Deux éminents scientifiques, fondateur et collaborateurs du GIEC, s'inquiètent des divergences croissantes entre les modèles et les observations et s'insurgent contre les exagérations scientifico-médiatico-politiques.
Ils prennent du recul et parlent ouvertement.
Comme je l'ai écrit dans les billets précédents (notamment ci-dessous), les divergences croissantes entre les prédictions/scénarios des modèles climatiques et les observations objectives mentionnées dans ces colonnes, suscitent de nombreux questionnements – voire une inquiétude palpable et avouée – parmi un certain nombre de climatologues de premier plan qui ont joué et jouent un rôle essentiel dans la mise en place des rapports du GIEC. Quelques uns de ces scientifiques renommés s'en sont librement ouverts au public par l'intermédiaire de déclarations publiées sur Internet ou à l'occasion de multiples interviews rapportées dans des journaux à grand tirage de divers pays non-francophones.
Malheureusement, ces témoignages, pourtant émanant des meilleures sources, ne semblent pas avoir franchi les frontières de la francophonie.
Loin de l'écume des jours qui constitue l'essentiel des nouvelles qui vous parviennent au travers des médias, ces déclarations reflètent, probablement en grande partie, l'état d'esprit actuel de la fraction la plus responsable du microcosme climatologique "mainstream".
Je tiens à insister sur le fait que les deux climatologues que je cite ci-dessous et qui ont tenu à faire partager leurs préoccupations au public ne sont en aucun cas des "climato-sceptiques" (comme l'on dit aujourd'hui). Bien au contraire. Le premier d'entre eux (Lennart Bengtsson) a joué un rôle moteur, aux côtés de Bert Bollin (premier président du GIEC, également suédois), lors de la création du GIEC et pour la rédaction des différents rapports qui ont suivi. Le second (Hans Von Storch) dirige actuellement un laboratoire spécialisé dans les modélisations climatiques sur ordinateur. Bien que ne remettant pas en cause les fondements de la science climatique actuelle, ce dernier a toujours tenu un discours prudent et mesuré au sujet des prédictions/scénarios des modèles climatiques. Il persiste et signe dans les lignes qui suivent et nous fait partager ses préoccupations.
1) Communiqué et diverses déclarations de Lennart Bengtsson
Qui est Lennart Bengtsson ?
Le Professeur Suédois Lennart Bengtsson a été le Directeur de la Recherche du European Centre for Medium-Range Weather Forecasts de 1975 à 1981, puis Directeur, jusqu'en 1990 de l'Institut Max Planck pour la Météorologie à Hambourg. Il est à présent Chercheur Sénior invité à l'Environmental Systems Science Centre de l'Université de Reading (UK).
En 2005 il a été récompensé par le prix René Descartes pour la Recherche Collaborative avec le Professeur Ola M. Johaanessen et le Dr. Leonid Bobylev du Nansen Environmental and Remote Sensing Centre en Norvège et en Russie pour le Projet sur le Climat et le Changement Environnemental de l'Arctique. En 2006 il a été récompensé par le 51ème prix IMO par l'Organisation Météorologique Mondiale (World Meteorological Organization) pour ses travaux de recherche séminale en matière de prédiction numérique en météorologie.
Extraits du CV de Lennart Bengtsson :
2007 Rossby Prize 2007 by the Swedish Geophysical Society (SGS)
2007 Elected Honorary Member of the American Meteorological Society (AMS)
2006 International Meteorological Organization (IMO) Prize of the World Meteorological Organization (WMO)
2005 Descartes Research Prize
1999 Fellow of American Meteorological Society
1998 Umweltpreis 1998 der Deutschen Bundesstiftung Umwelt
1998 Member of the Finnish Academy of Science
1996 Milutin Milancovic medal by the European Geophysical Society
1995 Member of the Nordrhein-Westfälischen Wissenschaftsakademie
1993 Member of the Swedish Academy of Science
1991 Honorary Member of the Swedish Meteorological Society
1990 Doctor honoris causa, University of Stockholm
1990 Förderpreis and the Golden Rosette for European Science by the Körberstiftung, Hamburg
1989 Member of Academia Europea
1986 Julius von Hann´s Gold Medal by the Austrian Meteorological Society
Lennart Bengtsson a souhaité publier une mise au point, dont quelques extraits sont traduits ci-dessous, sur le site de son collègue Hans von Storch dont je rapporte également les propos ci-dessous. Vous retrouverez sur le site Klimazwiebel le texte original et complet (en anglais) du communiqué de Lennart Bengtsson.
