Chaque jour, des civils syriens meurent, non pas à cause des actions que nous avons réalisées, mais du fait des actions non réalisées.
L’horrible rapport de la toute dernière atrocité de masse à Darayya reflète le mode trop atroce de la dépravation syrienne : d’abord, assiéger la ville – en refusant à ses habitants toute nourriture, l’eau, l’électricité, l’aide médicale et toutes les communications ; ensuite, lancer des bombardements soutenus, intensifiés et indiscriminés par air, tank et artillerie, transports de troupes, armes lourdes, soldats et milices – en menaçant de « nettoyer » la ville – sans laisser aucun de ses habitants la quitter : enfin, les shabiha – milices de tueurs gouvernementaux – allant de maison en maison, s’engageant dans des exécutions dévergondées, tuant la totalité des familles, brûlant même les corps de manière à dissimuler l’étendue de l’horreur, ne faisant que l’exacerber.
C’est une dépravation qui a été répétée de nombreuses fois depuis la marche pour « la paix et la dignité » à Deraa en mars 2011 – le plus grand massacre en un seul jour avec 400 personnes tuées en un jour à Derayya seulement – alors que les tueries se poursuivent à Alep, Homs, Hama, Idib et d’autres villes syriennes, dans l’extension des atrocités de masse encore inconnues.
En Libye, la communauté internationale est intervenue là-bas quand il y avait une menace d’atrocité de masse imminente ; en Syrie, la communauté internationale doit encore intervenir, malgré les atrocités de masse récurrentes, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
En Libye, le Conseil de Sécurité de l’ONU a autorisé une intervention pour protéger la communauté civile menacée ; en Syrie le Conseil de Sécurité doit encore adopter une résolution – et même mettre en œuvre le plan Annan de l’ONU – malgré 18 mois de champs de tueries, où plus de 20.000 Syriens ont été aujourd’hui assassinés.
En Libye, le Conseil de Sécurité a invoqué la Doctrine de la Responsabilité de Protéger – le principe de loi internationale autorisant une action collective internationale pour « protéger la population [d’un Etat] contre un génocide, des crimes de guerre, un nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité] si l’Etat où ces crimes sont commis est incapable ou n’a pas la volonté de protéger ses citoyens – ou pire, comme dans le cas de la Syrie, il est l’auteur de tels crimes. En Syrie, c’est comme si le principe n’avait jamais été adopté par la communauté internationale, sans parler de l’obligation de sa mise en œuvre.
J’ai écrit depuis plus d’un an maintenant sur la nécessité d’affirmer et de mettre en œuvre la Doctrine de la Responsabilité de Protéger pour aider à sauver les civils syriens du massacre par le régime d’Assad, ou pour initier l’action de protection requise, même sans invoquer la doctrine R2P. Pourtant, en riposte à ces appels – de moi-même et d’autres – pour une approche plus proactive, protective et interventionniste, a été de prévenir une « guerre civile », d’empêcher une lutte sectaire aggravée, ou bien un flux de jihadistes ; de tueries incessantes – ils sont tous survenus.
En effet, tout ce qui a été prévu de survenue potentielle comme résultat de l’action internationale est de fait arrivé – mais de par l’inaction internationale.
Ce qui est tellement nécessaire aujourd’hui – si ces terribles avertissements ne sont pas destinés à présumer le mantra d’une prophétie auto réalisatrice – c’est pour les Etats-Unis, en concertation avec l’Union européenne, la Ligue Arabe, la Turquie, le Canada et d’autres « Amis de la Syrie » de décider de mettre en œuvre les mesures suivantes délibérément et à toute vitesse : D ’abord, la protection contre la menace d’armes de destruction massive ; la révélation qu’il y a quelques 45 usines d’armes chimiques et des tonnes de matériels d’armes chimiques répartis à travers la Syrie, associés à la déclaration que le régime est prêt à les utiliser contre « des menaces terroristes externes » est lourde de dangers, en particulier puisque le régime qualifie les rebelles de « terroristes » ayant un soutien étranger, sans parler du transfert de ces armes au Hezbollah ou à leur saisie par des jihadistes. Il faut espérer que les USA, la Russie et d’autres pourront au moins coopérer dans la protection contre cette menace mortelle.
Deuxièmement, il est nécessaire d’interdire et de sanctionner l’assistance militaire substantielle iranienne et du Hezbollah au régime syrien – en particulier les expéditions d’armes et la formation, le financement et l’armement iraniens des forces et des milices syriennes – qui sont une violation permanente des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. Dit simplement, des pays, entités, groupes et individus impliqués dans de telles activités et transactions doivent être sévèrement sanctionnés et punis, alors que le Hezbollah – suivant sa complicité dans le terrorisme international ainsi que dans les atrocités en Syrie – doit enfin être mis sur la liste de l’Union Européenne comme entité terroriste.
Il faut noter que le rapport annuel tout juste publié du département d’Etat des USA sur le terrorisme a de nouveau qualifié l’Iran d’« Etat parrain principal du terrorisme » dans le monde, ajoutant qu’il «continue de saper les efforts internationaux de promotion de la paix et de la démocratie et menace la stabilité » – comme en Syrie – et a « fourni des quantités significatives d’armements et le financement du Hezbollah en violation directe de la Résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations Unies ».
Troisièmement, un soutien accru à l’opposition assiégée : toutes les forces de l’opposition, depuis le Conseil National Syrien à l’Armée Syrienne Libre, sont unies dans leur requête d’une intervention internationale et d’un soutien pour aider à « être à la hauteur du terrain de jeu », avec de la nourriture, du combustible et des fournitures médicales ; des armes défensives ; de l’assistance au contrôle et au commandement ; et de l’aide logistique et dans les communications, la formation et d’autres formes de soutien, qui commencent seulement à être fournis maintenant. Ces efforts doivent être coordonnés pour assurer l’efficacité – dont le contrôle des récipiendaires de telles armes défensives pour s’assurer qu’elles ne tombent pas dans de mauvaises mains. De fait, l’établissement d’une force dédiée unifiée USA & Turquie pour le partage de l’information et la planification opérationnelle est un développement bienvenu, alors que l’initiative française tout juste annoncée peut nous rapprocher de cet objectif.
