22 mars 2025
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Le stade du miroir européen devant le mur des lamentations

Mais l’Europe, me dira-t-on, de qui est-elle l’enfant ? Le continent de l’autonomie humaine, où les adultes
ont dans les cheveux tout le papier déchiré des vieux livres, et l’œil révulsé parce qu’ils ne sont pas encore remis d’avoir vu tomber à terre tout le lointain, et d’avoir mis au jour par une extirpation informe, tout l’enterré vivant, comment ce continent-là n’aurait-il pas, à la façon de son dieu, pour mère le pur hapax de son instauration, et pour seule tétine précise le pouce noir de l’arpenteur.

L’Europe n’est-elle pas sortie de la gangue de la génération, n’est-elle pas désormais – en vertu d’un seuil de
l’intelligence, et d’une vigilance morale payée si cher qu’elle n’aime pas qu’on lui en rappelle le prix en millions – l’enfant-roi,
l’enfant prophétisé dans Also Sprach Zarathoustra, qui a toutes les vacheries derrière lui, et autres bestialités passagères.

J’entends le dernier épisode historique européen, qu’était-ce sinon cette partie de hochet un peu trop violemment engagée et par quoi le continent du soir a envoyé là-bas, aux fourneaux bien sûr, la « mère » juive, sans plus pouvoir, la cordelette – ou le fil, ou la filiation – ayant cédé, la ramener dans le salon, mais c’est ici le terme anglais qui serait de rigueur, c’est à dire le living-room, littéralement l’espace de la vie.

Après, et après, comme disait Carlo Michelstaedter avec dégoût, après il faut bien vivre. Puisque l’enfant est grand maintenant, sa brutalité infinie faisant foi, il va falloir reloger la mère. Les Britanniques, entre les années 1917 et 1947, ayant exercé un mandat opportun sur la Palestine, la terre archaïque des ancêtres, la patrie des mères, des grands-mères et des aïeux des grands-mères, la solution, la solution véritablement finalisée, démocratiquement avenante, tombait sous le sens.

L’enfant ne joue plus, il se nourrit tout seul, on rappelle la mère des fourneaux, au passage on l’a remercie, sans l’embrasser (cette pauvresse a des maladies) et on lui indique son nouvel espace de vie, qu’en raison de l’ancien propriétaire on appellera le living room. David Ben Gourion, le 14 mai 1948, avec on ne sait quel courage, et avec on ne sait quelle naïveté, déclare l’indépendance de l’Etat d’Israël.

Les Arabes font ce qu’ils ont toujours dit qu’ils allaient faire, ils montrent les dents.
L’Europe aussi, à sa façon, montre les dents, et en dessous de la table, fût-ce la table des négociations, se pisse dessus. Non pas par incontinence et rattrapée in extremis par l’enfance ordinaire, simplement parce qu’elle n’a jamais autant ri. Quelle farce, « witzig », spirituelle, Hitler étant mort, et l’Axe des fascismes défait, d’avoir confié les juifs rescapés aux mains du Mufti de Jérusalem,hitlérien zélé et vivant.

D
epuis, à ce que je sache, ce rire européen n’a pas cessé, un rire surprenant, riche en modulations, tantôt rire aux abois, un coup rire aux larmes – et que ces larmes, à l’occasion, par un montage habile, et au prisme de leur effet de loupe afférent, soient produites à décharge, au titre d’un véritable sanglot d’impuissante contrition, de solidarité appuyée devant le martyrologe palestinien, cela je crois ne demande pas qu’on en fasse le commentaire. Israël est devenue une terre de violence anxieuse, de bravoure impure. Les Palestiniens en font les frais, avec dignité parfois, parfois avec un sens aigu de l’imitation, ou mieux, de la surenchère.

L’Europe, aujourd’hui,tournant ses regards sur le monde à la façon d’une vieille abonnée du théâtre, n’a pas de mots assez durs
pour la nation juive, incorrigible, qui cette fois encore s’est attachée une promesse avec trop de sérieux. A la manière d’Alice,
l’Europe est passée de l’autre côté du stade du miroir.

Elle exhibe désormais des larmes sans rire, comme Lewis Carroll, pour l’amour des enfants, poétiquement laissait flotter un sourire sans chat. Elle avait donc vu juste, hélas, la vieille mère juive, dans le folklore de nos maisons, les mains levées au ciel, répétant que son enfant allait la tuer. Chose promise, chose due. L’Europe chrétienne, fille du judaïsme, au sortir de ses plaisanteries, sait encore se montrer ferme. D’un cœur entier, si les mots ne l’atteignent plus dans ses distractions innombrables, je lui crache au visage toute ma salive juive. J’espère que cette fille bien élevée, la bave au menton, le
temps au moins de s’essuyer, nous épargnera le récitatif de son éternelle morale provisoire.

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