Dans l'encart jaune suivant figurent les extraits sélectionnés par Judith Curry sur son site Climate etc. Dans la suite, les caractères engraissés le sont par PU.
"Durant les deux dernières décennies, le changement climatique a évolué jusqu'à devenir une question majeure à l'échelle de la planète avec une implication primordiale des médias, de la communauté des politiques aux différents niveaux, du public au sens large et, ce n'est pas la moindre des choses, d'Internet. Les points de vue sont très variés mais l'opinion dominante est que le changement climatique est une réalité et constitue un challenge pour la communauté mondiale du moins dans une perspective à long terme. Ceci est également l'opinion partagée par une majorité de leaders scientifiques du domaine. Simultanément on assiste à une tendance croissante vers la polarisation des opinions sur le changement climatique avec, d'une part, une préférence pour les conséquences extrêmes et dramatiques telles que celle appelée "le point de basculement" et d'autre part à une tendance allant jusqu'à remettre en question des aspects fondamentaux de la physique du changement climatique. Cependant, du fait du fort intérêt manifesté par le public, nous sommes actuellement confrontés à un dilemme parce que le public et la communauté des politiciens se sont beaucoup trop impliqués dans le débat sur le changement climatique influençant ainsi la science véritable et ceci n'est pas nécessairement une évolution positive parce qu'elle implique une sélection arbitraire des priorités et des questions à traiter préférentiellement. . Un processus naturel pilote le climat et pratiquement toutes les catégories des événements climatiques extrêmes ont fait partie du climat passé et sont, en pratique, sans aucune relation avec le réchauffement modeste que nous avons connu jusqu'à présent. L'effet des gaz à effet de serre est un processus lent mais sans fin dont il faudra s'occuper mais il nécessitera plus de temps et une meilleure compréhension des processus clefs. Certains événements sont considérés comme très dramatiques tels que la réduction de la glace d'été dans l'Arctique mais d'autres, encore plus frappants, tels que la surprenante absence de réchauffement de la troposphère tropicale, sont rarement discutés. La température du globe n'a pas augmenté de manière constante mais plutôt à des intervalles de temps irréguliers. Typiquement on a observé une tendance au réchauffement de 1910 à 1940, une tendance à un léger refroidissement de 1945 à 1970 suivi par une tendance rapide au réchauffement jusqu'à la fin du XXè siècle et, enfin, aucune tendance au réchauffement perceptible durant les 15 dernières années. En particulier, l'absence d'un quelconque réchauffement significatif dans la troposphère tropicale depuis le début des observations de l'ère satellitaire, en 1979[1], est particulièrement problématique parce que les modèles actuels prévoient un réchauffement moyen de 0,3°C-0,4°C durant la même période. De telles observations, aussi problématiques pour la science soient-elles, n'ont pratiquement jamais retenu l'attention des médias tandis que, bien au contraire, le public a été saturé de rapports excessifs au sujet d'un réchauffement rapide et menaçant qui serait en train de devenir incontrôlable à moins que des mesures radicales soient prises pour y mettre un terme. Même s'il n'y a aucun signal global évident, on avance des arguments adhoc à partir d'une liste sans fin d'événements météorologiques extrêmes. Le fait que des événements météorologiques extrêmes aient été observés pour le présent comme pour un climat normal, est passé sous silence. Le réchauffement climatique a été confisqué des mains des météorologistes et de celles des climatologues traditionnels et il est, à présent, dans les mains des professionnels des médias et dans celles de membres bien connus (politiciens ou autres) du public au sens large qui ont trouvé dans l'exagération actuelle du climat, un moyen commode pour conserver ou acquérir une place en vue sous les feux de la rampe des médias. Dans l'ambiance très émotionnelle du débat climatique actuel, il est presque impossible d'avoir un débat intelligent et équilibré sur les différents points de vue. Si vous n'adhérez pas aux catastrophes climatiques telles que celles évoquées récemment par la Banque Mondiale, on vous met dans la boite des négationnistes et on vous accuse de défendre les intérêts de l'industrie pétrolière ou bien on vous accuse d'être un homme d'un âge avancé et donc incapable de comprendre les préoccupations des jeunes générations. Quelques uns de nos collègues font l'objet de pressions émanant de leur puissant groupe de travail ou encore de celles d'un responsable politiquement correct. L'intérêt authentique et réel pour le climat et la science du climat est en train de s'estomper et l'attention est réduite au concept du climat typique du public au sens large et, je dirais plutôt, du concept prédominant ou