15 janvier 2025

SUIS-JE REELLEMENT FRANCAIS ?

Mes grands parents paternels étaient nés en Italie, ma femme pied noir a été abandonnée par le gouvernement de la République Française et n’a pas voulu épouser la nationalité algérienne, je donne des conférences en anglais sur le sol français – en infraction de la loi Toubon –, mon équipe de foot préférée n’est ni Lyon ni l’OM mais Chelsea, etc. J’en viens à me demander si je suis réellement Français, et si le cas échéant je devrais en être fier, marri, résigné ou indifférent.

Je suis Français puisque j’ai une carte d’identité nationale. Je suis inscrit sur les listes électorales, je paie des impôts et des cotisations sociales et j’ai quelques points sur mon permis de conduire. Mais jouir des droits politiques et civiques dans un pays, c'est-à-dire avoir la citoyenneté française, est-ce suffisant pour s’identifier à un Français ? J’entends par là que l’identité nationale n’est pas, ou pas seulement, le résultat d’une opération politique ou administrative.

Faut-il alors s’en remettre à Renan, et à son célèbre discours de 1882 ?   « Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation ».

Conscience morale : mais où est-elle ? Renan la cherchait dans le passé, dans le vécu ensemble.

Si l’on interrogeait l’histoire récente, et a fortiori celle que l’on enseigne dans les écoles et à travers les films à la mode, elle ne serait faite que de lutte, d’oppression, d’incompréhension : ce passé divise. La « mission civilisatrice » de la France a été manquée, au moins dans les esprits et les cœurs. Faute d’un vécu ensemble, sommes nous condamnés à vivre contre ?

Une autre façon de trouver et maintenir l’unité nationale, qui permettrait à tous de se sentir Français, serait de regarder vers le futur. Y a-t-il un rêve français ?

Il est inutile, je crois, de le rechercher dans ce que l’on appelle pompeusement les « valeurs de la République ». Liberté, égalité, fraternité, ont été vidées de leur sens si jamais elles en ont eu un. La liberté est lointaine dans un pays jacobin, l’égalité verse à l’égalitarisme, et la fraternité, disait Bastiat, c’est « les avantages pour moi, les charges pour les autres ». On a beau adjoindre à la devise de la République Française quelques abstractions comme la laïcité ou la sécurité, on a beau inventer le principe de précaution et le patriotisme planétaire, le compte n’y est pas. Personne ne veut entonner le « chant du départ » pour défendre la République qui nous appelle.

Je voudrais évoquer par contraste le fameux « rêve américain » qu’Obama rêverait de dissiper dans le racisme et le socialisme. Le rêve américain c’est celui de la réussite personnelle, de la promotion par le travail, l’entreprise, la famille et la foi. C’est celui du respect des autres. Les Américains ont compris qu’ils pouvaient se grandir ensemble, et non les uns aux dépens des autres. Aux privilèges, ils préfèrent la performance. Ils admettent la diversité, et ils apprennent à se débrouiller entre eux, sans se tourner vers le pouvoir. Tocqueville admirait le dynamisme de la société civile caractéristique de la démocratie en Amérique. Le célèbre économiste Thomas Sowell dans son ouvrage « Ethnics in America » a montré comment la plupart des minorités ethniques ont pu s’élever aux Etats-Unis jusqu’à atteindre le haut du pavé en un demi-siècle. La seule minorité en panne a été pendant longtemps celle des Noirs de Harlem (à laquelle appartenait Sowell) : aidée par la ville de New York, gavée de droits sociaux, elle n’a pas compris l’intérêt de travailler ni d’envoyer les enfants à l’école.

Je me demande si le rêve n’a pas été brisé en France par le syndrome de Harlem. Toutes les difficultés connues aujourd’hui en matière d’immigration et d’intégration proviennent principalement de l’Etat Providence. S’il existe une immigration « naturelle », faite de personnes venues en France pour y travailler, pour vivre en paix en rendant service aux autres, il existe aussi et de plus en plus une immigration artificielle, je dirai : doublement artificielle. D’un côté ces immigrés viennent chercher principalement les droits sociaux que la France a généreusement distribués sans se soucier de leur impact financier et psychologique : école d’irresponsabilité, d’assistanat. D’un autre côté ils sont chassés de leurs pays par la misère et l’oppression, elles-mêmes créées par des Etats aux mains de dictateurs (très souvent avalisés par les gouvernants français), et ils n’ont aucune perspective de retour. Les dégâts auraient pu être limités si l’intégration avait été l’objet de soins particuliers. Mais voilà bien longtemps que dans l’école française on n’enseigne plus les vertus du travail, de la politesse, et que l’on a banni toute idée de

mérite, de concurrence et de sélection. Voilà longtemps que notre culture est une vulgate de la lutte des classes et diffuse la haine du capitalisme. Voilà longtemps que la déchristianisation est à l’oeuvre et crée un vide spirituel et social qui n’a jamais été comblé ni par les chimériques « valeurs de la République », ni par le néo-paganisme écologique, mais qui crée un appel d’air pour les fanatismes et la haine. Quant à l’intégration par le marché, subjectivement honni, elle est objectivement réduite par l’espace occupé par les services publics, par l’importance des revenus de transfert.

Aujourd’hui immigrés et Français eux-mêmes sont souvent à la même heure : celle de l’Etat Providence, celle de l’Etat nation. Dans ces conditions l’immigré devient un concurrent dangereux : il compromet les privilèges en demandant sa part de gâteau social, et celui qui veut vraiment travailler est accusé de « manger le pain des Français ». Comment s’intégrer dans un pays lui-même désintégré, et dont le nationalisme n’est que le bouclier qui protège les droits acquis ? Le plus clair de l’affaire, c’est que les jeunes qui ont encore un rêve en tête cherchent de plus en plus à le réaliser hors de France.  

Alors, que cherchent nos dirigeants en lançant ce débat ? Pourquoi cet élan soudain vers la Marseillaise naguère sifflée et les couleurs tricolores jadis amenées ? Est-ce le moyen de régler par le discours le problème de l’immigration ou de l’intégration qu’on ne sait pas aborder ou maîtriser par les règles de droit ? Des réunions de préaux peuvent-elles apaiser les esprits et restaurer l’harmonie ? 

Mais je me surprends à m’engager à mon tour dans ce débat. Je devrais le fuir. Car avant d’être Français, ou Polonais, ou Gabonais l’important à mon sens est d’être un être humain, une personne digne et responsable. Et on n’aurait nul besoin d’entonner l’hymne à l’identité nationale si on respectait les principes les plus élémentaires de la liberté et du droit. La France n’est pas malade de sa nation, elle est malade de son Etat.

  http://www.libres.org/francais/editorial/110109_identite_nationale.htm

Jacques Garello 

Le 1er novembre 2009


 
 


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