25 mars 2023
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Leçons anglaises à l’usage de la France

Que pensez-vous du contrat première embauche (CPE) ? Est-ce une bonne innovation ?

Le CPE est un saucissonnage afin d’obtenir la flexibilité du travail. Ce contrat complique le problème au lieu de créer un système lisible, comme en Angleterre. Qu’on garde ou non le CPE, il faudrait une politique de gestion des ANPE, de l’Unedic et des Assedic focalisée sur le chômage des jeunes. Pourquoi ne pas s’inspirer de ce que les Britanniques ont fait depuis sept ans avec le New Deal ? C’est un succès remarquable, qui a un coût élevé pour l’Etat : 19 000 livres par jeune (27 000 euros), soit 335 millions de livres cette année (480 millions d’euros). Ce programme aide tous les moins de 24 ans, y compris ceux sortis de l’université. Il faudrait augmenter le nombre de conseillers, afin de transformer la logique d’accompagnement de l’ANPE en une logique d’incitation et de contrôle.

Et la méthode du gouvernement français ?

Si, dans une entreprise, on annonçait du jour au lendemain au personnel une innovation sans aucune explication, le corps social ne suivrait pas. Pas plus que le corps social du pays n’a suivi face à une annonce martiale venue d’en haut. Le CPE a fait surgir dans de mauvaises conditions le débat sur l’indispensable fluidité du marché du travail qui permet la création et le renouvellement des emplois. La France s’adapte, mais toujours dans la douleur et en état de déni de la réalité économique.

Est-il nécessaire d’attendre deux ans pour juger un jeune employé ?

D’abord, il faudrait ne pas diaboliser les patrons en pensant qu’ils attendront vingt-trois mois et demi avant de licencier quelqu’un pour recréer un emploi jeune. C’est une méconnaissance de la réalité économique et des mécanismes de fonctionnement de l’entreprise. Lorsque vous employez quelqu’un, vous le formez à votre entreprise. Avoir un employé bien formé et motivé, c’est toujours mieux que d’en recruter un nouveau, fût-ce avec un contrat plus flexible.

Cela dit, deux ans, c’est très long. Le patronat n’avait fait aucune demande particulière sur le CPE. Depuis le début, il demande une simplification et une uniformisation du code du travail. Notre inquiétude, c’est que le débat sur le CPE remette en cause cette demande et diabolise la flexibilité. Si on nous avait demandé notre avis, on aurait demandé une simplification de l’embauche et du licenciement pour que celui-ci ressemble enfin à un divorce sans faute. Aujourd’hui, le risque essentiel, c’est qu’on continue avec un marché du travail qui ne crée pas d’emplois.

Et la non-motivation du licenciement ?

C’est gênant. Il faut toujours motiver un licenciement, ne serait-ce que par une conversation, même s’il n’y a pas de recours juridique possible contre la décision. On n’a pas de rapports sociaux avec les gens sans leur expliquer les choses. Il est aberrant d’avoir un système qui permette de licencier quelqu’un du jour au lendemain sans aucun signal d’alerte antérieur.

Est-il pertinent de comparer la France et la Grande-Bretagne en matière d’emploi ?

Totalement. Les deux pays ont une population autour de 60 millions d’habitants et une structure économique similaire. Chose peu connue des Français, la part de l’industrie dans le PIB est comparable, et même un peu plus faible en France (25 % contre 26 %), ainsi que la part des services (72 % contre 73 %). Les deux pays connaissent la même désindustrialisation.

Le point de rupture, c’est le taux d’emploi : 72 % en Grande-Bretagne, contre 63 % en France. Le taux de chômage est double en France (9,8 %, contre 5 %), double aussi pour la longue durée (42 %, contre 21 %), et presque double pour les jeunes (22 %, contre 12 %). Il y a donc en Grande-Bretagne 4 millions d’emplois de plus qu’en France (28,8 millions, contre 24,7). C’est la statistique qui ne trompe pas. Imaginez 4 millions d’emplois de plus en France, le chômage serait résorbé !

Pensez-vous que les Français aient une vision exacte de la Grande-Bretagne ?

Leur vision date de l’époque de Mme Thatcher. La réalité a totalement changé avec Blair et Brown. Aujourd’hui, le pays a une part de dépenses publiques par rapport au revenu national équivalente à celle de l’Allemagne : 42 % en 2005, contre 23 % dans les années 1980. On continue, en France, à commenter une Grande-Bretagne qui n’existe plus, qui est le croquemitaine. Le modèle allemand, dont la France s’inspirait, est aujourd’hui incarné par la Grande-Bretagne.

Hélas, il est plus facile de dénoncer des symboles, mêmes faux, comme ceux datant de Mme Thatcher, que de regarder la réalité en face.

Quelle est la différence essentielle entre la France et la Grande-Bretagne ?

Elle se situe dans le contrat de travail, dans le public comme dans le privé. Les deux tiers des emplois créés en Grande-Bretagne depuis quatre ans l’ont été dans le public. Ce ne sont pas, comme en France, des emplois dotés d’un statut qui accompagne un fonctionnaire de son embauche à sa retraite. Ici, le contrat d’un fonctionnaire est semblable à celui d’un employé du privé. On peut donc redistribuer plus facilement les emplois publics d’une administration à l’autre. Une partie seulement de la fonction publique bénéficie de l’emploi à vie.
La Grande-Bretagne fait aussi des erreurs dans l’usage de la dépense publique. Elle est embarquée, par exemple, dans une modernisation du système de santé sans avoir fait de réforme de structures. Conclusion : le pays dépense des sommes considérables sans grand effet sur le sort des malades. Injecter beaucoup d’argent pour régler un problème de structures ne suffit pas.

Une autre grande différence tient au dialogue social.

En Grande-Bretagne, les partenaires sociaux ont renoncé au tripartisme à l’ancienne entre l’Etat, les patrons et les syndicats. Les discussions ont lieu entre les patrons et les syndicats avec l’aide d’universitaires choisis d’un commun accord et qui donnent un fondement économique aux décisions. C’est ce qui se passe avec la fixation périodique du salaire minimum. Les recommandations sont faites par les partenaires et, chose extraordinaire, appliquées chaque fois par le Trésor sans modification. Tout le dialogue social est bipartite, avec le souci partagé d’en exclure le gouvernement.

Propos recueillis par Jean-Pierre Langellier
Article paru dans l’édition du Monde du 06.04.06


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