politiquement correct du climat. Quoiqu'il en soit, les données de l'observation sont claires et le réchauffement climatique progresse beaucoup plus lentement qu'on ne l'avait généralement prévu. Au lieu d'être reconnaissants pour ce résultat réconfortant, les réactions vont plutôt dans le sens opposé. Dans l'ambiance pratiquement hystérique de l'exagération climatique actuelle, l'annonce d'un réchauffement moins dramatique n'est pas bien reçue parce que tous les membres politiquement corrects du public préféreraient cacher ce fait en suivant la maxime populaire selon laquelle la fin justifie les moyens. Du point de vue du mouvement vert tous les efforts politiques, même les plus extrêmes, doivent être accomplis parce qu'ils souhaitent abandonner les énergies fossiles tout autant que l'énergie nucléaire et ceci à un moment où la population mondiale est en augmentation et où le manque d'une énergie convenable constitue un obstacle majeur pour améliorer le niveau de vie.. Nous ne savons pas encore comment résoudre au mieux les problèmes d'énergie sur la Terre mais beaucoup de choses peuvent se produire dans les 100 prochaines années. Une sensibilité climatique réduite qui est conforme aux observations, combinée avec une transition du charbon vers le gaz naturel, fournira au monde un délai d'une cinquantaine d'années environ mais pas beaucoup plus. Ceci rendra possible d'éviter des investissements très coûteux et inutiles, financés avec l'aide de l'état et mis en place par les fantasmes des politiciens et par l'espoir de gagner de l'argent rapidement et, au contraire, ceci nous permettra de mobiliser les moyens disponibles dans des programmes bien réfléchis de recherche à long terme sur l'énergie. " |
[1] S'agissant d'un observable relativement aisément mesurable, l'économiste McKitrick a (de nouveau) récemment proposé que les taxes sur les émissions de carbone (s'il devrait y en avoir) soient indexées sur les observations objectives tels le réchauffement de la troposphère tropicale (très faible pour l'instant, en contradiction avec les modèles).
Commentaire de Judith Curry : "La totalité du texte mérite la lecture. La partie de cette déclaration qui m'a beaucoup frappée, parce qu'elle est particulièrement bien énoncée, est la suivante : "L'intérêt authentique et réel pour le climat et la science du climat est en train de s'estomper*, tandis que l'attention se limite au concept du climat typique du public au sens large et, je dirais plutôt, du concept prédominant ou politiquement correct du climat." Je suis vraiment très inquiète de l'exagération à propos de l'utilisation des modèles climatiques, en vertu de laquelle les scientifiques rédigent des articles analysant les prévisions des modélisations climatiques du GIEC et en déduisent les impacts catastrophiques pour le futur. Il me semble beaucoup trop facile de publier cette sorte de recherche dans Nature et dans Science. Pendant ce temps-là, les problèmes vraiment délicats sont totalement ignorés, tels la recherche fondamentale sur le transfert de chaleur dans les océans, la thermodynamique multiphase de l'atmosphère et le chaos synchronisé dans le système couplé atmosphère-océan, etc. Sans oublier les problèmes plus accessibles tels que la prise en considération attentive de l'attribution de la variabilité du climat pendant la période 1850-1970. |
Lennart Bengtsson a également accordé un interview au journal danois Jyllands-posten qui intitule son article par : "Ce sont les catastrophes qui pilotent le débat sur le climat".
Le JP rapporte les propos du Professeur Lennart Bengtsson dans un article de quatre pages, particulièrement critique sur les constantes exagérations relatives au réchauffement climatique. Le JP témoigne que : "Bengtsson en a réellement marre des politiciens, des médias et des climatologues qui en font des tonnes pour dramatiser l'évolution du climat et les conséquences d'une augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère." Le JP cite Bengtsson :
"Depuis trop longtemps on a permis que les événements météorologiques extrêmes aléatoires structurent le débat sur le climat" ou encore, au sujet de la fonte de l'arctique, Bengtsson rappelle " Nous savons qu'il y avait très peu de glace en Arctique dans les années 30 et 40." Au sujet de l'antarctique qui pourrait fondre selon le GIEC, Bengtsson dit : " S"inquiéter de la fonte de l'Antarctique c'est comme s'inquiéter de la possible collision de Vénus avec la Terre dans les prochains milliards d'années, ce qui, comme certains modèles nous l'assurent, pourrait se produire". Au sujet de la vitesse de réchauffement de la planète, le JP cite Bengtsson: “Elles est, et de beaucoup, plus faible que ce que le GIEC a avancé… et c'est totalement différent de ce que la Banque Mondiale* a présenté." |
*Note : Bengtsson fait ici allusion à la publication récente d'un rapport aussi apocalyptique qu'infondé de la Banque Mondiale, la World Bank, dont il est de nouveau question ci-dessous.
