Ce serait une "pulsion" paraît-il lié à un "état second" selon l'auto-diagnostic du meurtrier violeur,mais tout cela semble bien suspect déjà en lisant le déroulé des faits fourni par le Procureur et mis en forme par France-Info (l'assassin va s'acheter des pilules pour stimuler l'érection, il boit, se met en état second puis ensuite va voir Angélique dont il aurait eu "envie" la drague chez lui etc):
"Mercredi 25 avril, jour de la disparition d'Angélique Six, le suspect était ainsi en repos, "seul chez lui puisque sa famille est dans le sud de la France et ne pas doit revenir avant le lendemain". David Ramault se rend à Lille le matin. Il achète des pilules contre les troubles de l'érection dans un sex-shop."En rentrant chez lui, il a absorbé deux ou trois de ces pilules et également trois canettes de bières. Il regarde la télévision en début d'après-midi et il s'endort", raconte le procureur de la République de Lille. Le suspect se réveille vers 16 heures, "à ce moment-là, il ne se sent pas bien et il dit qu'il va prendre l'air".
David Ramault passe alors "devant le jardin" où il croise Angélique. "En passant devant ce jardin, il nous a dit qu'il a eu envie d'elle et qu'il a voulu la ramener chez lui", poursuit le magistrat qui cite une déclaration du suspect faite aux enquêteurs :
« C'était plus fort que moi, j'étais dans un état second. » cité par le procureur de Lille.
Le suspect qui connaît la petite Angélique va lui parler et prétexte alors "d'avoir un objet à lui remettre pour ses parents". "Elle le suit sans méfiance", explique le procureur.
Une fois à son domicile, le suspect offre à boire à Angélique, "il lui pose des questions de plus en plus intimes", selon le magistrat. La jeune fille cherche alors à partir. "Il l'en empêche, elle se met alors à crier." David Ramault dit avoir maintenu Angélique Six de force et avoir commencé à la déshabiller. Il s'enferme ensuite avec elle dans les toilettes et "finit de la déshabiller", ajoute Thierry Pocquet du Haut-Jussé. "Elle tente à nouveau de s'enfuir et de se débattre, il lui donne une gifle." (…) »
Ensuite il la viole et l’étrangle : je résume (pas envie de donner dans les détails énumérés cash par le Procureur).
Sauf que si l'on applique l'analyse janétienne de la différentiation entre pulsion et impulsion cela n'a rien à voir avec une pulsion c'est-à-dire un déclenchement dissociatif comme un dédoublement de personnalité, Mister Jekyll et Mister Hyde, ainsi vous n'avez plus du tout conscience que votre bras gauche s'actionne pas plus que vous parlez à voix haute et ainsi de suite.
Ce n'est pas le cas de ce tueur : il a prémédité son acte, sans pour autant peut-être savoir au préalable qui en serait victime, mais il s'est mis en condition pour y arriver : il avait donc un but ce jour là, il rassemble des moyens (pilules, bières, TV (quoi exactement ?…) etc) il s'endort dit-il puis se réveille, les pilules et les bières faisant leur effet il lui faut impérativement trouver l'objet de sa projection destruction préparée en amont, cela n'a donc rien à voir avec une pulsion qui ferait qu'immédiatement à l'instant T où il aurait vu cette jeune fille il se serait rué sur elle, ce qui n'est pas le cas.
Observons ce qu'en dit Janet lorsqu'il différencie pulsion et impulsion:
(ce qui va suivre est l'extrait d'un travail effectué il y a quelques années, toujours en voie de publication ; pour en savoir plus sur Janet, lire mon ouvrage à son sujet et aussi deux à trois articles sur Internet, il suffit d'indiquer dans le moteur de recherche Oulahbib, Janet)
" (…) Pulsion et impulsion
Un tel diagnostic implique de bien préciser les termes que l’on emploie, et l’on voit bien que ce n’est pas seulement sémantique : une impulsion est contrôlable, pas une pulsion qui se propulse selon le stade quasi mécanique : automatique[1].
