22 janvier 2025
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Commerce équitable : la pitié comme théorie économique

Heureusement pour eux, les commerçants “équitables” ne visent qu’une petite niche, constituée de moyen-riches des pays riches soignant leur culpabilité en surpayant un tout petit nombre de produits. C’est toujours moins cher que d’acheter un bon livre d’économie ! Mais pour l’association Max Havelaar, le discours tiers-mondiste paie : 200 000 euros par an de la part de notre bon ministère des affaires étrangères et 165 000 de l’Union européenne, les promoteurs du commerce équitable ne sont pas si mauvais en affaires !

Grâce à ce commerce dit “équitable”, environ un million de paysans auraient retrouvé leur dignité en étant payé jusqu’à 4 fois plus qu’avant, ce qui n’entraînerait qu’une augmentation de l’ordre de 10 % du produit final, vu la faible part du producteur dans la chaine de production-distribution. Selon les promoteurs du juste paiement du travail agricole, il faudrait étendre l’équité aux centaines de millions de paysans du Tiers monde encore soumis à la tyrannie des multinationales comme Nestlé, qui s’obstinent à “sous-payer” le café à ses producteurs. Mais c’est oublier deux réactions économiques inéluctables, à chaque bout du monde :

– Du côté des acheteurs du Nord, s’ils augmentent de 10 % tous leurs achats alimentaires venant du Tiers-monde et que leurs revenus n’augmentent pas (ce qui est le cas des Français aux 35 heures) il faudra fatalement qu’ils réduisent d’autant d’autres achats ; consommeront-ils moins de café ou iront-ils moins au restaurant ? De toute façon, il y aura des gens moins bien payés ou mis au chômage à un bout du monde et il se peut que ce soit parmi les mêmes paysans qui viennent d’être augmentés.
– Du côté des vendeurs du Sud, leur soudaine augmentation va vite être convoitée par leurs camarades du voisinage : comme une masse de monnaie supérieure va circuler dans ces régions sans augmentation des richesses produites, tout ce qui sera acheté localement va vite augmenter sous l’effet d’une inéluctable inflation. Ce sera moins le cas de ce qui vient d’ailleurs (machines, voitures, biens technologiques), mais le coût de production de ces biens est tout autant minoritaire en bout de chaîne que pour le café ou le cacao, et la partie “distribution locale” de ces biens subira l’inflation. Partout dans le monde, augmenter la masse monétaire sans augmenter la production crée de l’inflation. L’augmentation substantielle des revenus ne pourra être étendue durablement à tous les petits paysans du Sud, que si ceux-ci augmentent leur productivité, parce qu’ils seront plus motivés ou qu’ils auront mécanisé leur plantation.

Les alteréconomistes justifient l’augmentation du prix aux producteurs par la suppression des intermédiaires. Mais, en économie libre, les intermédiaires ne sont pas là par hasard, et s’il existait des moyens de s’en passer, il y a longtemps que les producteurs du Sud (certes peu informés), mais surtout les acheteurs du Nord (ayant accès à toute l’information nécessaire) les auraient court-circuités. Les pays socialistes ont remplacé les intermédiaires sur les marchés agricoles par des offices étatiques qui ont abouti à la ruine des paysans et à la disette. En France, le scandale de l’abattoir coûteux et inutilisé de la Villette dans les années 70 fut le résultat du même raisonnement pseudo-rationnel. Il n’y a donc guère à gagner de ce côté-là et l’extension du commerce équitable à tous les producteurs risque fort de démontrer qu’on ne peut payer un produit ou une main d’œuvre durablement au dessus du prix du marché mondial.
Le commerce dit “équitable” ne peut marcher que pour une minorité de producteurs d’une minorité de produits achetés par une minorité d’acheteurs. Soit guère au dessus des 0,02 % du commerce mondial qu’il atteint d’aujourd’hui, se limitant au café, au cacao, à la banane et à l’artisanat du chapeau de paille.

Mais alors, n’y a-t-il aucun moyen de rétablir la dignité des paysans sous-payés et exploités ? D’abord, éliminons ce vocabulaire marxiste et falsificateur : être payé au prix du marché du travail n’est pas être “sous-payé”, même si le revenu final parait bien maigre à nos yeux d’occidentaux développés, et il n’y a aucune indignité à travailler dur pour pas grand-chose quand cette situation s’explique par un retard de développement dû à mille raisons historiques, géographiques ou sociologiques. La pauvreté du Sud n’est pas due à la méchanceté du Nord, et, contrairement à ce qu’on a pu entendre sur une chaîne de télévision, soi-disant du service public (en fait, une entreprise publique, assurant tout autant un service public que TF1 ou M6), si la pauvreté se maintient au Brésil, ce n’est pas parce que son Président Lula a préféré obéir au FMI que réaliser ses promesses électorales. Il a obéi au FMI pour supprimer la pauvreté, car la richesse ne s’obtient pas par décret.

Pour supprimer la pauvreté des paysans, il faut faire comme nous dès le XIXe siècle et comme la Chine aujourd’hui : industrialiser les villes pour accueillir l’inéluctable exode rural et augmenter la productivité de ceux qui restent dans les plantations.
Et nous-mêmes, plutôt qu’une pitié inflationniste, il nous faut ouvrir nos frontières pour accueillir les produits de l’industrie du Sud, ne pas craindre des délocalisations pour donner de l’emploi là-bas et rationaliser nos systèmes de distribution, ce qui fera baisser le prix final et augmentera la consommation au Nord, donc la production et les revenus des paysans du Sud.
Il nous reste aussi à trouver de nouveaux produits de haute technologie à fabriquer pour remplacer les emplois partis vers le Sud. Offerts au Sud par solidarité, devrions nous dire pour employer les mêmes mots que les faux-bons altermondialistes.

Le commerce équitable (le vrai), c’est donc la concurrence libre et non faussée (avec la suppression de la PAC), l’acceptation des délocalisations et le développement de la distribution, surtout la “grande” puisque c’est elle qui écoule la majorité des produits du Sud. Et la solidarité avec le Tiers-monde consiste à jouer notre rôle de pays riche capable d’innover pour assurer nos emplois de demain. Mais pour cela, il nous faut travailler plus et mieux, en commençant à l’école, car en Asie, à Sao Paulo ou ailleurs, nombreux sont ceux qui ont déjà rattrapé notre niveau universitaire. Et dans ces pays, contrairement à beaucoup de nos professeurs d’économie néo-marxistes, on a compris que l’économie n’était pas de la magie.

Yves Egal est économiste, urbaniste et écologue

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