Par ailleurs, voici d'autres déclarations publiques récentes du Prof. Bengtsson qui, sans aucun doute, joue un rôle déterminant dans la politique climatique suédoise et plus généralement scandinave, en matière d'énergie et de climat : Il serait étonnant que les prises de position de l'éminent climatologue Suédois n'entraînent pas des conséquences pour la politique énergétique et climatique du gouvernement de son pays.
Lennart Bengtsson a également été interviewé par un périodique Suédois (DN.se ) qui rapporte ses propos dans un article intitulé : "Nous créons une grande anxiété qui n'est pas justifiée". Voici quelques citations extraites de cet article (complet, en anglais, ici):
– "Nous créons une grande anxiété qui n'est pas justifiée, et ceci ne mène à aucune action. La solution c'est d'en venir à des solutions raisonnables." a-t-il dit à DN. – "Je suis de plus en plus frustré par le manque de bases scientifiques de l'essentiel de ce qui est dit dans les médias. A la longue, ça diverge complètement de la science." – "Le réchauffement subi par la Terre durant le siècle dernier est si petit qu'on ne s'en serait pas rendu compte s'il n'avait pas été signalé par des météorologues et des climatologues. Ceci indique que la sensibilité climatique est probablement plus faible que celle que les modèles ont prise en compte, depuis le début." – "Il n'y a pas de doute que les humains ont un impact. Ce dont nous ne sommes pas certains, c'est pourquoi le réchauffement est si lent. Il est possible que la planète se refroidisse plus efficacement qu'on ne le pensait auparavant. Il est également possible qu'elle stocke plus de chaleur dans les profondeurs des océans qu'on ne le pensait, ce qui expliquerait l'inertie." Lennart Bengtsson a également répondu à un rapport du Potsdam Institute (NdT : Schellnhuber, Rhamstorf) publié par la World Bank à l'occasion du sommet sur le climat de Doha qui s'est tenu en automne dernier. – "Je suis critique. Ils ont utilisés les options les plus extrêmes des scénarios. Bien entendu, ce n'est pas complètement impossible mais la probabilité est très faible." – "C'est toujours comme ça quand un sujet se prête à l'exagération. Il y a des gens qui se sentent très impliqués. Mais la plupart d'entre eux ne sont pas toujours les meilleurs experts et une quantité de chercheurs très talentueux ne sont pas particulièrement intéressés par les activités médiatiques. Certains chercheurs se sentent frustrés et sont soumis à des provocations ce qui fait que parfois ils cèdent aux pressions et donnent l'impression qu'ils sont plus sûrs d'eux qu'ils ne le sont en réalité." – "Quand vous êtes profondément impliqués dans un problème vous pouvez en percevoir les difficultés. Pour ma part, je trouve très difficile d'expliquer l'aspect chaotique au public parce qu'il n'est pas prévisible. C'est une propriété fondamentale qu'il est impossible de changer." – "On peut qualifier d'activistes ceux qui éprouvent le besoin d'alerter le public d'un désastre imminent. Ils jouent sur une certaine frustration et prennent en compte les événements extrêmes, quels qu'ils soient, et affirment qu'ils font partie du changement climatique." – "Et il y a bel et bien une tendance à coller à la ligne directrice de son institution" – "D'autre part, la question climatique est devenue extrêmement politisée. Le problème est si complexe qu'on ne peut pas demander que les gens soient convaincus que le système économique tout entier doit être changé simplement parce que vous avez fait quelques simulations sur ordinateur." – "Très bien, si on veut être excentrique, on pourrait dire que c'est un désastre au ralenti. Si les gaz à effet de serre continuaient à croître d'un facteur 5 ou 10, alors là, oui, il y aurait des problèmes de diverses natures. Mais jusqu'à nouvel ordre, les processus naturels ont presque complètement dominé." Au sujet du prochain rapport AR5 du GIEC : – "Je ne pense pas qu'il y a aura de modifications cruciales. Nous prendrons note, comme nous l'avons fait continuellement que le système climatique est légèrement plus complexe que nous ne le pensions au départ." |
2) Un interview de Hans von Storch publié sur le Spiegel online
Extrait de la présentation de Wikipedia : " Hans von Storch est Professeur à l'Institut de Météorologie de l'Université de Hambourg. Depuis 2001 il est également Directeur de l'Institut pour la Recherche Côtière du Centre de Recherche Helmhotz (autrefois le GKSS) à Geesthacht en Allemagne. Il est membre du comité de rédaction du Journal of Climate et Annals of Geophysics" et bénéficiaire de diverses récompenses.