Pour Janet, l’impulsion, i.e la tendance ou désir (disposition à certains actes[2]), peut être soit mis en avant, soit mis en sustentation selon la hiérarchie établie en un instant T par la "Personnalité" cette "Synthèse" pour Janet ; cet état, mouvant, de présence/absence en ce que les tendances continuent à (s’)élaborer -ce ne sont pas des habits attendant d’être mis- il incarne pour Janet le subconscient :
Ce qui caractérise la subconscience, ce n’est pas que la tendance diminue ou reste latente, c’est au contraire que les tendances se développent, se réalisent fortement sans que les autres tendances de l’esprit soient averties de leur réalisation et sans qu’elles puissent travailler à s’y opposer3].
Janet ajoute :
Il y aurait, je crois, toute une étude psychologique des plus curieuses à faire sur cette rêverie intérieure et continuelle qui joue chez beaucoup d’hommes un rôle considérable. On pourrait étudier le contenu de ces rêveries ; on y verrait quelquefois de curieux travaux psychologiques qui s’effectuent en nous à notre insu. C’est grâce à ce travail subconscient que nous trouvons tout résolus des problèmes que peu de temps auparavant nous ne comprenions pas. C’est ainsi bien souvent [4].
Mais il ne faut pas confondre cette impulsion, ou tendance à, avec la pulsion qui, elle, exprime plutôt la désintégration ou dimension hystérique c'est-à-dire chez Janet le rétrécissement de la conscience allant jusqu’au dédoublement de la personnalité et ses dérivées oscillant entre l’apathie et l’agitation active (sans but autre que l’ardeur et la passion)[5] : les tendances se manifestent ouvertement sans plus aucune synthèse.
C’est ce stade, là, d’implosion progressive que Janet appelle proprement l’inconscient, qu’il s’agit de saisir en son sens littéral : alors que dans le subconscient les impulsions sont en agitation permanentes en tant que possibles quoique comprimés, plus ou moins, par la synthèse de la conscience (d’où les actes manqués, les maladresses, les hausses et baisses de tension, d’humeur) l’inconscient, lui, implique que le sujet n’a précisément plus du tout conscience qu’il parle à voix haute en continu ou que ses membres sont en mouvement, allant des tics à l’agitation perpétuelle.
Janet observe par exemple une accentuation du silence[6], une sorte de rétrécissement de l’esprit[7], doublé du sentiment de fatigue, de défiance envers soi-même et le monde. Or, la conduite de l’effort implique comme condition que le « sentiment de la liberté et le sentiment même de l’existence », ne puissent pas « être mis en question au moment de l’effort moteur ». Janet le souligne en s’appuyant sur ces propos de Maine de Biran[8] . Ce qui peut ne pas aller de soi et susciter le refus d’agir, la fatigue d’être soi[9], la mélancolie et leurs extrêmes dont la psychasthénie « ordinairement caractérisée par des obsessions, des phobies, des impulsions accompagnées de conscience mais qui dans certains cas déterminent de véritables et graves délires »[10].
L’inconscient comme pathologie du subconscient
Chronologiquement, Janet suggère que c’est l’accumulation latente de troubles divers suite à l’action non réalisée qui rend sinon immédiatement malade du moins déjà angoissé, inquiet[11], fatigué (« épuisée ») ; sans doute parce que le corps en son entier ne comprend pas pourquoi l’action n’a pas été accomplie[12], ni son échec analysé, alors que toute une énergie y a été synthétisée ; ce qui déclenche nécessairement un doute de plus en plus profond sur la raison de chaque geste, s’il s’avère en plus qu’on ne peut pas se réaliser. Un doute qui peut aller jusqu’à « rétrécir son esprit»[13] sur quelques comportements élémentaires répétés par ailleurs indéfiniment, alors que les diverses autres sensations provenant des troubles suite à l’action non réalisée, sont en quelque sorte négligées, ou au contraire scandées en idées fixes et obsessions, dissociées[14],comme si elles étaient mises à part du reste de l’organisme :
Un beau jour le malade, car vous devinez qu’il est devenu un malade, est examiné par le médecin. On lui pince le bras gauche, on lui demande s’il sent le pincement, et à sa grande surprise, le patient constate qu’il ne sait plus sentir consciemment, qu’il ne peut plus, si j’ose ainsi dire, rattraper dans sa perception personnelle des sensations trop longtemps négligées : il est devenu anesthésique[15].
