29 mars 2024

UNE COMMÉMORATION EN FORME D’AVEU

Il est difficile, voire dangereux, d’intervenir lorsqu’un groupe humain est plongé dans un acte d’adoration. Toute vision du dehors, toute approche distancée et critique, tout regard sociologique sont perçus comme une violence.
 
Il y a tout de même de quoi s’étonner de voir cette dévotion unanime, du sommet de l’Etat au simple quidam, aller à une personnalité dont les traits sont bien flous quand on les mesure à l’aune de la réalité.  Des chercheurs ont montré que bien des traits de sa vie célébrés de toutes parts comme autant de preuves de son exceptionnalité sont ou bien faux ou bien déformés. Par exemple qu’il a contribué ou participé à la rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme alors que lui même a reconnu dans un entretien avec Jean Daniel qu’il n’en était rien (1). On apprend aujourd’hui qu’il n’aurait jamais été formellement « normalien » (diplômé). On savait qu’il n’était pas formellement juif, etc.
 
Néanmoins, même les croyances infondées constituent un indice de la réalité sociale et, d’un point de vue sociologique, doivent être tenues pour des choses très sérieuses.
 
Le personnage d’Hessel est une fabrication médiatique mais les qualités qui lui sont attribuées sont très significatives. Le directeur de Libération, Nicolas Demorand, les a bien formulées : «J’aimais la gauche qu’incarnait Stéphane Hessel, forgée par la guerre, trempée dans les principes du Conseil national de la Résistance et l’esprit fondateur de l’ONU». Il « ne dérogea jamais». Rapporté par le même journal, Dominique Garaud dans la Charente Libre lui enchaîne le pas: « Résistant de la première heure, rescapé miraculé de Buchenwald, associé à la naissance de l'ONU, à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, diplomate promu à la dignité d'ambassadeur de France, médiateur pour les sans-papiers, perpétuel agitateur d'idées à gauche ».
 
Nous trouvons dans tous ces attributs l’écho des critères qui font la légitimité aujourd’hui : victime, mais résistant, survivant mais dévoué aux autres, fervent de la « communauté internationale », des « droits de l’homme », soutien aux « sans » de toutes sortes tandis que, selon la journaliste Hélène Pilichovsky, le fait que, quoique Juif, il a pris fait et cause pour les Palestiniens (2) constitue le côté le plus fort du personnage. Il faut donc rajouter à tous ces critères, la haine de soi, si typique des post-modernistes, dévorés de culpabilité envers « l’Autre ».
 
« Juif » donc mais contre soi et finalement pas tout à fait juif mais « Juif d’origine » , sous « les foudres des associations juives » (Le Monde), martyr donc, internationaliste, pour les droits de l’homme (et pas du citoyen), pro-immigré, pro-Palestinien, défenseur des damnés de la terre et donc anti-colonialiste, participant de la Déclaration des droits de l’homme, au sortir de la Shoah et des camps (3), contre Israël qui aurait trahi cet héritage etc. A cela s’ajoute ce qui, dans la culture démocratique de masse, vaut comme un signe de confirmation sociale : la vente de 5 millions d’exemplaires d’un « livre » de 15 pages au message typiquement « bobo » c’est à dire relayant une idéologie qui, depuis son « grand soir » de 1968, « se la joue » et vit en prenant des postures dans son fauteuil de direction… « Indignez-vous » mais… ne vous révoltez pas.
 
Même surfait, le mythe Hessel est efficace et fait du personnage une icône du bien, du légitime, du gracieux, de l’espérance, génératrices de charisme. Dans les faits, quand il y a pouvoir charismatique, l’important c’est moins le personnage charismatique que la croyance de ses disciples en sa personne tenue pour hors du commun, incarnant des valeurs qui intiment l’autorité.
 