Von Storch a répondu à un interview plutôt "direct" du journal à grand tirage allemand, Der Spiegel. L'article est intitulé :
"L'expert du climat von Storch : Pourquoi le réchauffement climatique est-il rentré en stagnation ?"
Voici la quasi totalité de son interview, traduite en Français :
[..] SPIEGEL: Diriez-vous que le public a abandonné le réflexe qui consistait à attribuer la responsabilité de chaque événement météorologique important au réchauffement climatique comme il le faisait autrefois ? Storch: Oui. J'ai l'impression qu'il y a moins d'hystérie à propos du climat. Il y a certainement encore des gens qui, presque de manière rituelle, s'écrient "A l'aide, c'est la faute du changement climatique" lorsqu'une catastrophe naturelle se produit. Mais le public parle maintenant beaucoup plus des causes naturelles probables pour les inondations telles que le bétonnage des sols ou la disparition des zones naturelles d'écoulement des eaux — et c'est une bonne chose. SPIEGEL: Est-ce que l'effet de serre sera encore un sujet important lors des prochaines élections au parlement allemand ? Le chanteur Marius Müller-Westernhagen est à l'origine d'une initiative au sein du show-biz qui consiste à demander l'implémentation de la protection du climat en tant qu'objectif de politique nationale dans la constitution allemande. Storch: C'est une idée bizarre. Quel état de l'atmosphère terrestre voulons nous protéger et de quelle manière ? Et que pourrait-il en résulter ? Allons nous déclarer la guerre à la Chine si ce pays émet trop de CO2 dans l'air et, de ce fait, viole notre constitution ? SPIEGEL: Et pourtant, ce sont les climatologues avec leurs avertissements apocalyptiques qui, en tout premier lieu, ont insufflé ces idées dans le public. . Storch: Malheureusement, certains scientifiques se comportent comme des prêcheurs qui délivrent des sermons au peuple. Ce qui pose problème dans ce comportement, c'est qu'il y a de nombreuses menaces dans notre monde qui doivent être comparées les unes avec les autres. Si je conduis ma voiture et que je me retrouve en train de foncer sur un obstacle, je ne peux pas tout simplement donner un coup de volant sans avoir vérifié auparavant si je ne risquais pas de foncer dans la foule. Les climatologues ne peuvent pas et ne devraient pas confisquer cette responsabilité qui consiste à évaluer les différents facteurs des mains des politiques et de la société. SPIEGEL: Hans Joachim Schellnhuber, le directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research, proche de Berlin, est actuellement le conseiller pour le climat de la Chancelière Angela Merkel. Pour quelle raison lui en faut-il un ? Storch: Je n'ai jamais été chancelier moi-même, mais je pense sincèrement qu'il serait peu avisé de la part de Merkel de n'écouter qu'un seul scientifique.. La climatologie dispose de beaucoup trop de points de vue différents pour qu'il en soit ainsi. A titre personnel, je ne crois pas que la Chancelière se soit sérieusement penchée sur ces questions. Si elle l'avait fait, elle aurait compris qu'il existe d'autres points de vue que ceux de l'administration de la politique environnementale. SPIEGEL: Depuis le tournant du millénaire, l'humanité a émis 400 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère et pourtant les températures n'ont pas augmenté depuis près de 15 ans. Comment expliquer cela ? Storch: Jusqu'à présent, personne n'a été capable de fournir une réponse convaincante au fait que le changement climatique semble faire une pause. Nous sommes confrontés à un problème. De fait les émissions de CO2 ont augmenté encore plus rapidement que nous le craignions. D'après la plupart des modèles climatiques, nous aurions dû assister à une augmentation de température d'environ 0.25°C (0,45 degrés Fahrenheit) durant les 10 dernières années. Ceci ne s'est pas produit. En réalité, l'augmentation durant les 15 dernières années était de seulement 0.06°C (0,11 degrés Fahrenheit) qui est une valeur très proche de zéro. Il y a là un problème scientifique sérieux auquel sera confronté le GIEC lors de la présentation de son prochain rapport qui sortira plus tard, l'année prochaine. SPIEGEL: Est-ce que les modèles climatiques sur ordinateur avec lesquels les physiciens simulent le climat du futur ont déjà observé une pause aussi longue dans la variation de température que celle que nous observons actuellement ? Storch: Oui, mais c'est extrêmement rare. Dans mon institut nous avons recherché quelle est la fréquence de l'occurence d'une telle stagnation de 15 années dans les simulations numériques. La