Un collectif de signataires sur le site du journal Le Soir (Belgique) (*) :
L’exposition « La Ville blanche, le mouvement moderne à Tel-Aviv », qui devait avoir lieu dans les locaux occupés par le CIVA (Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage) à l’Espace d’architecture – La Cambre à partir du 20 février, a été brutalement déprogrammée à moins d’un mois de son inauguration, sur décision du conseil d’administration du Civa (Le Soir du 4 février).
Au moment où nous écrivons ces lignes, on peut pourtant encore, en cherchant bien, lire le texte suivant sur le site internet du CIVA : « Tel-Aviv est née d’un projet d’aménagement urbain et de création architecturale où se mêlent les influences du Mouvement moderne et les caractéristiques géographiques, culturelles et climatiques locales. En juillet 2003, l’Unesco a proclamé que la Ville Blanche de Tel-Aviv représentait le Mouvement moderne et que le tissu urbain et historique unique de Tel-Aviv constituait un site du patrimoine de l’humanité. Par cette inscription, le monde entier a reconnu les qualités architecturales particulières des bâtiments, des rues, des squares et des avenues de Tel-Aviv. »
Ce texte témoigne à lui seul de l’importance historique, architecturale, culturelle et humaine de l’exposition. Une exposition qui n’est pas sans rapport, d’ailleurs, avec notre pays puisque l’une des figures emblématiques du mouvement moderniste à Tel-Aviv, Genia Averbuch, était elle-même diplômée de l’École des beaux-arts de Bruxelles dans les années 1920, avant de s’établir à Tel-Aviv qui commençait à émerger du sable.
C’est la direction de l’école d’architecture de La Cambre qui a mis le feu aux poudres en décidant unilatéralement, sans en référer au conseil d’administration ni au conseil pédagogique, de se retirer de l’organisation de cet événement et a suggéré au CIVA d’annuler l’exposition. Cette annulation, car il s’agit bien d’une annulation – et d’un boycott qui refuse de dire son nom (la convocation du conseil d’administration extraordinaire du CIVA du 21 janvier portait comme seul objet à l’ordre du jour « annulation de l’exposition Tel-Aviv » sans autre précision, de sorte qu’on pouvait penser qu’il s’agissait de raisons techniques) –, intervient au mépris de la parole donnée à tous les passionnés d’architecture, que le revirement opéré par le CIVA prive d’une exposition de qualité. Au mépris aussi, particulièrement choquant de la part d’architectes, pour la culture et l’architecture elles-mêmes.
Comment des responsables institutionnels peuvent-ils céder à la confusion entre une œuvre, celle des bâtisseurs de la « Ville Blanche » au siècle passé, et une politique, celle de l’actuel gouvernement de l’État d’Israël ? Quelles que soient les positions que nous puissions avoir dans un conflit qui nous déchire tous depuis 40 ans et quelle que soit la compassion que nous ayons envers les populations palestiniennes et israéliennes qui sont les premières à en souffrir, l’annulation de l’exposition constitue un précédent inacceptable.
Une telle attitude est en fait symptomatique d’une manière parfaitement déraisonnable de disqualifier, y compris dans le domaine de la culture, tout ce qui a trait, spécifiquement, à Israël.
À lire le communiqué de la présidente du conseil d’administration du CIVA en date du 26 janvier, l’annulation de l’exposition ne serait pas due « à sa perte d’intérêt », pas plus qu’à une concession qu’elle aurait faite « au politiquement correct » ni par la crainte qu’une telle exposition ne soit considérée comme une « provocation » ?
Mais pour quelle raison alors ? Qu’entend-on exactement quand on affirme que « les conditions d’appréciation d’une telle exposition ne seraient plus réunies » ? À quelles conditions fait-on allusion exactement ?
Une réaction aussi incohérente et brutale est inédite. Les motifs en seraient-ils politiques ? Nous ne nous souvenons pas, et nous nous en réjouissons, que des expositions consacrées à des artistes russes n’aient jamais été annulées pour protester contre la violence en Tchétchénie (100.000 victimes civiles). Nous ne nous remémorons aucune attitude similaire vis-à-vis d’artistes dont le pays aurait été impliqué dans l’un ou l’autre des conflits multiples et meurtriers qui déchirent la planète (Congo, Soudan, Sri Lanka, Myanmar, Haïti…), ou de Cuba malgré la répression des dissidents, sans parler de la Chine. Y aurait-il un traitement d’exception pour Israël et les artistes israéliens ?
