Le professeur Kamal Kolo, Chaldéen chrétien d’Irak, avait donné une conférence dans les locaux du Parlement Européen au sujet des parallèles entre les exodes juifs et chrétiens de son pays. Ces deux minorités indigènes ont subi les conséquences ultimes d’une longue tradition d’oppression des populations non-musulmanes. Aujourd’hui Kolo est pessimiste quant aux chances d’éviter un exode total.
Il est intéressant d’apprendre que depuis la colonisation arabo-musulmane, même les villages entièrement chrétiens de Mésopotamie ont été considérés par les autorités comme appartenant à l’Islam et non à leurs habitants. Il s’agissait de faire en sorte que des autochtones ne se sentent plus chez eux tant qu’ils tiennent à conserver leur foi, leur langue et leur identité nationale indigène. Quel suprême paradoxe!
Car ceux que le nationalisme arabe a rebaptisés « Arabes chrétiens » (v. L. Oulahbib) sont généralement des Chaldéens, des Assyriens, des Phénico-Libanais etc. auxquels on a imposé une définition en tant que confessions pour faire oublier qu’il s’agissait de nations opprimées et minorisées par un envahisseur. Il fallait surtout faire oublier que ces peuples araméophones avaient droit au moins à une autonomie culturelle et linguistique, sinon à former des nations structurées, capables de se défendre quand il le faut plutôt que de subir passivement persécutions et conversions forcées. (On pourrait rappeler également que les dits “Arabes” musulmans d’Irak, de Syrie, d’Egypte, ne sont eux-mêmes pas issus des colons arabes de jadis mais bien des indigènes qui ont été arabisés de gré ou de force, cela contrairement aux Saoudiens actuels, descendants des Arabes de l’antiquité.)
Dresser ce tableau pourrait paraître un détour en ce qui concerne le conflit israélo-arabe et sa représentation, or il me semble que c’est là une clef indispensable pour en comprendre les racines. On voit aujourd’hui que le Moyen-Orient se vide de ses minorités non-musulmanes. A quand le tour des pacifiques Coptes, derniers représentants de l’Egypte ancienne, qui eux vivent véritablement sous une Apartheid entérinée par les pouvoirs et rarement combattue par les militants des droits de l’homme à travers le monde?
Dans ce contexte d'épuration ethnique aux dimensions continentales, une seule des antiques nations moyen-orientales échappe encore à cette tendance lourde: c’est Israël, qui représente 0,3% de la surface de la région. La raison en est simple et tragique: il s’agit de la seule minorité du Moyen-Orient qui bénéficie d’une supériorité militaire. Or c’est précisément cette position d’autonomie, de non-soumission, qui provoque une colère sans bornes chez les adeptes de l’hégémonie arabo-musulmane.
Ce qu’on ne supporte pas, c’est que des Dhimmis (minorités sous domination islamique) aient pris les armes, car cela est interdit par la loi islamique. En tentant maladroitement d’anéantir l’état juif avec tous les moyens disponibles, des Levantins arabisés récemment rebaptisés en tant que « Palestiniens » (1) par l'arabisme subissent des conséquences désastreuses, ce qui ne fait que renforcer un point de vue irrédentiste. Or il en serait probablement de même si toute autre minorité du Moyen-Orient était parvenue à résister à l’hégémonie arabo-musulmane.
Le conflit israélo-arabe n’a pas été généré ex nihilo, dans un vide historique et géographique. Il représente la surprenante persistance de certaines identités d’Orient malgré l’arabo-islamisation. Il est vrai que l’état d’Israël a été fondé principalement par des Juifs d’Europe, descendants des Hébreux exilés, mais il s’est vite enrichi des Juifs d’Orient, dénaturalisés et expulsés par les pouvoirs nationalistes arabes. De plus, un nombre grandissant de citoyens israéliens sont des non-juifs, musulmans notamment. En-dehors de ce pays plus petit que la Belgique, le danger est grand de voir toutes les minorités indigènes disparaître de la région.
Il s’agit de renverser cette tendance, funeste pour les musulmans eux-mêmes, ou du moins de la combattre vigoureusement, plutôt que de chercher à cumuler et amplifier les chefs d’accusation contre la seule exception à cette règle, Israël. Ce n’est qu’en démontrant que toutes les nations d’Orient peuvent être traitées honorablement que l’on pourrait envisager de parvenir à une coexistence pacifique – réelle plutôt qu'imaginaire – de ces peuples. Nul besoin alors d’un état-bunker juif armé jusqu’aux dents, ni d’une Palestine en peau de chagrin. Malheureusement, comme on l’a vu, la tendance générale est à peu près à l’opposé. A quand une militance arabo-musulmane pour les identités indigènes (2) ?
Notes :
(1) Ironie de l’histoire que d’avoir fait des habitants arabisés de l’antique terre de Canaan des « Palestiniens ». Avant eux, c’était les Juifs du Yishouv (le proto-état juif) qu’on appelait ainsi. « Palestina » est le nom que les Romains ont donné à cette terre une fois soumise pour humilier ses rétifs habitants. Le terme référait avec malice aux Philistins, ces conquérants venus autrefois d’Occident. Ce sont les Hébreux pré-judaïques, ancêtres communs des Israéliens et des Palestiniens, qui les avaient appelés ainsi car « Plishtim » est un mot qui signifie « envahisseurs ».
(2) C’est en Afrique du Nord qu’une telle démarche a timidement vu le jour. Citons l’écrivain algérien Kateb Yacine, militant anticolonial : « L’arabisation ne peut jamais être autre chose que l’écrasement du tamazight [la langue berbère]. L’arabisation, c’est imposer à un peuple une langue qui n’est pas la sienne, et donc combattre la sienne, la tuer. Comme les Français quand ils interdisaient aux écoliers algériens de parler arabe ou tamazight parce qu’ils voulaient faire l’Algérie française. » (AWAL, Cahiers d’études berbères, n° 9, Paris, 1992.)
Voir également les ouvrages suivants :
– Lucien Samir Oulahbib, Le monde arabe existe-t-il ?
– David Belhassen et Nissim Amzallag, La haine maintenant.
– Nathan Weinstock, Histoire de chiens. La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien.
6 juillet 2009