réponse a été que la proportion est inférieure à 2% dans toutes les simulations que nous avons effectuées. En d'autres termes, plus de 98% des prévisions montrent que des émissions de CO2 aussi élevées que celles que nous avons connues durant les années récentes conduisent à une élévation de température plus élevée. SPIEGEL: Pendant combien de temps encore sera-t-il possible de concilier une telle pause du réchauffement climatique avec les prédictions climatiques en vigueur ? Storch: Si les choses continuent comme elles l'ont fait, dans cinq ans, au plus tard, nous devrons reconnaître qu'il y a quelque chose de fondamentalement faux dans nos modèles climatiques. Une pause de 20 ans du réchauffement n'existe dans aucun modèle climatique. Mais même aujourd'hui, nous trouvons très difficile de réconcilier la tendance actuelle de la température avec nos prévisions. SPIEGEL: Qu'est-ce qui pourrait être faux dans les modèles ? Storch: On peut envisager deux explications — et aucune d'entre elle n'est agréable pour nous. La première est qu'il se produit moins de réchauffement climatique que prévu parce que les gaz à effet de serre et plus spécifiquement le CO2 ont moins d'effet que nous l'avons supposé. Ceci ne signifierait pas qu'il n'y aurait pas d'effet de serre anthropique mais simplement que notre action sur le climat est moins importante que nous l'avions cru. L'autre possibilité est que, dans nos simulations, nous avons sous-estimé les fluctuations climatiques dues aux causes naturelles. SPIEGEL: Cela semble très embarrassant pour votre profession si vous devez revenir en arrière pour ajuster vos modèles pour qu'ils s'accordent avec la réalité… Storch: Pourquoi ? C'est comme ça que le processus de la découverte scientifique fonctionne. Il n'y a pas de dernier mot en matière de recherche y compris en matière de recherche climatique. Ce n'est jamais la vérité que nous proposons, mais seulement notre meilleure approximation de la réalité. Mais ceci est très souvent oublié dans la manière dont le public perçoit et décrit notre travail. SPIEGEL: Mais ce sont les climatologues qui ont eux-mêmes fait comme s'ils avaient un degré élevé de certitude même si celle-ci n'existe pas. Par exemple, le GIEC a annoncé avec 95% de certitude que les humains contribuent au changement climatique. Storch: Et il y a de bonnes raisons pour cette affirmation. Nous ne parvenions plus à expliquer la hausse considérable de température depuis le début des années 1970 et la fin des années 1990 à partir de causes naturelles. Mon équipe au Max Planck Institute pour la Météorologie à Hambourg a été en mesure de donner des éléments de preuve, en 1995, que les humains influencent les événements climatiques. Bien sûr, ces éléments de preuve présupposent que nous avons correctement pris en compte l'importance des fluctuations climatiques naturelles. Maintenant que nous avons connu de nouveaux développements, il est possible que nous devions apporter quelques ajustements. SPIEGEL: Dans quels domaines devez vous améliorer les modèles ? Storch: Entre autres, il y a des indications que les océans auraient absorbé plus de chaleur que nous l'avons calculé initialement. Les températures à des profondeurs supérieures à 700 m semblent avoir augmenté plus que jamais auparavant. La seule chose embêtante c'est que nos simulations ont manqué de prédire cet effet. SPIEGEL: Ceci n'inspire pas spécialement confiance. Storch: Sans aucun doute, la plus grande erreur des climatologues a été de donner l'impression qu'ils détiennent la vérité absolue. Le résultat final ce sont des stupidités dans le style des brochures sur la protection du climat publié récemment par l'Agence Environnementale Fédérale d'Allemagne sous le titre " "Sie erwärmt sich doch" ("La Terre se réchauffe toujours"). Des pamphlets tels que celui-ci ne vont convaincre aucun sceptique. Ce n'est pas mauvais de commettre des erreurs et d'avoir à les corriger. La seule chose qui était mauvaise c'était d'agir précipitamment comme s'ils étaient infaillibles. Ce faisant, ils ont joué avec et perdu la chose la plus importante qui soit pour des scientifiques : la confiance du public. Nous avons vécu quelque chose de semblable avec la déforestation (NdT : les pluies acides qui "devaient" détruire les forêts allemandes et ne l'ont pas fait) également– et puis nous n'en avons pratiquement plus entendu parler depuis longtemps. SPIEGEL: Est-ce que cela jette un doute sur l'ensemble de la théorie du réchauffement climatique ? Storch: Je ne le pense pas. Nous avons encore des évidences convaincantes de