998 impliquerait que l'effet des gaz à effet de serre a été largement surestimé par les modèles. Dès lors, il faudrait en tenir compte dans les modélisations ce qui conduirait inévitablement à une diminution de la sensibilité au CO2, et donc, à des prédictions, pour le futur, nettement en retrait par rapport à ce qu'affirment les contributeurs au GIEC.

D'autre part, ces observations sur l'importance de la variabilité naturelle des océans, auparavant négligée, mettent à mal un des arguments essentiels développé par le GIEC depuis sa création. Ce dernier affirmait qu'il était impossible de modéliser les variations du climat sans tenir compte du CO2 anthropique parce que, selon les rapports du GIEC, la variabilité naturelle (supposée connue et prise en compte à l'époque) ne suffisait pas.
De fait si les contributeurs du GIEC (comme Trenberth) admettent maintenant que la variabilité naturelle a été capable de stopper, au moins temporairement, le réchauffement climatique, ceci implique nécessairement qu'ils n'en savaient pas assez sur l'importance de la variabilité naturelle sur l'évolution du climat et que leur argumentation était invalide. C'est très précisément ce qui a motivé le commentaire de Richard Lindzen ("Leur excuse pour l'absence de réchauffement durant les 17 dernières années est que la chaleur s'est cachée dans les profondeurs des océans. Mais ceci est la simple reconnaissance du fait que les modèles ne simulent pas les échanges de chaleur entre les couches de surface et les profondeurs des océans") que j'avais rapporté dans un billet précédent.

A l'évidence, tout ceci est extrêmement dérangeant pour le GIEC qui affirme pourtant être certain à 95% de son diagnostic. Ainsi, la remarque de Lisa Goddard "Il est intéressant de constater que personne n'évoque ouvertement l'autre versant de cette situation…" prend tout son sens.

En résumé, comme on pouvait le prévoir, l'introduction de la variabilité naturelle dans les explications de la "pause", rendue indispensable par les observations directes du comportement réel la Nature, pose des problèmes très épineux aux modèles des contributeurs du GIEC.

4) Le point de vue Judith Curry: "Sur la signification de la "pause" et ses implications"

Il ne s'agit ici que d'un bref résumé d'une conférence présentée à une assemblée de physiciens (la Société de Physique de Denver).

"Signification de la pause.

Dans les conditions du forçage par l'effet de serre anthropique,

  • Seulement 2% des simulations numériques des modèles du climat reproduisent des tendances à l'intérieur du domaine des incertitudes observationnelles.
  • Les pauses modélisées de plus de 15 ans sont rares et la probabilité d'une pause modélisée qui dépasse 20 ans est quasi nulle.

Les questions posées par la divergence entre les observations et les modèles

  • Les modèles climatiques sont-ils trop sensibles au forçage par les gaz à effet de serre ?
  • Le traitement de la variabilité naturelle par les modèles climatiques est-il incorrect ?
  • Le niveau de confiance "extrêmement probable" concernant l'attribution anthropique depuis 1950 est-il justifié ?
  • Les projections des modèles climatiques pour le XXIe siècle sont-elles trop élevées ?
  • Quelle confiance accordons-nous aux observations ?

I- Où se trouve la chaleur cachée ?

Hypothèse I
: Elle DOIT se cacher dans les océans.

  • Les évidences de la séquestration dans les profondeurs océaniques sont indirectes. Peu d'observations de la température des fonds océaniques avant 2005.
  • Les modèles océaniques ne transfèrent de chaleur nulle part dans le sens vertical aussi efficacement que décrit dans les réanalyses ECMWF.
  • Les inquiétudes au sujet de la chaleur remontant en surface semblent injustifiées si la chaleur est bien mélangée, du fait des contraintes du second principe de la thermodynamique.

Hypothèse II : Il n'y a PAS de chaleur cachée. Les changements de l'ennuagement se sont traduits pas une réflexion accrue de la lumière solaire.

  • Les données satellitaires sur les nuages du globe ne remontent qu'à 1983. Les problèmes d'étalonnage compliquent les analyses des tendances.
  • Les analyses de l'équilibre énergétique du globe sont affectées par des incertitudes importantes.

II. Peut-être les modèles sont-ils OK. Le problème se trouverait dans le forçage externe.

Il y a des désaccords significatifs dans les différentes données sur les forçages.
Les simulations CMIP5 (NdT : c'est à dire les plus récentes utilisées dans l'AR5 du GIEC) ont été forcées avec des données correspondant à "la meilleure estimation".
Aucun effort systématique n'a été effectué afin de préciser les incertitudes pesant sur ces données non plus que sur la sensibilité des modèles climatiques aux incertitudes du forçage."

A noter que Judith Curry a récemment publié (avec Marcia Wyatt) un article ( “Role for Eurasian Arctic shelf sea ice in a secularly varying hemispheric climate signal during the 20th century,” (Climate Dynamics, 2013).) basé sur la "ola" (l'onde de stade dont je vous avais parlé) qui évoque aussi la variabilité naturelle des océans (l'AMO) et qui prévoit un refroidissement à venir. J'espère avoir l'occasion de vous l'exposer en détail.

Enfin, comme vous pouvez le constater, ce ne sont pas les "odieux climato-sceptiques" (comme disent ou sous-entendent certains médias ou politiciens) qui qui mettent des bâtons dans les roues des théories du GIEC en vigueur.
C'est la Nature elle-même.

Comme vous le voyez, c'est un feuilleton à rebondissements. Si l'on peut dire.

 

15 mars 2014

 

5 réflexions sur « Retour vers la variabilité naturelle »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


%d blogueurs aiment cette page :