Quatrièmement, des asiles sûrs doivent être établis. Alep endure un désastre humanitaire. La combinaison incessante et l’intensification du bombardement aérien de quartiers civils – déjà soumis à des semaines de tirs d’artillerie, de tank et de mitrailleuses d’hélicoptères – associée à l’absence d’électricité, d’eau et d’assistance médicale – a engendré un tempête humanitaire effrayante. Il est crucial que des asiles de sûreté soient établis pour servir de zones de protection civile ; comme refuge pour les déplacés et les agressés ; et comme corridors humanitaires pour la livraison de matériel médical et de secours humanitaires.
Cinquièmement, de tels asiles de sûreté, nécessaires pour Alep, ne sont pas moins cruciaux pour la Syrie dans son ensemble. En fait, j’ai écrit depuis près d’un an sur le besoin de zones de protection civile – ou ce que Anne-Marie Slaughter a appelé des « zones de non tuerie » – en particulier le long des frontières de la Syrie avec la Turquie, le Liban et la Jordanie. Cela protègerait contre la vulnérabilité des quartiers syriens agressés, tout en apportant la protection si profondément nécessaire aux personnes déplacées et aux réfugiés. Toute attaque syrienne sur ces zones de protection civiles autoriserait une protection légitime en autodéfense – y compris des zones d’exclusion aérienne – qui protègeraient contre les forces syriennes attaquant ces zones civiles.
Sixièmement, il est nécessaire que les Etats Unis – avec les alliés arabes, turcs, européens et autres – travaillent à unifier le patchwork de l’opposition syrienne, où l’armée syrienne libre opère plus comme un réseau de milices que comme un commandement unifié, et aident à planifier une transition en bon ordre sur le chemin vers, et à la suite du départ d’Assad.
Il y aura le défi pressant de reconstruire des vies ; de réhabiliter les déplacés ; de rapatrier les réfugiés ; de redémarrer l’économie ; de restaurer les services ; et de protéger la sécurité humaine. De même, il y a le besoin de combattre les centaines de jihadistes et les combattants d’al Qaïda – en particulier d’Irak – qui sont en Syrie.
Septièmement, les chefs politique et de l’armée syrienne doivent être prévenus qu’ils seront tenus responsables de leurs graves violations de la loi internationale, et qu’ils seront déférés devant la justice pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ce qui peut réduire davantage la criminalité syrienne tout en encourageant plus de défections.
Il est maintenant aussi opportun que nécessaire d’augmenter la pression sur Assad, et ceux qui lui sont loyaux, de chercher à les exiler à moins qu’ils ne subissent le même destin que Mouammar Khaddafi ou Saddam Hussein.
De fait, il faudra mettre la pression sur les commandants de l’armée pour les pousser à la défection – comme les dirigeants politiques de haut niveau – qui devraient être encouragés par les défections de haut niveau comme celles du Premier ministre syrien Ryad Hijab, des Brigadiers Généraux comme Manaf Tlass, et des diplomates de haut rang, ce qui a encouragé l’opposition de même que cela a secoué le régime syrien.
Huitièmement, la communauté internationale doit protéger contre le risque de violence sectaire croissante, la radicalisation jihadiste, et les meurtres de représailles ou de vengeance, en assurant des engagements fermes de la part des forces d’opposition syriennes pour traiter ces phénomènes sérieusement en protégeant les droits des minorités ; l’assistance aux commandants des rebelles devra être conditionnée à de telles garanties.
Neuvièmement, il faut un mandat autorisé d’une large force internationale de paix conduite par des arabes en Syrie qui ramènera, entre autres, soldats et tanks vers leurs casernes et leurs bases ; ordonner et contrôler l’obéissance avec l’arrêt de la violence ; et aider à assurer la transition pacifique vers un régime pacifique post-Assad.
Dixièmement, il existe un besoin clair et convaincant d’une assistance humanitaire venant de l’augmentation exponentielle d’une population déplacée à l’intérieur de la Syrie, qui a doublé de mars à novembre : plus de 1,5 million de personnes déplacées et plus de un million nécessitant une assistance, et les centaines de milliers de réfugiés qui ont afflué et continuent d’affluer – au Liban, en Turquie et en Jordanie, avec le risque présent de déstabilisation de ces régions frontalières. Les annonces d’une assistance humanitaire accrue par le ministre canadien des affaires étrangères John Baird et le secrétaire d’Etat américain ne sont que des étapes dans la bonne direction, qui devront être répétés par d’autres « Amis de la Syrie ».
De nouveau, comme d’autres l’on dit : « Une perte de temps signifie une perte de vies ». Le temps d’agir est arrivé, et il est écoulé depuis longtemps. Chaque jour, des civils syriens meurent, non pas à cause des actions que nous avons réalisées, mais du fait des actions non réalisées.
Par IRWIN COTLER
Jerusalem Post 30/08/2012
http://www.jpost.com/Opinion/Op-EdContributors/Article.aspx?id=283304
Adaptation française de Sentinelle 5772 ©
Irwin Cotler est professeur émérite de droit à l’université McGill, ancien ministre de la justice et Avocat Général d Canada. Il est le co-éditeur de « La responsabilité de Partager ; La Promesse d’arrêter les Atrocités de Masse à notre époque, promesse, publication récente aux Universités Press d’Oxford.’