l'effet de serre anthropique. Il y a peu de doute à ce sujet. Mais si le réchauffement climatique continue à stagner, les doutes vont évidemment prendre plus d'importance. SPIEGEL: Est-ce que les scientifiques prédisent encore que les mers vont monter ? Storch: En principe, oui. Malheureusement, en fait, nos simulations ne sont pas encore capables de montrer si, et à quelle vitesse, les glaces du Groenland et de l'Antarctique vont fondre — et c'est un facteur très important pour déterminer de combien les mers vont monter exactement. C'est pour cette raison que les prédictions du GIEC ont été conservatrices. Et au vu des incertitudes, je pense que c'est justifié. SPIEGEL: Et quelle est la valeur des prévisions à long terme concernant la température et les précipitations ? Storch: Là aussi nous rencontrons des difficultés. Par exemple, selon les modèles, la région méditerranéenne deviendra plus sèche toute l'année. Cependant, en ce moment, il y a en réalité plus de pluie en automne qu'il y en avait habituellement. Nous devrons suivre ces développements avec attention au cours des années à venir. Les augmentations de température dépendent aussi énormément des nuages qui peuvent aussi bien amplifier ou atténuer l'effet de serre. Depuis aussi longtemps que j'ai travaillé sur ce sujet, c'est à dire depuis pus de 30 ans, il n'y a eu malheureusement que très peu de progrès dans la simulation des nuages. SPIEGEL: En dépit de toutes ces questions problématiques, pensez vous encore que le réchauffement climatique va continuer ? Storch: Oui. Nous allons certainement voir un réchauffement de 2°C (3,6 degrés Fahrenheit) ou plus –à la fin de ce siècle, c'est entendu. C'est ce que mon instinct me dit parce que je ne sais pas exactement comment les émissions vont progresser. D'autres climatologues peuvent avoir des instincts différents. Nos modèles incorporent, sans aucun doute, un grand nombre d'hypothèses hautement subjectives. Les sciences naturelles sont aussi un processus à caractère social et elles sont beaucoup plus influencées par l'esprit de l'époque que ne peuvent l'imaginer les non–scientifiques. Vous pouvez vous attendre à beaucoup d'autres surprises. SPIEGEL: Que sont exactement censés faire les politiciens avec des prédictions aussi vagues ? Storch: Que cela conduise à un, deux ou trois degrés, le chiffre exact n'est finalement pas le plus important. Tout à fait en dehors de nos simulations climatiques, il y a un consensus général que nous devrions être plus économes avec nos fluides fossiles. De plus, les effets les plus sérieux du changement climatique ne vont pas nous affecter pendant au moins 30 ans. Nous avons assez de temps pour nous préparer. SPIEGEL: Dans un interview au SPIEGEL, il y a 10 ans, vous aviez dit : "Nous devons atténuer la peur du changement climatique auprès du public". Vous avez aussi déclaré : "Nous gérerons cette affaire". A cette époque vous avez été sévèrement critiqué pour ces commentaires. Adoptez vous encore cette position en retrait par rapport au réchauffement climatique ? Storch: Oui. Tout à fait. J'ai été accusé de croire qu'il n'était pas nécessaire de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce n'est pas le cas. Je voulais simplement dire qu'il n'est plus possible, dans tous les cas, d'empêcher complètement la prolongation du réchauffement climatique et de ce fait qu'il serait avisé de nous préparer à l'inévitable par exemple en construisant de digues plus élevées. Et j'ai l'impression que je ne suis plus aussi totalement seul à avoir cette opinion, comme c'était le cas à l'époque. Le débat sur le climat n'est plus un débat en tout ou rien — sauf peut-être, pour certains collègues comme un certain employé de Schellnhuber dont les attaques verbales contre tous ceux qui expriment des doutes, n'a pour résultat que de réactiver le camp des négateurs du changement climatique. Interview mené par Olaf Stampf et Gerald Traufetter |
En bref et en conclusion :
Les deux climatologues que j'ai cités qui ont joué, tous deux, un rôle pivot dans la définition de la science climatique telle que nous la connaissons aujourd'hui, bénéficient d'une telle assise scientifique qu'ils ont le loisir de s'exprimer avec une certaine franchise. Si leurs convictions initiales ne sont pas entamées, du moins se posent-ils de graves questions et envisagent-ils, tous deux, que les modèles pourraient être sérieusement remis en cause. Ce qui n'est certes pas le discours officiel que l'on peut retrouver dans les médias francophones, où le doute n'a pas sa place et est considéré comme une hérésie.
