Pourtant, il est encore suspect (5) de ne pas voir le verre à moitié vide, et ce depuis cet été 2002 où Jacques Chirac brandit son veto, renforçant Saddam dans son refus de partir alors qu’il en avait accepté le principe comme l’a révélé Amine Gemayel à Jeanne Assouly (6) .
Certes, on concédera l’accalmie –surtout depuis l’arrivée aux commandes du général Petraeus qui applique, -le sait-on ?- les théories d’un stratège…français : David Galula (7) . Mais on avancera que la « guérilla sunnite » collabore parce que les USA payent mieux qu’Al Keida. En est-on si sûr ? Car cette guérilla dit imiter la probité des « pieux ancêtres » et Al Keida ne manque pas de fonds. Ne serait-ce pas parce que le modèle de société benladeniste ne l’aurait guère enthousiasmé ? C’est ce que relate Michael Yon dans Moment of truth in Irak (8) quand il fait état d’amputation de doigts due à l’interdiction de fumer, de têtes coupées et de viols pour l’exemple, de punitions corporelles pour avoir transporté des tomates et des concombres dans le même sac ou de ne pas faire pousser sa barbe.
Á côté, les exhibitions de la prison d’Abou Greib font pâle figure, aussi humiliantes soient-elles, d’autant qu’il s’agissait de mises en scène, à distinguer également des viols et tortures qui se déroulaient dans les prisons sous Saddam, et qui continuent dans les geôles syriennes, égyptiennes et algériennes.
Ce contre argument passe mal : rappeler l’inexistence des droits humains dans les pays « arabes » écorne l’image teintée d’orientalisme gentillet qui les peint, même si elle commence à être démantelée par le travail de certains chercheurs comme Tidiane N’diaye où dans Le génocide voilé il relate comment « alors que la traite transatlantique a duré quatre siècles, c’est pendant treize siècles sans interruption que les arabes ont razzié l’Afrique subsaharienne. La plupart des millions d’hommes qu’ils ont déportés ont disparu du fait des traitements inhumains et de la castration généralisée », ce qui lui fait dire que « le commerce négrier arabo-musulman fut pour l’Afrique noire bien plus dévastateur que la traite transatlantique. Et ce, encore sous nos yeux aujourd’hui (janvier 2008), avec son lot de massacres, avec son génocide à ciel ouvert » (9) .
Du fait de cet orientalisme naïf, l’idée que nombre d’irakiens aient vécu une dictature meurtrière se trouve occultée : l’on assassinait silencieusement, et le thé à la menthe se sirotait calmement au dessus des cuves d’acide et de chaux vive où deux millions de Kurdes, de Chiites, furent plongés lorsqu’ils n’étaient pas gazés; n’oublions pas que les camps d’extermination nazis n’étaient guère connus du grand public, et qu’un célèbre ami, français, de Saddam les considère comme des « détails de la seconde guerre mondiale ».
Certains insistent sur la fuite de la population, deux millions, le manque de tout et l’insécurité ; mais n’aurait-elle pas également fui sous Saddam si les frontières avaient été ouvertes ? Et comment se fait-il qu’une population si policée, si laïque, se soit, du jour au lendemain, transformée en fanatiques, pilleurs, preneurs d’otages, tueurs à gages ? Jeanne Assouly relate les propos de la fille de Tarek Aziz, Zeinab, qui témoigne le 28 mars 2003 alors que les troupes américaines ne sont pas encore dans Bagdad : «Chaque fois qu’on quitte sa maison, on se met en danger. On ne peut plus sortir. Non seulement on doit faire face à l’occupant, mais aussi aux assassins, aux voleurs : le danger est au coin de la rue » (10) .
Il reste l’argument du « mensonge » qui aurait permis de maquiller les motivations du tandem Blair/ Bush. Mais pourquoi Blair aurait-il, jusqu’à la dernière minute, tenter de trouver une solution comme le décrit Jeanne Assouline dans une chronologie rigoureuse (11) ?
Quant au dit « néoconservateur » Georges W.Bush, n’a-t-il pas plutôt suivi les conseils des Rumsfeld et Cheney, républicains des plus classiques ? Ainsi, saisissant les réticences de Saddam à localiser ses armes de destruction massives (12), ils optèrent pour la stratégie de la focalisation (attirer Al Keida sur un front éloigné des USA) et non sur celle de la démocratisation qui, elle, nécessitait 500.000 hommes, (et non 140.000), comme le réclamait, depuis le début, McCain.
