Je ne peux encore la retrouver, mais je me souviens que le point essentiel c’est que si – Si – la société civilisée doit prévaloir sur la société barbare, elle devra nécessairement et tragiquement en être dévaluée par l’expérience comme prix à payer pour la victoire. D’une part parce que les tactiques de guerre civilisée peuvent échouer contre les tactiques de guerre barbares, exigeant ainsi de la part de la société civilisée de transgresser les ” règles ” si elle doit survivre dans une véritable lutte à mort. C’est aussi parce que le conflit lui-même – l’acte de s’engager contre la société barbare – force la civilisation à se confronter, à résister, mais aussi à internaliser des déprédations auparavant inimaginables. Cela aussi est dégradant.
A l’ère de Churchill, le monde le plus civilisé des alliés a été nécessairement diminué dans une mesure insaisissable parce qu’il a fallu obtenir la victoire sur le nazisme barbare. Par exemple, le bombardement de villes, même de centres de transports ferroviaires, se situent au-delà des conventions civilisées, mais cela était une tactique que les alliés ont utilisée pour vaincre Hitler. Bien que justifiable, la civilisation a transgressé une ligne jamais imaginée et non civilisée pour sauver, oui, la civilisation. Puis, il y avait l’Holocauste provoqué par Hitler – acte de génocide selon une échelle et une horreur impensables auparavant. Qui, dans le monde civilisé, aurait jamais imaginé de tuer systématiquement des millions de gens avant Hitler ? Et qui dans le monde civilisé a conservé la même pureté d’esprit ensuite ? La civilisation elle-même en a été pour toujours diminuée.
La question qui se pose par exemple : est-ce que le bombardement de Dresde pour vaincre Hitler, ou bien est-ce que dans la guerre du Pacifique, larguer deux bombes nucléaires pour obliger le Japon à cesser le combat, ont transformé aussi les alliés en barbares ?
Je pense que la plupart des gens diront ” bien sûr que non “, et avancer que de telles mesures de destruction étaient nécessaires pour sauver la civilisation elle-même – et sûrement des milliers de vies de soldats alliés et surtout américains. Mais si cet argument tient à ce jour, c’est parce que nous considérons toujours cette période historique dans sa propre perspective : à savoir, une période au cours de laquelle la vie des alliés – nos pères, maris, frères et fils – comptaient davantage que les vies du côté de l’axe, même celles des femmes et des enfants.
Comme c’est bizarre. C’est à dire, ce n’est plus du tout de cette façon que nous pensons. Si nous continuions de prêter plus de valeur à nos hommes qu’à celle des ennemis, et les civils parmi lesquels ils se cachent – et je parle maintenant de la guerre en Irak – nos tactiques seraient totalement différentes, et ce n’est pas anodin, infiniment mieux couronnées de succès. Nous lâcherions des bombes sur des immeubles dans des villes, par exemple, sans perdre de soldats dans des recherches dangereuses maison par maison. Nous détruirions des sanctuaires ennemis en Syrie et en Iran, sans avoir à désarmer des ” insurgés ” sur des points de contrôle périlleux dans des forteresses irakiennes hostiles.
Au 21ème siècle cependant, il y a quelque chose que notre société place au-dessus de nos propres vies – et au-dessus de la survie de la civilisation elle-même. Ce quelque chose pourrait être décrit comme l’espèce de supériorité morale provenant d’une belle bauge à Abu Ghraib, à Haditha, des interrogatoires de la CIA ou du camp de Guantanamo. Les gens moralement supérieurs – les élites occidentales – ” n’humilient ” jamais des prisonniers, ne tuent jamais des civils, ne torturent et n’incarcèrent jamais des jihadistes. Bien sûr, ils aimeraient tuer, je veux dire, poursuivre en justice, ou au moins lier les mains de tous ceux qui le font. Cela bien sûr, ne fait qu’augmenter leur propre supériorité morale. Mais cela ne fait pas gagner les guerres. Et cela ne sauvera pas la civilisation.
Pourquoi pas ? Parce qu’une telle suffisance masque une paralysie morale massive. Les moralement supérieurs (lire : paralysés) ne prennent pas vraiment parti ; ils ne croient pas qu’une culture est qualitativement meilleure ou moins bonne que l’autre. Ils ne croient même pas qu’une culture est tout simplement différente de l’autre. Ce n’est que dans cette atmosphère de refus de jugement ‘politiquement correct’ et perpétuellement adolescent que quelqu’un pourrait croire, par exemple, que contraindre, forcer ou torturer un terroriste jihadiste pour obtenir de l’information afin de sauver une ville, va saper nos ” valeurs ” de quelque manière. Cela ne sape rien du tout – sauf le jihad.
Est-ce que de telles tactiques diminuent notre supériorité inviolée ? Et comment. Et puis quoi ? L’alternative est de suivre nos précieuses règles et d’espérer que les barbares nous laisseront tranquilles – ou peut-être, ne nous traiteront pas trop durement. Naïve espérance. Envisagez le retour au 21ème siècle (je ne peux pas encore y croire vraiment) des décapitations. A part la première République française [sous la bien nommée ” terreur “, ndt] : Qui aurait jamais imaginé une tête coupée du corps humain, sur la verte et moderne Terre de D.ieu, avant que nous ne soyons confrontés avec le jihad islamique ?
La civilisation elle-même est de nouveau diminuée pour toujours.
Adaptation française de Simon Pilczer