color:#0064B0″>Revue internationale de sociologie et de sciences sociales :
color:#0064B0″>Esprit Critique[1]
Affinement positif-OIL / Article Resiliencetv / Conservation positive-OIL / Dispersion positive-OIL / Dissolution positive-OIL / Evaluation de l'action-OIL
Note sur Palestine 1948 De Yoav Gelber
[1]
Lucien Samir Oulahbib[2]
La difficulté de ce livre est bien de vouloir faire de l’Histoire et non contribuer au roman narratif israélien ou palestinien (p.10). Ce qui implique de trouver, dans les archives, les correspondances entre officiels, les rapports, les témoignages aussi mais recoupés, tout un faisceau de faits qu’il s’agit ensuite de rassembler pour expliquer ce qui s’est réellement passé, tout en sachant que l’a priori de départ mettra tout parterre ou au contraire lui donnera un sens vérifiable.
Si l’on part par exemple du principe a priori que Yoav Gelber est juif, israélien, officier combattant, universitaire, non membre de mouvement prenant comme argent comptant la version palestinienne associant l’indépendance d’israélienne à la notion de « catastrophe » donc, il ne peut, par essence, faire de l’histoire objective. Ce principe est d’ailleurs effrayant. Parce qu’il renvoie en pleine figure les présupposés racistes classiques, que l’on peut, dans la France d’aujourd’hui, généraliser : les propos d’un économiste, lorsqu’il est supposé être « libéral » ou encore caractérisé de « droite » se verront, automatiquement, et très en amont, relativisés, écartés, éliminés.
Yoav Gelber explique aussi un second point crucial (p.14) : le conflit « israélo-arabe » suscite des passions sans commune mesure avec d’autres types de confrontations, à l’exception du conflit turco-arménien (que Gelber ne cite cependant pas).
Il y a aussi deux autres points dont un troisième qui est non seulement très frappant mais peut expliquer pour une part l’incompréhension encore actuelle de ce conflit : Gelber décrit en fait l’enchaînement de faits qui amène à la guerre. Ce terme n’est, aujourd’hui, plus guère saisi comme facteur sui generis, malgré Clausewitz ; sans doute parce qu’il s’attache surtout à une confrontation interétatique. Pourtant, dans le cas nous concernant ici, il s’agit bien d’un État mais en gestation, l’État d’Israël, alors que l’autre État possible, qui était prévu par l’accord onusien de 1947 propre à la création de deux États (l’un « juif », l’autre « arabe »[3]) n’a pas pu voir le jour. En fait, le concept de guerre implique, au moins, deux aspects : 1°/ la matérialisation multiforme et simultanée de plusieurs stratégies propres à divers acteurs agissant sur le terrain dont la confrontation part du « duel » pour aller à son « amplification » si l’on suit Clausewitz[4]. 2°/ la nécessité d’institutions adéquates permettant l’art de régler les conflits en interne et de les subsumer en externe, c’est la notion de « politie » si l’on suit Baechler.
Ainsi lorsque l’on parle disons du camp « arabe », l’on omet généralement de rappeler que celui-ci était composé de plusieurs composantes sinon opposées du moins concurrentes comme celle du Mufti de Jérusalem (p. 30), celle du Haut Comité arabe (HCA) regroupant l’embryon d’organisations paramilitaires palestiniennes (p.27) de la Ligue Arabe qui créa l’ALA (armée de libération arabe) en 1947 (p. 17) celle enfin du roi Abdallah de Transjordanie (p.31), sans parler de divers irréguliers venus parfois d’Afrique du Nord se mettant au service de l’une ou l’autre de ces parties. Ces composantes n’étaient évidemment pas en phase (p.31)[5], et, surtout, avaient leur propre agenda qui ne correspondait pas obligatoirement avec les exigences proprement « palestiniennes » qui elles-mêmes ne s’étaient pas organisées de toute façon, dés le départ en fait, en vue de la guerre en tant que telle (p.17) :
Au cours de cette période (décembre 1947/avril 1948) la principale organisation paramilitaire juive — la Haganah[7].