C’est cette ambiguïté qui a donné du poids aux propos de Barack Obama stipulant que le front irakien n’aurait jamais dû existé à la différence des Talibans en Afghanistan et au Pakistan qui incarnent pour lui le front principal du « terrorisme » (13) . Cette analyse, séduisante, cohérente, ne tient peut-être pas assez compte d’un élément géopolitique majeur : la mise à bas de Saddam a bel et bien permis de briser l’espoir national-islamiste d’une solution militaire aux problèmes moyen-orientaux. Il suffit d’observer aujourd’hui la région (14) pour remarquer les efforts de modernisation tout azimut, touchant même l’Arabie Saoudite ; ne parlons pas de la Jordanie, des Emirats Arabes Unis, du Koweït, du Maroc. Et les rapprochements actuels effectués par la Syrie (depuis la destruction récente de son complexe nucléaire) ne sont pas uniquement tactiques ou télécommandés par un Iran khomeyniste qui semble d’ailleurs lui aussi temporiser tant le panislamisme espéré a du mal à prendre son envol ; peut-être du fait de ce changement de perspective géopolitique entamée depuis la chute de Saddam.
Dans ces conditions, loin d’avoir été l’échec retentissant annoncé, il semble bien que l’intervention en Irak commence, en réalité, à fournir enfin les fruits attendus, au-delà des erreurs d’appréciation, (qui n’en a jamais fait ?), et des intolérances inter-musulmanes et anti-chrétiennes qui n’ont rien à voir avec le changement de régime, mais plutôt avec un autre problème, celui de l’Islam avec ce qui diffère de lui.
Notes
(1)David Galula, Contre-insurrection, Théorie et pratique (préface du général d’armée David H. Petraeus), (1964), Paris, éditions Economica, 2008.
(2)International Herald Tribune,17 juillet 2008, (US. Gives control of province to Iraqis).
(3)Time magazine, july 14, 2008, p. 19.
(4)International Herald Tribune,19-20 juillet 2008 (U.S. nears agreement with Iraq on troops).
(5)Á l’époque de la chute du mur de Berlin, en chercher l’origine devint synonyme d’anti-communisme puisque le capitalisme était posé comme la cause même de son effondrement.
(6) Irak la vérité, Paris, éditions Télémaque, 2006, pp. 80-84.
(7) Diplômé de Saint Cyr, exclu de l’armée sous Vichy du fait de ses origines juives, il est lu et commenté en priorité dans les écoles de guerre…américaines qui le considèrent comme le nouveau Clausewitz (voir note 2). Il explique en substance que le nerf insurrectionnel de la guerre asymétrique consiste à briser le moral de la population en faisant des opérations d’éclat (d’où l’importance de la propagande) afin qu’elle se détache des forces loyalistes, d’où la stratégie contre-insurrectionnelle, appliquée avec succès par le général Petraeus, consistant, écrit celui-ci dans sa préface, à protéger la population en passant 80% de son temps à faire de la… gestion politique (page XII), c’est-à-dire à reconstruire inlassablement.
(8) Editions Richard Vigilante Books, USA, 2008, pp.120 et 135.
(9) Paris, éditions Gallimard, 2008, p 11. N’Diaye fait allusion au Darfour lorsqu’il parle des massacres actuels. Quant à la comparaison traite transatlantique et traite arabo-musulmane, pour N’Diaye la première n’allait pas jusqu’à la castration, ce qui explique l’existence d’une descendance sur le continent américain alors que ce ne fut guère le cas dans les pays dominés par les populations arabisées.
(10) Irak la vérité, op.cit, p. 104.
(11) Idem, p.84.
(12) Ces ADM auraient été déplacés en Syrie selon certaines sources, (dont un général de l’armée baasiste réfugié aux USA), une Syrie qui s’était doté récemment d’un complexe nucléaire d’origine nord coréen, comme l’a relaté un dossier du journal Le Monde (22-23 juin 2008), avant qu’il ne soit détruit par l’aviation israélienne.
(13) International Herald Tribune du 15 juillet 2008 : My plan for Iraq.
(14) http://www.lexpansion.com/economie/les-etats-du-golfe-approuvent-un-projet-d-union-monetaire_155509.html