Une anesthésie sélective parfois et qui ne correspond pas à une lésion particulière d’un quelconque nerf [16]:
J’ai vu moi-même, autrefois, une malade qui m’avait semblé fort singulière : elle avait les deux mains absolument anesthésiques, mais elle reconnaissait toujours au contact deux ou trois objets seulement, appartenant à sa toilette habituelle, ses boucles d’oreilles et ses épingles à cheveux en écaille. Tout autre objet mis dans ses mains, une pièce d’or ou un crayon, n’étaient absolument pas sentis. Une autre malade, ayant également les mains absolument anesthésiques, savait toujours, par le simple contact et sans miroir, si sa coiffure était bien ou mal disposée, selon ses goûts »[17].
C’est précisément ce qui n’est absolument pas senti (au sens complexe d’intuition consciente, la sensation étant un phénomène dominé par les actes secondaires ou jugements/sentiments évincés justement dans ce cas précis) cette insensibilité relevant pour Janet de l’acte strictement inconscient[18] ; celui-ci est donc bien plutôt pour lui la pointe extrême pathologique de notre subconscient que celui-ci même.
Les actes inconscients se détachent, se dédoublent, voire s’opposent au présent, mais le couple conscience/subconscience émerge lorsqu’il s’agit de reproduire quelques gestes engrangés antérieurement (mettre des boucles d’oreilles, ses épingles à cheveux, sentir sa coiffure, on l’a lu dans un exemple cité par Janet plus haut) qui expriment des attitudes cristallisées en mécanismes, en automatismes, c’est-à-dire en solutions ou synthèses d’action antérieures, mais qui, devant une nouvelle situation (qui peut être autant un traumatisme -ce que Janet appelle une émotion-choc[19]– qu’une approche nouvelle) refusent l’action en résultant. Ce qui implique de rétrécir ce qu’il y a à voir, (alors que le cerveau a pu en imprimer des images, mais occultées par la conscience[20]), et de boucler en quelque sorte plutôt sur le connu ou automatisme le plus intime :
L’automatisme psychologique, au lieu d’être complet, de régir toute la pensée consciente, peut être partiel et régir un petit groupe de phénomènes séparés des autres, isolés de la conscience totale de l’individu qui continue à se développer pour son propre compte et d’une autre manière[21].
