Selon Lomborg, non seulement les choses n’empirent pas, mais elles s’améliorent :
" A l’époque, je ne militais déjà plus pour Greenpeace mais j’en étais assez imprégné pour n’avoir jamais remis en cause cette idée que notre environnement se détériorait. D’où ma stupéfaction qu’on puisse prétendre l’inverse. Je n’aurais pas été plus loin si ce professeur n’avait engagé le lecteur à aller vérifier ce qu’il disait en livrant ses sources, toutes officielles et accessibles. J’ai aussitôt voulu relever le défi avec quelques-uns de mes étudiants, persuadé que nous allions lui donner tort. Il a pourtant fallu nous rendre à l’évidence : il avait raison, le monde va mieux. Ces recherches ont donné lieu à la publication de quatre articles dans Politiken (équivalent du Monde au Danemark) et ont soulevé une polémique incroyable. D’où ce livre.
Si le monde va mieux, c’est pourtant bien parce que des Paul Ehrlich et autres Lester Brown, du Worldwatch Institute, ont tiré la sonnette d’alarme…
B. L. Je ne remets pas en cause le rôle d’alerte de ces personnes et organisations. Je conteste leur argumentation, leur manière d’accuser l’industrialisation de tous les maux et leur catastrophisme.
Prenons la famine. A les écouter, nous allions tous mourir de faim, nos sociétés étant incapables à long terme de nourrir une population en croissance incontrôlée. C’était faux et c’est encore faux : en 1970, 35 % de la population des pays non développés mouraient de faim. En 1996, ils n’étaient plus que 18 % et, selon l’ONU, cette proportion chutera à 12 % d’ici 2010. C’est encore trop, certes, mais il y a du mieux. Si, à l’époque, on avait écouté Ehrlich, un malthusien, on aurait laissé l’Inde mourir de faim. La famine a été évitée par les scientifiques qui ont mis au point fertilisants, pesticides et semences plus résistantes.
Prenons la pollution. Les écologistes accusaient l’industrialisation forcenée des années 50. Faux encore. A Londres, la pollution de l’air atteint son maximum à la fin du XIXème siècle. Soit une concentration de particules (fumée) de plus de 900 microgrammes par m 3 en 1845 et une concentration de 420 µg/m 3 de dioxyde de soufre en 1890. A partir de là, la pollution décline. Aujourd’hui, l’air est aussi sain qu’au Moyen-Age, soit moins de 10 µg/m 3 de particules et de soufre. L’action des Verts a sans doute contribué à une amélioration, tant mieux, mais à partir des années 70 seulement. A l’époque, l’essentiel était déjà fait, non pas grâce à eux mais à cause de changements profonds de la société et des processus industriels, comme l’utilisation de meilleures méthodes de combustion du fuel.
On a pu constater, après la chute du Mur, l’état écologique désastreux de l’Europe centrale et orientale. Cette dégradation de l’environnement ne s’explique-t-elle pas par l’absence de mouvements écologistes dans les pays de l’Est ?
B. L. Je n’ai pas étudié ce cas précisément. Mais j’aurais tendance à penser que la dégradation de l’environnement de ces pays tenait plus à l’absence de démocratie, de contre-pouvoir judiciaire et d’efficacité économique du système qu’à l’absence de mouvement écologique. Quand un industriel pollue c’est à la fois parce qu’il n’est pas économiquement incité à brûler son fuel plus efficacement, parce qu’il ne peut pas être poursuivi et que les citoyens ne sont pas en mesure de refuser l’installation d’une usine près de chez eux.
Pour autant vous ne niez pas les problèmes posés par le réchauffement de la planète tel qu’il se profile aujourd’hui et l’impact de l’activité humaine ?
