(Par Patricia La Mosca, envoyée spéciale à Grenoble de la Ména). Je me trouve à Grenoble depuis samedi matin, (19 juillet) soit un peu plus de 24 heures après le déroulement du fait divers servant de prétexte à cette "petite guerre civile", comme je l’ai entendu appeler par des responsables sécuritaires.
Depuis, l’entrée dans le quartier de la Villeneuve ressemble à l’accès à Gaza ; les véhicules sont systématiquement fouillés, leurs passagers brièvement interrogés.
250 CRS ainsi que deux commandos d’élite de la police, le GIPN et le RAID, se sont positionnés aux points stratégiques de la cité. Ils portent des gilets pare-balles et des armes de guerre. Certains sont des snipers, reconnaissables au fin fusil à trépied, surmonté d’une grosse lunette qu’ils utilisent.
Face à eux, des grappes de jeunes gens qui palabrent, les mains nues, mais les regards chargés de menaces et de haine.
La Villeneuve a cela d’étonnant que l’endroit est plutôt joli et sympathique, surtout lorsqu’on ne s’approche pas des cages d’escaliers. Ici, contrairement à la plupart des zones de non-droit que j’ai eu l’occasion de visiter, il y a visiblement eu une recherche architecturale.
Les maisons ne sont pas alignées symétriquement, elles ne sont pas semblables, ce ne sont pas des poulaillers comme on en a vus ailleurs, et les avenues verdoyantes dans lesquelles – habituellement – circulent les tramways aèrent la ville.
Peu de confrères journalistes… exécrable couverture médiatique des événements. Partout c’est la langue de bois qui domine, à croire que la langue française manque de mots.
Peu de reportages aux journaux télévisés, dépouillés, hors sujet, plus éloignés des acteurs de l’actualité que lorsqu’on mentionne un incident à Bethlehem. ça n’a pas l’air de se passer en France.
L’homme qui a attaqué le casino d'Uriage-les-Bains, au fusil mitrailleur, avec un complice, est uniformément présenté tel un "délinquant" ou un "braqueur". Son nom figure sur les dépêches d’agences et les articles, il s’agit de Karim Boudouda.
Multirécidiviste à 27 ans, condamné trois fois aux assises, on peine à saisir ce que cet individu faisait en liberté. C’est à croire qu’il a commencé ses braquages à l’âge de dix ans ?
Boudouda est le seul individu du quartier de la Villeneuve, après quatre jours d’affrontements, dont le nom ait été révélé.
Les autres acteurs (des centaines, non des dizaines) de la tragédie sont tous anonymes pour la presse, sans visages, sans motifs, sans stratégie et sans dénominateurs communs. On a réussi la stérilisation totale des événements gravissimes qui secouent ici la France depuis quatre jours ; on est parvenu à réaliser le tour de force de vider ce soulèvement armé de toute substance, de tout point de référence que le public pourrait reconnaître.
Ca se résume officiellement à la bataille que livrent des défenseurs de l’Etat, faisant bloc autour du ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, qui a déclaré, samedi, sous mes yeux à Grenoble, qu'il souhaitait "rétablir l'ordre public et l'autorité de l'Etat au plus vite et par tous les moyens".
Mais ils guerroient contre des martiens : des gens sans identité, des fantômes, des "émeutiers" que le téléspectateur a l’interdiction de voir de près.
Hortefeux, la peur au ventre, a commis l’acte "incontestablement héroïque" de pénétrer dans la Villeneuve. Même entouré d’un véritable mur de séparation mobile, il n’est toutefois demeuré dans la cité que… sept minutes, montre en main.
Guerre ? Pas à en croire les confrères, s’efforçant – vous l’aurez compris – de minimiser l’affrontement, titrant, bilan après bilan : "La nuit a été plus calme", "La nuit a été calme", etc. A les lire et à regarder les chaînes nationales, je me demande par moments ce que je suis venue faire en Isère hors de la saison du ski.
Certes, mais jusqu’à samedi soir, en matière d’affrontements armés, les confrères, avec insistances, se bornaient à parler d’un individu isolé (probablement un lunatique), qui, lors d’une manifestation, avait sorti un pistolet de petit calibre.
"Ca fait chi… d’entendre des trucs comme celui-là", me glisse un policier, qui m’a admise dans sa planque, pas longtemps après l’éclatement de cinq coups de feu très distincts, pas loin de l’endroit où nous nous trouvons.
"Dites à vos lecteurs qu’ils tentent de nous descendre", me prie l’homme en uniforme. Illustration : les deux projectiles de gros calibre tirés sur un véhicule en mouvement de la BAC – la Brigade Anti-Criminalité -. C’était la nuit dernière (dimanche à lundi), dans le "caaalme décrit pas mes collègues.
Les flics en ont très gros sur la patate à jouer les "cibles de fêtes foraines". Les politiques ont certes parlé de rétablir l’ordre public par tous les moyens, mais leurs ordres sont "faites gaffe de ne pas un abattre un autre, car la situation échapperait à tout contrôle. Ne tirez que si votre vie est absolument en danger !".
