Passer des Etats-Unis à la France, comme je viens de le faire une fois de plus, est toujours un choc. C’est un choc plus encore lorsque les circonstances internationales incluent des événements importants. Aux différences globales qui font apparaître la France comme un pays étriqué, bétonné, liberticide, s’ajoute alors la perception insupportable qu’on passe d’un univers où l’information est libre à un autre univers, où elle est quasiment inexistante et confondue avec l’inculcation d’un dogme.
Partout aux Etats-Unis, même dans la presse de gauche la plus « politiquement correcte », Mahmoud Ahmedinejad est décrit comme un tyran, un dictateur, un homme dangereux. En France, il est un Président, c’est tout ; et les journalistes lui parlent très poliment. Pour un peu, on pourrait penser qu’il a été élu de manière tout à fait régulière et légitime, et qu’il n’est pas antisémite.
Partout aux Etats-Unis, même si les réponses à apporter à la situation divergent, l’avancée de l’Iran vers l’arme atomique est définie comme inquiétante ou dangereuse, et les sanctions votées aux Nations Unies sont décrites comme étant une forme de coup d’épée dans l’eau.
En France, l’expression « arme atomique » est peu utilisée lorsqu’il s’agit de l’Iran, et les sanctions sont presque unanimement définies comme une avancée très positive.
Nulle part ou quasiment nulle part aux Etats-Unis on n’emploie des expressions vides de toute signification, telles que « communauté internationale ». En France, dès qu’il s’agit de politique étrangère, cette expression revient dans quasiment toutes les phrases.
Si, aux Etats-Unis, la politique israélienne peut se trouver critiquée ici ou là, la critique ne peut atteindre, dans aucun média, sauf en quelques brûlots d’ultragauche, le degré qu’elle atteint en France, où elle ressemble de plus en plus souvent à ce qui serait pris, outre-Atlantique, pour de véritables incitations à la haine.
Si une opération telle celle menée contre l’un des bateaux de la « flottille » partie en direction de Gaza a fait, aux Etats-Unis, l’objet de commentaires contrastés, nulle part, sauf dans les mêmes brûlots d’ultragauche, les soldats israéliens n’ont été traités de brutes ou de tortionnaires.
Les images montrant les « pacifistes » frappant des soldats tombés à terre à coups de barres de fer ont été diffusées sur Fox news, puis sur CNN et sur les grandes chaînes généralistes. Elles n’ont, à ma connaissance, pas été montrées à la télévision française, car elles ne cadraient pas avec le prêt-à-penser ambiant. En France, c’est le politiquement correct, et lui seul, qui décide de ce qu’est la vérité, et on ne montre que ce qui contribue à fabriquer cette « vérité ».
Le résultat est un fossé qui se creuse. Le résultat est aussi qu’on a, d’un côté de l’Atlantique, une population qui dispose encore de repères concernant l’évolution du monde, et, de l’autre côté de l’Atlantique, une population qui, pour l’essentiel, vit dans une sorte de bocal aux trois quarts clos, où des idées préconçues sont distillées, martelées, injectées dans les neurones, jusqu’à ce qu’il semble aux gens que ces idées sont vraies.
Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi la France est-elle dans cette situation ? Mon explication tient à plusieurs facteurs.
Le premier d’entre eux est le poids des intellectuels dans la vie culturelle et politique française. Aux Etats-Unis, il existe des commentateurs, des universitaires, mais les gens qui parlent de sujets qu’ils ne connaissent pas avec le ton péremptoire de celui qui a la science infuse sont peu nombreux et sans réelle influence.
En France, ces gens sont écoutés et pris au sérieux. Leurs lubies et leurs délires sont considérés comme ayant de l’importance et de la pertinence. C’est une tradition qui remonte au temps de la Révolution française et qui, en passant par Sartre, se prolonge jusqu’à des gens tels que Régis Debray aujourd’hui.
Le second de ces facteurs est relié au premier. Il tient au rôle des idéologies dans les débats. Aux Etats-Unis, parce que les intellectuels au sens français du terme sont peu nombreux, et que les idéologies sont essentiellement le fruit des activités des intellectuels, on voit circuler des notions diverses, mais l’impact d’idéologies structurées est très faible.
Lorsqu’un pays permet que l’on brûle son drapeau sur son sol en ordonnant à sa police de ne pas intervenir…
En France, parce que les intellectuels ont une place prépondérante, les idéologies ont elles-mêmes un rôle prépondérant et, quand elles ne se substituent pas à la connaissance, teintent celle-ci de colorations la transformant en autre chose qu’elle.
Aux Etats-Unis, dans ces conditions, et c’est pour cela que les repères y existent, on peut encore s’appuyer sur la description de la réalité pour commenter ce qui survient sur la planète, on peut recourir à des démarcations explicatives telles celles séparant démocratie et dictature.
On se défie de la langue de bois quel que soit le bois en question. Avant de parler de l’Iran ou d’Israël, on sait, en conséquence, que, dans le premier cas, on a affaire à un régime de type totalitaire à intentions génocidaires, et dans le second, à un pays démocratique menacé par des totalitaires.
En France, les repères n’existent pas, non : la description de la réalité est purement optionnelle, les démarcations explicatives se perdent dans une bouillie verbale relativiste, où tout vaut tout, et où tout est surveillé par une police de la pensée, s’assurant que plus aucune analyse digne de ce nom ne peut être accomplie.
Le résultat ? Mener le combat pour la vérité et la liberté a encore en sens aux Etats-Unis, et permet d’espérer voir la vérité et la liberté triompher.
Mener le combat pour la vérité et la liberté en France a beaucoup moins de sens, et ressemble à l’adhésion à une cause perdue.
Cela ne signifie pas qu’il faille se taire et se résigner, mais qu’il faut discerner qu’on s’adresse seulement à quelques-uns : ceux qui voient que le crépuscule plane sur la France (et, au delà, sur l’Europe), et qui ne se résignent pas à fermer les yeux.
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