Ce fut publié en 1889…
En première conclusion lisons encore Janet :
« La plupart des auteurs contemporains hésitent également à enfermer les obsédés : il est incontestable que le plus souvent l’internement véritable peut et doit être évité. Cependant il est quelquefois nécessaire de les retirer de leur milieu, il faut leur créer un milieu artificiel plus simple que les milieux naturels et il faut souvent recourir pendant quelques temps sinon à un internement complet, au moins à un isolement relatif ».[22]
En conclusion finale il pourrait être avancé que dans les derniers cas ayant défrayé la chronique, une joggeuse assassinée par son mari, une jeune fille également violée et assassinée lors d'un mariage, et aussi lors d'actes pédophiles mettant en cause des hommes dotés d'une autorité (prêtre, instituteur) le responsable est le plus souvent un homme (la violence féminine concerne plutôt des gangs de filles) assez jeune encore, solitaire au fond, même en couple avec enfants, transportant à lire les descriptions une sorte de sous-estimation/ dévalorisation de soi un sentiment d'échec décuplé, tout en transfigurant à l'opposé la figure de l'épanouissement de la fraicheur de ce qui n'est pas encore flétri, la vie dans son flot limpide, éclatant, en la figure de cette jeune femme trentenaire gorgée à croquer de joie cristalline, en celles de ces jeunes filles, ravissantes, cheveux longs au vent emplis d'une naïveté sereine se déployant à l'écoute de l'aîné censé connaitre "d'expérience" la vie à venir alors qu'en réalité elle s'avère vide, emplie juste par des packs de bière baignant dans des heures et des heures de TV par procuration où l'on rêve la vie des autres au lieu de la sienne, sans synthèse, identité (interdite par certaines philosophies contemporaines) errance des "diff-errances" voguant au gré des canaux, site après site, sans autre preuve d'existence que la canette vide, le carton de pizza, et le kleenex trempé, la cérémonie de mariage bien loin, les amis partis, "seul dans des draps bleus froissés à cinq heures du mat je désespère, chacun fait ce qui lui plaît " : vraiment ?…
On peut toujours s'en sortir en disant que ces cas sont rarissimes et même en baisse, mais, pourtant, dans la fréquence actuelle, ne disent-ils pas quelque chose de notre époque, tout de même ?…
[2] Janet, La tension psychologique et ses oscillations, in Traité de Psychologie, Paris, (sous la direction de Georges Dumas), éditions Librairie Félix Alcan, 1923, Tome I, chapitre IV, I, De l’angoisse à l’extase, (1926), éditions Société Pierre Janet, T.II, p. 420.
[3]La psycho-analyse, (1913), in La psychanalyse de Freud, Paris, 2004, II, Le mécanisme pathologique du souvenir traumatique, p. 75-76.
[9] Alain Ehrenberg, La Fatigue d’être soi, Paris, Odile Jacob, 2000. Voir également Oulahbib " Et si Janet était plus actuel que Freud ?"
[12] Idem., p.149. Voir également Les obsessions et la psychasthénie, Paris, (1903), deuxième partie, troisième section, 2, l’hypothèse de la dérivation psychologique, nouvelle édition l’Harmattan, 2005, Tome II, p. 248-254.
[14] Idem., p.386 : « Le mot dissociation me paraît devoir être réservé à la rupture des associations déjà construites autrefois, à la rupture de l’association entre un mot et sa signification, entre les divers mouvements consécutifs d’un même acte, en un mot à la destruction d’une tendance primaire, constitutionnelle ou acquise. »
[16] Contrairement à ce que peut en penser Richard Webster dans son livre Le Freud inconnu, (Paris, 1998, éditions Exergue), qui réduit souvent ce genre d’anesthésies soit à des facteurs organiques, soit à des simulations dans sa hâte à démontrer la fausseté de la théorie freudienne…par exemple page 108.
[18]Janet, L’automatisme psychologique, (1889), op.cit., deuxième partie, chapitre I, Les actes subconscients, I, Les catalepsies partielles, pp. 264-265 : « on entend par acte inconscient une action ayant tous les caractères d’un fait psychologique sauf un, c’est qu’elle toujours ignorée par la personne même qui l’exécute au moment même où elle l’exécute. »
[21]De l’angoisse à l’extase, op.cit., T.II, p. 329.
2] « On a projeté à des étudiants à un rythme très rapide des bandes passantes de photos déformés par la peur. Les participants n’ont pas vu les images. Pourtant, les chercheurs qui observaient en même temps leur cerveau grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont vu la partie correspondant au centre de la peur s’allumer » in Le Point du 20 avril 2006, Paris, p.73.
[24]Pierre Janet, Les obsessions et la psychasthénie, (1903), Paris, L’harmattan, Tome II, volume I, 2005, p. 702.