Près de vingt après sa condamnation, l’ancien criminel nazi Klaus Barbie hante toujours les esprits, comme l’a prouvé l’occupation des 300 sièges de la grande salle de l’auditorium où s’est tenue la conférence du mardi 17 octobre. Plusieurs personnalités dont Serge Klarsfeld, le fameux chasseur de nazis qui a retrouvé la trace de Barbie en 1971, y étaient présentes.
« Le procès Barbie exprime avant tout un évènement de rupture », explique Klarsfeld. D’abord en France, où c’est la première fois qu’un homme y est jugé pour crimes contre l’humanité. Mais c’est surtout le couronnement d’une série d’efforts acharnés, d’un épisode complexe due en grande partie à l’évolution de la société allemande. Pour saisir l’enjeu qu’a constitué le procès Barbie, il est impératif de comprendre les différentes contraintes auxquelles celui-ci a été soumis. Il a été avant tout l’occasion de faire œuvre de mémoire, d’ouvrir l’une des pages les plus sombre de l’histoire européenne.
Il a fallu surtout de la volonté politique pour procéder à l’extradition par l’Allemagne fédérale de nombre de ses nationaux accusés de crimes contre l’humanité. Certains parmi eux sont des anciens nazis reconvertis et réinsérés dans le monde des affaires comme Kurt Lischka, ancien collaborateur d’Eichmann et responsable des rafles à Bordeaux puis à Paris, et Hubert Hagen, un des organisateurs de la déportations des Juifs de France, tous les deux devenus hommes d’affaires et ayant bénéficié d’une parfaite impunité pendant de longues années.
Suite aux manifestations d’appel à la prise de conscience organisées par le couple Klarsfeld, Georges Pompidou a déclaré que « le temps efface certaines choses mais pas tout » et a demandé à l’Allemagne l’extradition de Barbie vers la France. C’est alors que s’est posé un problème juridique. A son indépendance totale en 1954, l’Allemagne de l’Ouest avait voté une Loi fondamentale, approuvée auparavant par la France en tant que puissance occupante, interdisant l’extradition de nationaux non-jugés par la justice allemande. Dans le même temps, le droit français ne reconnaissait pas les jugements rendus à l’étranger pour des personnes ayant déjà été jugées en France, même par contumace. Comme tous les anciens responsables nazis réclamés par la France étaient jugés par contumace, l’Allemagne fédérale ne pouvait ni les juger, ni les extrader. Ce problème s’est notamment posé lors de l’évocation du cas Barbie. Il a fallu que l’ancien chancelier Willy Brandt intervienne personnellement et décrète l’extradition de Barbie vers la France pour que la procédure de son arrestation soit engagée.
Pressentant son arrestation, Barbie s’était réfugié à Lima. La France qui effectuait alors des essais nucléaires dans le Pacifique a alors préféré de faire profil bas, le Pérou ayant une façade sur l’océan. Quelques années plus tard, Barbie s’est installé en Bolivie où il a mis ses compétences au service de la nouvelle dictature de ce pays. C’est à ce moment là qu’il a acquis la nationalité bolivienne et s’est fait appelé Klaus Altman. Plusieurs années se sont écoulées sans que l’on retrouve sa trace. C’est surtout grâce à Beate, épouse de Serge Klarsfeld, que Barbie a été identifié et démasqué en 1971. Finalement, au moment de la chute du régime autoritaire bolivien en 1983, la nationalité sera retiré à Barbie, et il sera extradé vers la France, avec l’accord de Bonn, où il a été jugé et condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité.
En mai 1987, plusieurs survivants de la Shoah venaient témoigner et assister à sa condamnation. C’est la première fois que des victimes auront été invités à témoigner lors du procès de leur bourreau. Plus de 900 journalistes se pressaient devant les portes des assises du Rhône pour capter une image, une parole, une décision du procès de celui que l’on surnommait « le boucher de Lyon ».
Nommé à la tête de la Gestapo à Lyon en 1942, Barbie a fait arrêter quarante quatre enfants juifs et les a fait déporter. Il est aussi responsable de la torture, la déportation et le meurtre de centaines de juifs et de résistants. Il sera défendu lors de son procès par l’avocat français Jacques Vergès, un homme au passé controversé connu pour avoir associé son nom à de nombreux procès sulfureux. Défenseur des causes extrêmes, ce fameux « mercenaire du droit » âgé de 79 ans cherchait désespéramment à défendre Saddam Hussein en mars 2004.
Serge Klarsfeld s’acharne à démontrer l’insignifiance et l’opportunisme démasqué de l’individu qui « connaissait mal le dossier (Barbie) pour créer des situation embarrassantes », beaucoup d’hommes politiques français étant impliqués dans les nombreuses rafles de juifs français. Selon, Klarsfeld, c’est Vergès qui aurait payé Barbie pour pouvoir le défendre afin de devenir la vedette du procès. « Je n’en ai pas la preuve concrète, mais la ferme conviction », a-t-il insisté. En tout cas, si telle était son ambition, celle-ci aurait merveilleusement échoué.
L’usage de la photographie étant alors interdite lors des procès en France, les journalistes faisaient appel à des dessinateurs pour illustrer leurs enquêtes. C’est à ce moment là qu’apparaît le dessinateur français René Diaz pour mettre ses talents d’artiste au service de la vérité. « Les mots ne sont jamais assez forts pour décrire la profondeur et l’émotion de ce procès », explique-t-il.
Artiste habitué des cours de justice puisqu’il a été reporter-dessinateur pendant plus de trente ans au journal « le progrès de Lyon », il affirme : « après avoir assisté à plus de 3500 procès d’assises, celui-ci reste le plus douloureux. » Catholique d’origine espagnole, Diaz a toujours été sensible à l’histoire du Peuple juif. « Mon plus grand rêve a toujours été de venir en Israël », affirme-t-il avec beaucoup d’émotion.
Les quelques 73 dessins réalisés au cours du procès Barbie font figure de document historique. Ils sont d’abord exposés au musée de la déportation et de la résistance de Lyon, puis à celui de Nuremberg, ils ont été édités au Japon, aux Etats-Unis et en Allemagne. Diaz estime que leur place n’est pas là-bas et décide d’en faire don à Israël. Yad Vashem expose ces dessins depuis le 17 octobre dans l’auditorium principal du mémorial.
Pour Tobie Nathan, conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de l’Ambassade de France en Israël, « ce procès a changé les mentalités, les bases de l’enseignement dans les écoles (en France). C’est un événement quasi-mythologique qui a construit l’histoire grâce au travail acharné des Klarsfeld ». Un travail inachevé, selon Serge Klarsfeld, qui aura été approfondi par la suite par d’autres actions jusqu’à la fameuse déclaration de Jacques Chirac qui est venue transformer la pensée française. En 1995, le président Chirac incombait à la France (et non à l’ « Etat français ») la responsabilité du drame qui a concerné les quelques 76 000 juifs de France durant la période de l’occupation.