Alors ils essuient sans broncher, mais avec les boules. La nuit de samedi à dimanche, que j’ai passée dehors, j’ai au moins entendu sept épisodes de tirs. L’un semblait provenir d’une arme automatique, mais je ne suis pas une experte en balistique.
L’un des délégués syndicaux des policiers, Daniel Chomette, a déclaré que ses confrères "avaient atteint un seuil de rupture", et j’ai recueilli tous les éléments nécessaires pour le confirmer.
Ce lundi, il n’y a que deux individus en garde à vue. Un troisième est détenu pour un motif qui n’a rien à voir avec les émeutes. Toutes les autres personnes appréhendées ont été relâchées ou sont sur le point de l’être.
On saisit à quel point la chasse et les moyens mis en œuvre ont été improductifs, en considérant que 82 voitures (d’habitants du quartier) ont été incendiées depuis vendredi, un tramway, trois gros véhicules de chantier, deux centres de formation et plusieurs commerces, dont certains ont été pillés.
Deux suspects uniquement ? Forts, ces martiens !
En vérité, c’est principalement le renseignement qui fait défaut, car la police n’avait jamais considéré qu’elle devait se préparer à une confrontation armée. Elle ne dispose pas non plus des moyens, des hommes et des ordres pour espionner des citoyens français, nés français, sur le sol national.
Des martiens que les confrères se contentent d’appeler du même substantif : "les jeunes". Les vrais jeunes n’ont pourtant rien fait pour mériter cette comparaison peu flatteuse ni cette usurpation sémantique. Une usurpation qui fait immanquablement penser, pour ceux qui suivent la Ména, à "activistes" et "militants" lorsqu’ils décrivent les terroristes du Hamas. La réalité ce sont eux qui la reconstruisent.
En fait, on se trouve en plein scénario d’autodestruction : un régime démocratique et la presse protègent des agresseurs défiant leurs valeurs et les règles de leur civilisation.
Dans le cas de Grenoble, on doit refuser, au risque de perdre son âme, d’entrer dans toute discussion contenant la moindre justification de la rébellion, violente et armée, menée par des membres de la communauté musulmane de la Villeneuve.
Car si l’on accepte de lier le sort d’un gangster, s’attaquant au fusil-mitrailleur à une salle de casino remplie de clients et de personnel, à des revendications sociales ou politiques, et à l’usage d’armes à feu contre des policiers, nous aurons cessé d’être. Non seulement en tant que Français, mais en tant que société organisée tout court.
Il se planque où, l’autre avec son Karcher ? Et le parti socialiste, avec son silence insupportable, complice, électoraliste ?
On dirait que le seul programme politique des formations modérées participe désormais à ressusciter le Front National.
Quant à la parade d’Hortefeux, elle consiste, en vérité, à placer des caméras de surveillance à des carrefours sensibles, et à éclairer les appartements du quartier, toute la nuit durant, avec de forts projecteurs montés sur des hélicoptères.
Les habitants innocents – en plus du stress qu’ils subissent – n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Ceux qui ne sont pas innocents et qui les terrorisent : on n’en a rien à faire !
A déclencher une insurrection armée au motif qu’un gangster multirécidiviste a été abattu par la police après lui avoir tiré dessus, ils montrent qu’ils refusent de se plier à la loi du pays qu’ils habitent ; il n’y a pas le début de recherche de justice dans le comportement des séditieux.
Il y a la revendication de faire la loi, d’être la loi, partout où ils sont et quoi qu’ils fassent, de remplacer l’Etat de droit par la loi des caïds des quartiers. Ou, au moins, de tenir l’Etat hors de leurs royaumes de drogue et de trafics.
Ce qui se déroule ces jours à Grenoble est un avertissement pour le moment à moindres frais. Il y a des arsenaux d’armes de guerre dans les quartiers, des membres de gangs qui ne craignent pas même les unités d’élite de la Police française.
Des voyous qui ne paieront certainement pas pour les dommages qu’ils viennent d’occasionner et qui s’élèvent à des millions d’euros. C’est nous qui raquons !
Mais ce n’est pas cela qui importe réellement. Ce qui compte, c’est le défi qui est lancé au gouvernement de ce pays, à ses juges, à ses partis politiques et à ses citoyens. L’heure de vérité commence à sonner.
Les caïds des autres zones de non-droit se frottent les mains : les Français ont peur d’eux. L’embrasement général n’est qu’une question de date, de déclencheur, d’opportunité, de prétexte ; et la police, à en croire ce que m’ont dit ses meilleurs éléments, n’est pas prête et se trouve en sous-effectifs.
Reste que la solution, s’il en existe une, n’est pas policière. Les forces de l’ordre sont un moyen, non une issue, ne le perdons jamais des yeux.
Pas de yaka et de faukon dans cet article, il existe une véritable problématique. Premier problème : ces gens s’asseyent sur notre espoir de les intégrer dans les traditions et les règles de notre société.
Maintenant, ce sont eux, au contraire, qui entendent nous intégrer aux leurs. Et ils ne cessent de le hurler ; si on ne les entend pas, c’est que mes confrères sont sourds et prudents. Ils empêchent l’information de vous parvenir.
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"Si tu diffères de moi,[…] loin de me léser, tu m'enrichis" Antoine de St Exupéry