David Petraeus
Les Américains ont l’art des formules. Celle-ci, par exemple : « Jeter quelqu’un sous l’autobus » ( to throw somebody under a bus). Ce qui signifie, on l’aura compris, traiter quelqu’un avec une brutalité extrême, sans le moindre souci des conséquences. Depuis un an, cette métaphore revient sans cesse à propos des relations entre l’administration Obama et Israël. Ce sont des « sources » proches de la Maison Blanche qui, les premières, y ont recouru : non sans ajouter, avec des grâces de Raminagrobis, qu’il n’était bien sûr pas question, pour les Etats-Unis, d’aller jusque là. Les pro-israéliens ont immédiatement rétorqué qu’on ne parlait pas ainsi entre pays amis, même pour rire. Aujourd’hui, le doute n’est plus permis. L’administration Obama a joué avec cette formule parce qu’elle correspondait bien à ses idées. Et sans doute à sa stratégie à long terme.
On vient de jeter Israël sous un premier « autobus » : l’affaire des permis de construire dans le quartier de Ramath-Shlomo, à Jérusalem, que l’administration Obama a présenté comme une « insulte » à son égard (http://www.michelgurfinkiel.com/articles/283-Isral-USA-Laffaire-Biden.html). Rappelons ce fait essentiel : contrairement à ce qu’ont affirmé les Américains, aucune « décision » de ce type n’a été prise par le gouvernement israélien ; c’est un simple feu vert technique à un niveau subalterne, sujet à plusieurs décisions politiques en aval, et donc susceptible d’être transformé en feu rouge par le gouvernement, qui est en cause. Il fallait beaucoup de mauvaise foi et une évidente volonté de nuire pour élever ce non-incident à la hauteur d’une affaire majeure. La suite des événements l’a montré : le thème de l’ « insulte » ressassé pendant plusieurs jours, en dépit des excuses présentées sur le champ par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans un esprit d’apaisement ; et l’accueil glacial réservé au même Netanyahu à la Maison Blanche le 23 mars : pas de poignée de main sur le perron, pas de photo de famille, pas de conférence de presse.
Mais déjà, un second autobus est en train de débouler : l’affaire Petraeus. Un journaliste d’extrême-gauche, Mark Perry, ancien compagnon de route de Yasser Arafat et aujourd’hui sympathisant du Hamas et du Hezbollah, écrit sur le blog du magazine de géopolitique Foreign Policy , le 13 mars, une analyse selon laquelle le général David Petraeus, commandant en chef des forces américaines au Proche et au Moyen-Orient (le Centcom), regarderait Israel comme le « principal obstacle » à la stratégie américaine dans la région, et irait même jusqu’à considérer que la politique israélienne « mettait en danger la vie de soldats américains ». En gros, la thèse classique selon laquelle le soutien américain est la principale raison, ou l’unique raison, de l’hostilité des pays musulmans envers les Etats-Unis.
Petraeus jouit actuellement d’un prestige inégalé aux Etats-Unis. Parce qu’il a redressé la situation militaire et politique en Irak en 2007-2008. Et parce qu’il est en train de faire de même en Afghanistan. Certains disent qu’il ferait un candidat républicain redoutable en 2012. Si cet homme se déclare contre Israël, le camp pro-israélien actuel, qui regroupe les trois quarts de la classe politique républicaine et quelque 60 % de la cladsse politique démocrate, risque de se désintégrer. Certains éditorialistes vont jusqu’à évoquer le « duel » qui va s’engager, à propos d’Israël, au sein du parti républicain : Petraeus le réaliste contre Sarah Palin, l’ex-gouverneure chrétienne et populiste d’Alaska.
Mais il apparaît bientôt que l’affaire Petraeus est un faux, comme l’affaire Ramath-Shlomo.
Voici un an, en avril 2009, Petraeus comparait devant la Commission des Forces Armées du Sénat américain. On l’interroge sur le programme nucléaire iranien. Il déclare qu’à son avis, Israël peut se sentir menacé au point de lancer une attaque préventive. Il ajoute que « l’obstination et la duplicité des dirigeants iraniens ont contraint les pays voisins à leur prêter les pires intentions ». En d’autres termes, il justifie l’attaque préventive éventuelle israélienne. Ce qui n’est pas exactement la réaction d’une personne hostile ou indifférente envers l’Etat hébreu.