B. L. Là encore, c’est une question de présentation du problème. L’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), le centre d’études des Nations unies sur le changement climatique, présente des scénarios de réchauffement oscillant entre + 1,4 et + 5,8° d’ici à 2100. Mais les écologistes, comme la plupart des grands médias, anglo-saxons notamment, ne parlent que du scénario extrême. Les suivre sur ce terrain, cela voudrait dire qu’on s’organiserait et qu’on déciderait en fonction du pire. Or il est moins que probable que le pire arrive.
Ce scénario repose en effet sur l’hypothèse qu’on continuerait à consommer l’énergie fossile (charbon et pétrole) au même rythme et en mêmes quantités jusqu’à la fin du siècle. C’est négliger la montée en puissance des énergies renouvelables. Sur les trois dernières décennies, leur coût a diminué de 50 % tous les dix ans. A ce rythme, on aura cessé d’utiliser l’énergie fossile vers 2030. Dès lors que ces énergies renouvelables deviennent compétitives _ elles ne le sont pas aujourd’hui _, il y aurait une absurdité économique à ne pas les utiliser. Cette substitution règle le problème des émissions de dioxyde de carbone, responsables en partie du réchauffement. Le scénario le plus probable est celui d’une augmentation de la température de l’ordre de 2 à 3°.
Mais si le reste de la planète se met à consommer au rythme auquel les pays développés ont consommé jusqu’ici, ne risque-t-on d’épuiser très rapidement les ressources naturelles ?
B. L. Si tous les Chinois s’équipent demain et en même temps d’un réfrigérateur, cela posera sans doute un problème. Mais les choses ne se passent pas comme ça. En tendance longue, on fait d’année en année un meilleur usage de l’énergie et nous vivons dans un monde de plus en plus dématérialisé. D’ici un ou deux siècles, on aura sans doute trouvé une manière moins consommatrice d’énergie de produire de l’aluminium. Les réfrigérateurs que les Chinois achèteront seront plus légers que ceux que nous achetions. De même, on utilisera moins d’acier pour construire les ponts et moins de sable pour fabriquer la fibre optique. On ne sait pas prédire quand et où apparaissent les ruptures technologiques mais, à très long terme, rien n’indique que nous manquerons de ressources. Dans son scénario le plus pessimiste, l’IPCC prévoit que d’ici 2100 le revenu par tête dans le tiers-monde aura le niveau du nôtre aujourd’hui. Et, en admettant même que le coût de l’énergie augmente légèrement (alors qu’il ne cesse de baisser), cela ne sera pas suffisant pour handicaper le développement du reste de la planète.
Comment analysez-vous le protocole de Kyoto qui vise à prévenir le réchauffement du climat en incitant les Etats à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ?
B. L. Le protocole de Kyoto est typiquement le genre de décisions prises sur de mauvaises bases. Son application améliorera très peu la situation pour un coût exorbitant et je pense que l’on peut mieux investir cet argent. Appliqué en l’état, il coûtera entre 150 et 350 milliards de dollars par an. En face, l’aide globale aux pays en développement se monte à 50 milliards de dollars par an. Quant aux investissements en recherche sur l’énergie solaire aux Etats-Unis, ils se résument à 200 millions de dollars par an…
Cela ne vous ennuie pas d’apporter de l’eau au moulin de l’administration Bush qui a refusé de ratifier le protocole au début de l’année ?
B. L. Les débats sur l’environnement sont pollués par la politique. J’ai écrit mon livre en toute indépendance dans le cadre de mes recherches universitaires et sur mon temps libre, sans aucun financement si ce n’est deux cents heures de documentation fournies par mes étudiants. Dans tous les débats où je me présente, je prends soin de préciser que je suis de gauche, ancien de Greenpeace et végétarien. Sinon, l’on m’accuse d’emblée de faire le jeu de la droite et du libéralisme, et l’on ne m’écoute pas. Cela ne me met pas particulièrement à l’aise d’imaginer que je renforce les positions de George W. Bush, mais les faits sont les faits et j’ai ma conscience de scientifique pour moi.
Vous remettez donc en cause la crédibilité des mouvements écologistes ?
