19 mars 2025

La nouvelle propagande antijuive(bis)

Extraits : " En France tout particulièrement, le terrorisme intellectuel, héritage du stalinisme, s’est reconstitué autour de la vulgate pro-palestinienne et anti-israélienne, qui a pris la dimension d’une vision du monde : l’ennemi satanique est devenu le «sionisme mondial», désigné comme la cause de tous les malheurs du genre humain.
 
Commencée dans les années 1980, la vague de terrorisme intellectuel « antisioniste » semble avoir gagné la bataille idéologique, en France comme dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest : le pro-palestinisme fanatique et sectaire s’est constitué en un camp médiatiquement hégémonique, d’autant plus intolérant qu’il se confond avec le conformisme culturel. L’ordre moral est désormais « antisioniste ».
 
Et qui se sent du « bon côté » ou se croit dans le camp du Bien se croit tout permis. D’où la virulence croissante des dénonciateurs d’Israël et du « sionisme ». On en trouvait une expression frappante dans un article palestinophile de style hagiographique du philosophe Gilles Deleuze, « Grandeur de Yasser Arafat » (rédigé en septembre 1983), publié en 1984 et en 2002 dans la Revue d’études palestiniennes. Dans sa célébration d’Arafat, Deleuze faisait appel à nombre de stéréotypes « antisionistes », en particulier à l’accusation de « génocide », qu’il s’efforçait maladroitement de justifier :
 
« On dit que ce n’est pas un génocide. Et pourtant c’est une histoire qui comporte beaucoup d’Oradour, depuis le début. […] C’est un génocide, mais où l’extermination physique reste subordonnée à l’évacuation géographique. […] L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des mercenaires, est parfaitement présente. »
 
L’accusation de génocide, Deleuze l’avait déjà lancée l’année précédente dans un article qui, paru en mai 1982 dans Libération, était significativement titré « Les Indiens de Palestine ». Pour justifier la métaphore « indienne », Deleuze, s’inspirant d’un livre à paraître de son ami l’intellectuel palestinien militant Elias Sanbar, Palestine 1948, l’expulsion, esquissait une comparaison historique avec le génocide des Peaux-Rouges en Amérique du Nord : « Les Palestiniens ne sont pas dans la situation de gens colonisés, mais évacués, chassés. […] L’histoire du sionisme et d’Israël comme celle de l’Amérique est passée par là : comment faire le vide, comment vider un peuple ? »
 
Le philosophe français ne devait pas savoir qu’il ne faisait que remettre au goût du jour un fantasme déjà présent chez les Arabes palestiniens dans les années 1920, et devenu, à force d’être sollicité, un cliché de la propagande palestinienne. Dans son reportage sur les massacres de Juifs commis durant l’été 1929 par des bandes armées de Palestiniens à Jérusalem, Safed et Hébron, Albert Londres raconte l’entretien qu’il eut avec dix responsables arabes à Jaffa, à qui il demanda de préciser ce qu’ils reprochaient aux Juifs. La première réponse est la suivante :
 
« D’être un ramassis de tout ce que l’Europe ne veut pas ! De vouloir nous chasser !… De nous traiter en indigènes !… Voyons ! le monde ignore-t-il qu’il y a sept cent mille Arabes ici ?… Si vous voulez faire ce que vous avez fait en Amérique, ne vous gênez pas, tuez-nous comme vous avez tué les Indiens et installez-vous !… Nous accusons l’Angleterre ! Nous accusons la France!… »
 
Tel était le discours d’accusation tenu par des responsables arabes palestiniens tandis que, dans les rues de plusieurs villes, des Juifs étaient égorgés, mutilés, torturés à mort. L’idéologie victimaire était déjà en fonctionnement en 1929 chez les Arabes palestiniens, alors que les victimes réelles – leurs victimes – étaient juives.
 
Cette projection sur l’autre de pulsions criminelles a fait tradition dans la culture du nationalisme palestinien, au point de devenir le cœur de sa mythologie de propagande. Avant et après la création de l’État d’Israël.
 
