28 mars 2024

L’ascendant islamiste

La Libye post-révolutionnaire semble avoir élu un gouvernement relativement modéré pro-occidental. Bonne nouvelle, mais provisoire parce que la Libye est moins un pays qu’un puits de pétrole avec une longue plage et des myriades de tribus. L’allégeance populaire à une autorité nationale centrale est faible. Pourtant même si le gouvernement de Mahmoud Jibril est capable de contenir les milices et d’établir une démocratie qui fonctionne, ce sera l’exception du printemps arabe. Considérez :

La Tunisie et le Maroc, les plus occidentalisés de tous les pays arabes, avec des gouvernements islamistes élus. Modérés pour sûr, mais tout de même islamistes. L’Egypte, le plus grand et le plus influent, a fait l’expérience d’un coup de balai islamiste. Les ‘Frères Musulmans’ n’ont pas seulement gagné la présidence. Ils ont gagné près de la moitiè des sièges au Parlement, alors que des islamistes plus ouvertement radicaux en ont gagné 25 pourcent. Associés, ils contrôlent plus de 70 pourcent du Parlement – assez pour superviser la rédaction d’une constitution (ce pourquoi les généraux ont dissous en hâte le Parlement).

Comme pour la Syrie, si et quand Bashar al- Assad tombera, les ‘Frères’ hériteront très certainement du pouvoir. La Jordanie pourrait être la prochaine sur la liste. Et l’aile palestinienne des ‘Frères’ (Hamas) contrôle déjà Gaza.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que le printemps arabe est une appellation impropre. Il s’agit d’un ascendant islamiste, probable dominant de la politique arabe pendant une génération.

Cela constitue la troisième étape de l’histoire politique arabe moderne.

Le stade I était le gouvernement monarchique semi colonial, dominé par la Grande-Bretagne et la France, de la première moitié du 20ème siècle. Le stade II était l’ère nationaliste arabe – laïque, socialiste, anti-coloniale et anti-cléricale – introduite par la Révolte des officiers libres de 1952 en Egypte.

Son véhicule était une dictature militaire, et Gamal Nasser le dirigeait. Il leva le drapeau du panarabisme, au point de changer le nom de l’Egypte en ‘République Arabe Unie’ et en fusionnant son pays avec la Syrie en 1958. Cette expérience absurde – elle dura exactement trois ans – devait être le commencement d’une grande unification arabe qui, bien sûr, ne s’est jamais produite. Nasser a aussi férocement persécuté les islamistes – comme l’ont fait ses successeurs nationalistes, Hosni Moubarak en Egypte et les Baathistes, irakiens (Saddam Hussein) et syriens (les Assad) – antithèse réactionnaire du modernisme arabe.

Mais le modernisme de style personnel des dictateurs nationalistes arabes s’est avéré être un lamentable échec. Il a produit des régimes corrompus, bureaucratiques, semi socialistes, dysfonctionnels qui laissa l’ensemble des habitants (sauf s’ils étaient gorgés de richesses pétrolières) nageant dans la pauvreté, l’indignité et la répression.

De là le printemps arabe, des soulèvements en série qui se sont étendus depuis la Tunisie au début 2011. Beaucoup d’Occidentaux ont cru naïvement que l’avenir appartenait aux jeunes branchés, laïcs, ‘tweetant’ sur la place Tahrir. Hélas, cette petite tranche d’occidentalisation n’atteignait pas les islamistes, politiquement sérieux, hautement organisés, largement soutenus, qui les balayèrent sans peine aux élections nationales.

Ce ne fut pas une révolution ‘Facebook’ mais le commencement de sa forme islamiste. Parmi les ruines du panarabisme nationaliste laïque, les ‘Frères Musulmans’ se dressèrent pour résoudre l’énigme de la stagnation et de la marginalité arabes. « L’islam est la réponse », prêchèrent-ils et ils gagnèrent la partie.

Mais quel type d’islam politique ? De cela l’avenir dépend. La version modérée, turque, ou la version radicale, iranienne ?

Pour sûr, la Turquie de Recep Erdogan n’est pas un modèle. Erdogan, de plus en plus  autoritaire, a brisé l’armée, neutralisé le pouvoir judiciaire et persécuté la presse. Il y a plus de journalistes en prison en Turquie qu’en Chine. Cependant actuellement, la Turquie demeure relativement pro-occidentale (quoique non fiable) et relativement démocratique (comparée à son voisinage islamique).

Aujourd’hui, le nouvel ascendant islamiste des terres arabes a pris davantage l’aspect bénin de la Turquie. De même par nature au Maroc et en Tunisie ; par contrainte externe en Egypte, où l’armée se considère comme le gardien de l’Etat laïque, précisément comme le fit l’armée turque pendant les 80 années depuis Atatürk jusqu’à Erdogan.

Un gouvernement véritablement démocratique peut pourtant venir dans les terres arabes. L’islam radical n’est la réponse à rien, comme l’a démontré la répression, l’arriération sociale et les conflits civils des Taliban en Afghanistan, au Soudan islamiste et dans l’Iran clérical.

De même pour l’islamisme modéré, s’il se radicalise finalement, il échouera aussi et apportera pourtant un autre printemps arabe où la démocratie pourra vraiment être la réponse (comme il aurait pu l’être en Iran, si les mollahs n’avaient pas sauvagement écrasé la Révolution Verte). Ou bien il pourrait s’adapter à la modernité, accepter l’alternance du pouvoir avec des laïcs et ainsi parvenir par évolution à une norme démocratique arabo-islamique authentique.

Peut-être. La seule chose dont nous pouvons être sûrs aujourd’hui cependant, est que le nationalisme arabe est mort et l’islamisme est son successeur. C’est ce que le ‘Printemps Arabe’ a apporté. Le commencement de la sagesse fait face à cette difficile réalité.

Par Charles Krauthammer,
Washington Post, 12/07/2012

http://www.washingtonpost.com/opinions/charles-krauthammer-the-islamist-ascendancy/2012/07/12/gJQArj9PgW_story.html

Adaptation française de Sentinelle 5772 ©

letters@charleskrauthammer.com

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