B. L. Que l’on soit clair : je préfère un monde avec Greenpeace et consorts qu’un monde sans. Il faut une critique du monde du pouvoir et de l’argent. Mais une critique fondée sur les bons arguments. Les citoyens qui leur accordent plus de crédibilité qu’à leur propre gouvernement doivent cesser de prendre tout ce que disent ces organisations pour argent comptant. Les écouter les yeux fermés peut conduire à des désastres. Imaginez la catastrophe si, à l’époque où l’on parlait de refroidissement de la planète, on avait _ comme certains l’avaient suggéré _ répandu de la suie sur l’Articque et l’Antarctique, pour la réchauffer…
Les collaborations entre les mouvements écologistes et les entreprises, voire aujourd’hui avec les grandes institutions internationales, ne sont-elles pas le signe d’une certaine normalisation de ces questions ?
B. L. Je ne suis pas sûr que l’intérêt général en soit pour autant mieux servi. Dès qu’une contrainte environnementale s’impose nationalement ou internationalement, les entreprises en reportent le coût sur le consommateur. Aujourd’hui, elles ont intérêt à devenir environnementalistes dans la mesure où l’environnement sert leur image. Quant aux partis politiques, si la cause environnementale sert leur réélection, ils servent la cause. Résultat, on en arrive, dans un consensus parfait, à gaspiller beaucoup d’argent sur les mauvais problèmes.
Comment expliquez-vous que cette vision d’une planète allant dans le mur se soit imposée ?
B. L. Comme les entreprises pour vendre, les partis politiques pour se faire élire, ces organisations sont des lobbies qui usent d’une certaine rhétorique pour assurer leur financement par des dons et des adhésions. Pour justifier leur catastrophisme alimentaire, par exemple, ils utilisent un graphique que le Worldwatch Institute a repris de la FAO. Celui-ci montre depuis 1984 une baisse de la production moyenne de céréales par tête dans le monde. Mais cette présentation est partielle et à la limite de la manipulation. Si la moyenne mondiale diminue, c’est à cause du dynamisme démographique des pays en voie de développement. De plus, le graphique complet de la FAO montre que la production par tête dans ces pays n’a cessé d’augmenter sur la période (à l’exception de l’an dernier à cause des inondations en Chine).
J’ajouterai que les bonnes nouvelles font rarement la une des journaux et que les améliorations par défaut passent inaperçues. L’effet El Niño est à cet égard caractéristique. Pour tous les Américains, 1998 a été catastrophique. Or, quand El Niño sévit, il n’y a pas d’ouragans dont les effets sont encore plus catastrophiques. En fait, ça a été une très bonne année, mais personne ne s’en est rendu compte.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et chacun peut retourner à son jardin ? !
B. L. Non, bien sûr. L’état de notre planète n’empire pas, elle va de mieux en mieux, mais il reste encore beaucoup de choses à faire. Mon propos est de présenter le monde tel qu’il est, afin d’éclairer les citoyens de sorte que les décisions soient prises et arbitrées sur des bases saines. Tout le monde veut préserver la planète. Mais cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix et surtout au détriment de causes tout aussi importantes, telles que la santé, l’éducation et le développement du tiers-monde. Nos ressources sont limitées, l’argent que l’on dépense ici ou là n’est pas dépensé ailleurs. L’environnement doit être mis en balance et arbitré dans un cadre plus large.
PASCALE-MARIE DESCHAMPS
(1) Julian Simon est décédé en 1998. Il est l’auteur de The Ultimate Resource, publié en 1981, réactualisé en 1996 (traduction française aux PUF) et de It’s Getting Better all the Time (achevé en 2000 par Stephen Moore). Il explique que les ressources naturelles sont infinies dans la mesure où elles procèdent de l’intelligence humaine. Autrement dit, charbon, pétrole, uranium ne sont devenues ressources que lorsque l’homme a su les exploiter.
Enjeux Les Echos n° 175 du 01 Decembre 2001 • page 120