La société palestinienne avait du retard. N’ayant pas conscience de la différence entre une insurrection anticoloniale et une guerre nationale, les dirigeants palestiniens préféraient mener la lutte à l’abri depuis l’étranger, comme ils l’avaient fait lors de leur rébellion contre les Britanniques en 1936-1939. Les Palestiniens négligèrent de créer des structures centrales politiques, financières, administratives et militaires pour mener une guerre. Cette négligence aboutit à une rapide détérioration des institutions locales et, par la suite, conduisit à une totale anarchie. La Ligue arabe contribua au chaos en se montrant incapable de déterminer l’avenir politique de la Palestine arabe ou de laisser les Palestiniens prendre en main leur destin.
Dès le début, la Ligue arabe assigna aux Palestiniens un rôle secondaire dans le cadre de l’effort de guerre arabe.
Cerner en fait ce que le mot « guerre » veut dire, et, plus, précisément, ce qui s’enclenche, se déclenche sur le terrain, c’est donc bien déjà sentir son inertie en tant que ce processus propre qui lorsqu’il démarre semble bien difficile à interrompre, surtout lorsque en face il n’y a pas d’équivalent institutionnel capable de se hisser à hauteur de jeu d’un tel absolu duel. Le simplisme dans l’analyse n’est alors certainement pas de mise ou bien il s’agit de propagande. Car, quel est l’imaginaire véhiculé jusqu’à aujourd’hui encore concernant ce conflit arabo-juif ? Celle d’une armée israélienne, surgie de nulle part, qui décide, avec préméditation, de chasser devant eux tout palestinien, victime par essence. C’est, là, « le » récit, même, lui-même, à peine dégrossi, des principaux discours « pro » palestiniens contemporains au sein desquels s’inscrivent aussi désormais certains historiens israéliens.
Gelber, avec une acuité historiographique très impressionnante, démontre le contraire : l’armée israélienne ne tombe pas du ciel, bien qu’elle soit issue d’une Haganah en voie de transformation mais peu encline à obéir à une « autorité strictement civile » (p. 209) ; il s’avère que d’autres groupes persistent à rester autonomes comme l’Irgoun et le Lehi, ce qui a posé problème lors de « l’exode arabe » (y compris au sein de la Haganah) « exode » et non pas « nettoyage ethnique » comme il est prétendu aujourd’hui : le Yichouv n’a pas en un mot chassé le palestinien devant lui, bien au contraire (pp. 141-142[8]).
Certes, il y a eu le massacre de Deir Yassin, mais celui-ci fut monté en épingle (et il l’est encore aujourd’hui) alors qu’il fut plutôt un fait de guerre (là encore) — décidé à la hâte, malgré la réticence la Haganah, par l’Irgoun et le Lehi bien moins entraînés que cette dernière (p. 118). Ce ne fut pas un massacre pur et simple (107 arabes tués, p.121) dont des hommes déguisés en femmes et donc des femmes aussi, (p.125), alors qu’il eut, observe Gerber, (p.130) 240 juifs tués à Goush Etzion, et surtout 250 arabes à Lyddia en situation de capitulation et non pas en « plein combat ».