De manière plus générale, plusieurs points importants mentionnés par l'un et(ou) l'autre des intervenants me semblent, plus généralement, refléter fidèlement la situation présente de la science climatique "mainstream".
–Tout d'abord "la pause" ou la stagnation de la température moyenne du globe depuis une quinzaine d'années (mentionnée par les deux intervenants) constitue un problème visiblement très épineux, sinon inquiétant pour les modèles climatiques en cours. Cette question rejoint les interrogations récurrentes que l'on a pu observer récemment, toujours de la part de climatologues "mainstream", sur la sensibilité climatique que j'ai évoquées précédemment.
Il est vain et peu scientifique de prétendre le contraire et de nier l'évidence comme le font certains.
–Bengtsson s'inquiète, à plusieurs reprises dans son exposé, sur l'absence de réchauffement notable de la troposphère tropicale, en contradiction formelle avec les modélisations climatiques, comme je l'avais expliqué dans le billet précédent (partie 2, ci-dessous).
Bengtsson sait de quoi il parle. Il a publié en 2011 un article sur ce sujet (Bengtsson, L. and K.I. Hodges, (2011): On the evaluation of temperature trends in the tropical troposphere. Clim. Dynamics. doi: 10.1007/s00382-009-0680-y.)
Bengtsson s'étonne, à juste titre, que les médias ne s'intéressent pas à cette question car il y a effectivement de bonnes raisons d'être soucieux à ce sujet qui touche au coeur même des modélisations de l'atmosphère tropicale laquelle joue un rôle crucial dans les modèles en cours.
Je rappelle que Richard Lindzen, il y a déjà quelques années (en 2007), s'était lui-même inquiété de cette même divergence entre les observations et les modèles pour laquelle il envisageait qu'une explication possible pourrait être une surestimation considérable du réchauffement de la planète mesuré à l'aide des méthodes conventionnelles. C'est dire le degré de confiance qu'apportent les climatologues dans leur modélisation des processus qui ont lieu dans la troposphère tropicale. C'est dire aussi la gravité du problème qui leur est ainsi posé, tout comme celui de la stagnation des températures depuis plus d'une décennie.
– Nos deux climatologues allemand et suédois s'inquiètent, tout comme leur collègue également climatologue "mainstream" Judith Curry, des exagérations systématiques apportées aux communiqués transmis ou diffusés par les agences de presse. Outre celui des politiques et des médias, le comportement abusif et excessivement alarmiste de certains scientifiques qui figurent malheureusement parmi les plus sollicités par les médias, est également sévèrement épinglé. Malheureusement, il semble que cela soit une des conséquences les plus désastreuses de la politisation excessive de cette branche de la science dans laquelle certains scientifiques ne semblent plus faire la différence entre leurs convictions politiques personnelles et l'objectivité qui reste indispensable en matière de sciences.
Ce sont des développements intéressants dont on doit regretter qu'ils soient totalement ignorés par nos médias (et politiques) francophones. Du moins, jusqu'à présent. Mais là aussi, les choses peuvent évoluer dans le bon sens comme elles le font ou l'ont déjà fait dans nombre de pays étrangers.
A suivre, donc.
20 réflexions sur « Climat : divergences croissantes »