Les déclarations « antisionistes » du cinéaste franco-suisse Jean-Luc Godard sont de la même teneur. Parmi ses saillies les plus récentes, la plus caricaturale est certainement représentée par les propos sur les Juifs qu’il a tenus en 2006, alors qu’il était filmé par Alain Fleischer (le film sera intitulé Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard). Lors du tournage, Godard aurait tenu d’autres propos virulents contre les Juifs, notamment sur les deux films de Claude Lanzmann, Shoah et Tsahal. Ces propos ont été en partie écartés au montage. Dans son roman intitulé Courts-circuits, Alain Fleischer raconte qu’en commentant les attentats suicides commis par des Palestiniens en Israël, Godard a déclaré devant son ami et interlocuteur Jean Narboni, ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma : « Les attentats-suicide des Palestiniens, pour parvenir à faire exister un État palestinien, ressemblent, en fin de compte, à ce que firent les Juifs, en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’État d’Israël. »
 
Propos à la fois odieux et confus (les victimes juives de la Shoah n’ayant rien à voir avec les tueurs/suicidaires fanatiques que sont les « bombes humaines » islamistes), lancés par le cinéaste « antisioniste » comme une provocation consciente en même temps qu’une manière d’exprimer son opinion, qui revient à un acte de légitimation du terrorisme palestinien. Alain Fleischer commente sans complaisance les propos de Godard : « Dans ce genre d’insanité, de propos malsains, c’est Godard lui-même qui commet un attentat-suicide : attentat à la vérité, suicide de la pensée. » Le journaliste du Monde Jean-Luc Douin ajoute que Godard est « coutumier de ce type de provocations », au moins depuis le début des années 1970, durant lesquelles il a rendu public son ralliement à la cause palestinienne et sa détestation corrélative d’Israël. En 1976, par exemple, dans son film Ici et Ailleurs, il n’hésite pas à faire se chevaucher deux images : l’une de Golda Meir, alors Premier ministre israélien, l’autre d’Adolf Hitler. C’est là reprendre l’amalgame polémique le plus outrageant visant les Israéliens : la reductio ad Hitlerum. Godard tient régulièrement depuis, sur Israël ou les Juifs, des propos aussi confus que provocateurs. Il s’est ainsi maintes fois plu à sous-entendre, selon la formule banalisée par l’abbé Pierre, que les victimes d’hier étaient devenues les bourreaux d’aujourd’hui. Ou encore, décrivant la Bible comme un « texte trop totalitaire », il ironise sur ces Juifs qui, selon lui, auraient « sauvé Israël en mourant dans les camps » (sic) : « Au fond, il y a eu six millions de kamikazes. » Et de lancer en 2004, d’une façon fielleuse : « Le peuple juif rejoint la fiction tandis que le peuple palestinien rejoint le documentaire. » Le cinéaste, réalisateur inspiré d’À bout de souffle (1960) et de Pierrot le fou (1965), étrangement frappé de stérilité depuis la fin des années 1960, s’est insensiblement transformé, après une longue plongée dans le bouillon de culture gauchiste, en un propagandiste « antisioniste ».
 
Ce qui est nouveau, dans ces interventions d’artistes ou d’intellectuels qui se multiplient depuis la fin du XXe siècle, ce n’est pas l’opinion antijuive comme telle, c’est le fait de la rendre publique, soit pour marquer qu’on est du « bon côté », soit sur le mode d’un acte de provocation méritoire, de « résistance ». On « résiste » à « l’impérialisme américain », au « sionisme mondial », au « néo-libéralisme », etc. Cette posture « résistancialiste » est devenue courante dans les milieux culturels occidentaux. La pose du « rebelle » s’inspire désormais moins du révolutionnaire latino-américain à la Che Guevara (dont le remuant Hugo Chávez n’est qu’un simulacre plutôt grotesque) que du « combattant » palestinien, dont Arafat a été la
première figure héroïsée et esthétisée- le keffieh noir et blanc faisait partie de la panoplie : depuis les années 1980, il est arboré par les militants d’extrême gauche, mais aussi d’extrême droite, comme symbole du soutien total à la cause palestinienne".
 
Pierre-André Taguieff
 

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