En fait, si le Yichouv n’a pas actionné un plan prémédité d’expulsion (p.153)[9] (et ce ne fut certainement pas, selon Gelber, par le planDalet, tant dénoncé pourtant aujourd’hui, pp.112-115[10]) il n’a pas non plus retenu par la manche le palestinien en exode, surtout à la longue (p.142[11]) alors que certains responsables Juifs pensaient que la préméditation provenait de l’autre camp comme l’indiquait Sasson, un haut responsable du Shaï (service secret de la Haganah)[12]. Un argument qu’écarte néanmoins Gelber y voyant là plutôt un exemple dudit narratif israélien (p. 153) :
(…) l’argument israélien traditionnel accusant les dirigeants arabes d’avoir encouragé l’exode n’est pas corroboré par les documents. Ce que ces derniers révèlent, c’est que le HCA, l’ALA et les gouvernements arabes tentèrent en vain d’endiguer cet exode. Les quelques tentatives d’organiser l’évacuation des mères et des enfants ne constituent qu’une « exception à la règle ». En réalité, les Arabes palestiniens succombèrent aux difficultés de la guerre. Ils n’y étaient pas préparés ; ils étaient inorganisés et peu conscients du caractère national particulier de cette guerre, ainsi que de la signification de cet exode pour leur avenir.
Quant à l’évaluation de « l’effort de guerre arabe », Gelber en fait l’analyse précise à la suite de « la trêve de quatre semaines en juin-juillet 1948 » et de l’embargo sur les armes promulgué par l’ONU (pp.209-210) :
Il y avait un abîme entre les objectifs politiques des Etats arabes et leurs capacités militaires. (…) D’un côté, ils ne pouvaient s’obstiner à poursuivre leur offensive, et n’étaient même plus capables de conserver leurs positions. De l’autre côté, ils refusaient d’admettre leur échec et d’accepter l’existence de l’État juif. En dépit des exhortations britanniques à poursuivre les négociations, et des promesses que la diplomatie profiterait davantage à la cause arabe que la reprise des combats, les gouvernements arabes rejetèrent toute suggestion impliquant l’existence d’Israël ainsi que la proposition de Bernadotte de prolonger le cessez-le-feu.
D’où ce qui va suivre. Car cela résume au fond le tout de cette affaire encore en cours sous nos yeux — ce sera aussi ici le quatrième et dernier point qui clôturera cette note de lecture : il y a donc bel et bien eu une guerre, « d’indépendance », pour les Juifs, « catastrophe » pour les Arabes ; la qualification n’est pas la même, la première est objective, la seconde subjective, il ne s’agit pas ici de les opposer, mais d’observer seulement que l’on ne voit guère pourquoi, au nom de quelle spécificité supra-humaine, le vainqueur, en l’occurrence ici le Juif, serait sommé de redonner son gain, sa conquête, sans contrepartie qui plus est, chose qui n’est, jamais, ò grand jamais, arrivé dans l’Histoire. L’occupation turque à Chypre continue. La colonisation du Tibet s’accentue. Il y a, en novembre 2013,plusieurs millions de réfugiés syriens tassés dans des camps (de réfugiés).
D’aucuns, dont des Juifs ralliés à la cause palestinienne, voient, 66 ans après, non pas une inhumanité mais l’inhumanité elle-même ; comme si les Juifs, parce qu’ils sont Juifs, soit n’auraient pas le droit de se comporter comme les autres peuples en situation de guerre, soit ne peuvent pas agir ainsi sous peine que cela apparaisse insupportable au nom de ce qu’ils auraient vécu. Pour qui pourquoi depuis quand ? Sans doute en réalité, du moins du point de vue arabe, parce qu’il est difficile d’une part de se faire dominer par un peuple qui a été méprisé sinon pendant des siècles au moins pratiquement durant plus d’un millénaire. D’autre part parce que les récits les plus sacrés ont toujours promis l’inverse à savoir la soumission d’Israël (Coran/Sourate/2/40-123). Le livre de Yoav Gelber apporte, contre ce narratif, un éclairage tout autant radical, celui des faits (facts) au-delà de leur interprétation biaisée. Quoique passionnément…Ou la judéophobie des Modernes
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none”>[1] Sous–titre : « Guerre d’indépendance ou catastrophe », éditions Les Provinciales, 2013, 407 pages, 30 €.
Une réflexion sur « Note sur Palestine 1948 De Yoav Gelber »