Les propos cités par Mark Perry ? En fait, il s’agit de citations puisées dans un rapport global sur la situation stratégique à laquelle Petraeus est confronté, rédigé par le ministère américain de la Défense. Et non des propres paroles du général. Qui plus est, les citations elles-mêmes sont sollicitées de façon tendancieuse. Ce que Petraeus dénonce par deux fois. D’abord quand le sénateur républicain John MacCain – candidat républicain en 2008 contre Obama – l’interroge, dans une nouvelle comparution devant la Commission des Forces Armées, le 16 mars : « Non, je n’ai pas fait de recommandation dans ce sens, contrairement à ce qui a circulé dans la presse… En fait, je suis très heureux que vous me donniez la possibilité de mettre les choses au point à cet égard ».
Puis dans une conférence de presse qu’il donne le 24 mars au New Hampshire Institute of Politics. Il y affirme : « Il est regrettable que des blogueurs aient sélectionné et manipulé certains de mes propos… » Au-delà de telle ou telle autre action d’Israël, il y a, selon lui, d’autres facteurs qui menacent la paix, « à commencer par l’existence de tout un ramassis d’organisations terroristes qui, soit dit en passant, nient le droit d’Israël à l’existence. Il y a un pays qui a un programme nucléaire en cours et qui nie l’Holocauste. Il faut prendre l’ensemble de ces facteurs en considération ». Là encore, Petraeus ne s’exprime pas en personne hostile à Israël. Bien au contraire.
La petite phrase selon laquelle Israël « mettrait en danger la vie de soldats américains » ? Le général laisse entendre que Mark Perry, en l’écrivant, est passé de la réinterprétation abusive au mensonge pur et simple : « Il n’est fait nulle part mention de la vie (de nos soldats)… J’ai relu attentivement le document. Cela n’est dit nulle part. »
Tenu par son devoir de réserve, le général ne va pas plus loin dans sa mise au point. Le fait est cependant que son supérieur politique, le secrétaire à la Défense Robert Gates, responsable en dernier ressort du document du Centcom, tient des propos étrangement similaires à ceux de Perry, même si le ton est apparemment plus neutre. Le 25 mars, ce dernier disait notamment : « On ne peut nier que l’absence d’une paix au Moyen-Orient affecte les intérêts nationaux de sécurité des Etats-Unis dans la région ».
D’où le soupçon grandissant d’un troisième « autobus » lancé contre Israël. Cette fois, il s’agirait d’inclure le nucléaire israélien – approuvé et contrôlé par les Etats-Unis depuis plus de quarante ans – dans les négociations globales sur l’avenir du Proche-Orient. En d’autres termes, de proposer aux Iraniens d’ « échanger » leur renonciation à l’arme nucléaire contre le démantèlement du potentiel nucléaire de l’Etat juif. John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’Onu, ne cesse de répéter : « Si j’étais le gouvernement israélien, je serais très préoccupé par l’attitude américaine sur ce sujet ».
Gates a fait allusion à un tel « linkage » dès sa première nomination à la tête du Pentagone, en 2006, à la fin de l’administration George W. Bush. Joseph Cirincione, un des conseillers de Barack Obama en matière nucléaire, a explicitement recommandé cette option à plusieurs reprises. Rose Gottemoeller, secrétaire d’Etat assistante, affirmait le 5 mai 2009, aux Nations Unies, que l’administration Obama était favorable à une adhésion universelle au Traité de non-prolifération nucléaire, « y compris par l’Inde, Israël, le Pakistan et la Corée du Nord ». Ce qui revient, à nouveau, à mettre Israël et l’Iran sur le même plan et à envisager, dans le contexte des menaces – génocidaires – formulées par l’Iran contre l’Etat juif, d’ôter à ce dernier l’un des volets les plus importants de sa dissuasion stratégique.
© Michel Gurfinkiel, 2010 :http://www.michelgurfinkiel.com/articles/284-USA-Obama-jette-Isral-sous-un-autobus.html