C’est justement là, quand on considère la foule de ses adorateurs, que cet étrange unanimisme inquiète. Au creux de cet écrin délicat se niche en effet une haine d’Israël, une inimitié extrêmement profondes, qui se nourrissent de toutes ces qualités que l’opinion contemporaine tient pour positives et dont l’impact rejaillit d’autant plus négativement sur Israël et les Juifs, clairement identifiés comme hostiles. Peu importe, sur le plan du réel, l’inanité, les erreurs, les jugements péremptoires qui inspirent cette inimitié, ce qui compte c’est la puissance de l’émotion. Vu la place qu’occupe dans son « livre » (4) la dénonciation d’Israël, il est clair que dans tous les esprits énamourés qui se pâment devant son auteur, Israël et tout ce qui se rattache à lui incarnent le contraire absolu. Cela relève désormais de la croyance, de la foi, d’une forme de religiosité. Tous les problèmes de la terre qui doivent susciter « l’indignation » ont désormais le visage de l’Israël (5)  honni et des Juifs qui le soutiennent.
 
L’encensement aberrant et immérité de ce « juste » (Libération dixit, mais aussi avec la confirmation ahurissante de l’État hollandais, lui conférant les honneurs militaires aux Invalides) nous donne un indice extrêmement sûr de l’épaisseur de l’inimitié envers Israël et les Juifs (6) qui a cours actuellement en France. Nous sommes dans une situation d’égarement moral et intellectuel maximal (7) où la compassion pour les victimes de Merah fait cause commune avec le discours qui justifie leur meurtre (rappelons nous que le terroriste voulait venger « les enfants de Gaza » (8)). Au fait, où était l’indignation de Hessel après Toulouse, pour ne pas parler de la Syrie (9) ?
 
Tout cela est éminemment inquiétant même si ces réalités restent pour l’instant « froides ». C’est un brandon pour le feu de demain.
 
Notes :
 
1- « Laissez-moi faire une petite rectification. Quand on dit que je suis corédacteur de la "Déclaration universelle des droits de l'homme", c'est très exagéré. A l'époque, j'avais 30 ans et n'étais qu'un jeune diplomate, chef de cabinet d'Henri Laugier, secrétaire général adjoint de l'ONU. Lors de l'élaboration du texte, j'étais assis à côté de gens aussi importants que René Cassin et Eleanor Roosevelt, qui, eux, rédigeaient la Déclaration alors que, moi, je les écoutais rédiger. »Cf.
http://tempsreel.nouvelobs.com/stephane-hessel/20130227.OBS0206/debat-stephane-hessel-et-jean-daniel-insurgeons-nous.html
2-Le Match des éditorialistes de I-TV, le 27 février 2013. http://www.itele.fr/chroniques/le-match-des-editorialistes/le-match-des-editorialistes-43679;
« là où il était le plus séduisant et le plus crédible, à savoir quelqu’un d’origine juive qui défendait les Palestiniens et çà c’est quelque chose à louer… ». Le journaliste de Libération présent était parfaitement d’accord sur ce point là. Gauche et droite réunies !
3- Le titre de Une de Libération, « Un juste », est une reprise, calculée ou pas, du titre de « juste des nations » conféré aux non Juifs qui ont sauvé des Juifs durant la Shoah. Ce phénomène est très intéressant car nous assistons là à une nouvelle étape du discours sur les Justes (on se souvient de leur célébration par Chirac au Panthéon) qui a ouvert la voie à la tentation d’aborder la mémoire des victimes par le biais de leurs sauveteurs, une approche déculpabilisante. Avec Hessel devenu un « juste », l’argument du « juste » peut être retourné contre ceux qui étaient identifiés aux victimes, les Juifs. En quoi serait-il un nouveau « juste » si ce n’est parce qu’il « sauve » les nouvelles « victimes », les Palestiniens, de nouveaux « bourreaux », les Juifs, pardon, les Israéliens…
4- De façon très physique, la couture qui tient le livre passe juste au milieu du passage concernant Israël, de sorte qu’en l’ouvrant on tombe immédiatement sur son nom.
5- Ce que j’ai vu de mes yeux sur la place de la République dans une manifestation en faveur des droits des handicapés, le slogan anti-israélien était présent…

2 réflexions sur « UNE COMMÉMORATION EN FORME D’AVEU »

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