L’alternative proposée par le CIVA pour combler le vide de l’exposition censurée, à savoir la tenue d’un colloque « sur les relations entre architecture et politique », sujet galvaudé s’il en est, donne à réfléchir quant aux intentions politiques de ses auteurs.
Les auteurs de ce que nous qualifions d’une véritable voie de fait contre la culture et l’art estiment probablement qu’ils œuvrent pour la paix et pour la démocratie.
Nous estimons, non seulement qu’ils se trompent de cible et de combat, mais que de surcroît, leur attitude ne fait qu’attiser la haine, le refus de l’autre et le rejet alors qu’il faudrait en ce moment plus que jamais œuvrer en faveur de l’intelligence et de la rencontre.
Nous leur suggérons de revoir leur position et de réhabiliter à nos yeux les institutions qu’ils représentent en reprogrammant dans les plus brefs délais cette exposition.
(*) Ont cosigné les architectes : Jessica Axmacher, Smadar Baron, Bernard Baines, Philippe Bergman, Geneviève Blondiau, Dominique Body, Elise Bollu, Bruno Caballé, Mathieu Candeias Zurstrassen, Maurice Culot, fondateur de l’Arau et des Archives de l’architecture moderne, Olivier De Mot, Valérie Georges, Boris Goldenberg, Hilary Gostynski, Michel Hernalsteen, Giorgio Hirsch, Xiavier Houben, Marco Kadz, Yohana Kadz, Pierre Lallemand, Vincent Lawson, Elie Lévy, Yoram Lipski, Julian Luctkens, Guy Melviez, Allegra Mizrahi, Stéphane Moetwil, Maximilien Penafiel, Jean-Claude Perrin, Olivier Poncin, Pierre Puttemans, Nathalie Rozencwaijg, Alexandre Samuel, Antony Schor, David Tajchman, Savina Vandeput, Olivier Vedrine, Minno Venturini, Geneviève Vernimmen, Philémon Wachtelaer, Jacques Zajtman ; ainsi que Paul Anrieux, comédien, professeur honoraire Insas ; Roland Baumann, historien de l’art ; Alain Berliner, cinéaste ; Elisabeth Burdot, journaliste ; Gita Brys-Schatan, docteur en histoire de l’art – fondatrice de l’Iselp ; Florence Bonnet, marchand d’art ; Yves Caelen, sociologue ; Christian Carez, photographe ; Jean-Christophe Caspar, artiste ; Nalan Celinkaya Yavuz, graphiste ; Jacques Charlier, artiste ; Luc Dardenne, cinéaste ; Daniel Debroux, Gallimard Belgique ; Yael Dehasse, architecte d’intérieur ; Uria Fiano,
consultant ; Jean-François Füeg, historien ; Sharon Geszynski, chercheur ULB ; Michel Gheude, écrivain ; Brigid Grauman, journaliste ; Olivier Guillemin, président du Comité Français de la Couleur ; Jacqueline Harpman, écrivain ; Benjamin Herzstein, designer ; Marc Hotermans, ébéniste ; François Humblé, secrétaire général de la Communauté Française ; Richard Keningsman, artiste ; Nordin Labivi, professeur à l’Aca, plasticien ; Marcel Mis, administrateur ; André Nayer, professeur ULB ; Robert Neys, journaliste RTBF ; Alexandre Noskof, artiste ; Symka Pacanowsky, audiovisuel RTBF ; Serge Pahaut, anthropologue ULB ; A. Pinterovic, philologue, psychanalyste ; Luc Pire, éditeur ; André Victor Louis Piroux, graphiste conseil ; Marianne Puttemans, historienne ; Serge Rangoni, Théâtre de la Place – Liège ; Jacques Safran, chargé de cours ISA st-luc Bruxelles ; Alioune Sougoule, artiste ; Ariane Van Den Bergh, historienne de l’art ; Chris Vander Stappen, scénariste ; ; Zaira Tomasinelli, Artiscope gallery ; Céline Vanderborght, photographe ; Séverine Zajtman, historienne et architecte.
2 réflexions sur « Quand le CIVA et La Cambre – Architecture censurent le patrimoine mondial de l’humanité »