23 Avril 2014 : James Lovelock et Lennart Bengtsson parlent ouvertement.
La publication des rapports des groupes II ( Les conséquences prévisibles) et III (Les remèdes potentiels) et notamment celle du "Résumé pour les décideurs" du GIEC a soulevé de vives critiques, notamment de la part d'un certain nombre de scientifiques du domaine ou d'économistes de l'environnement. S'appuyant sur les prévisions/scénarios du groupe I (les causes), ces rapports présentent les mêmes caractéristiques que celles que nous avions notées pour le rapport du groupe I.
En bref, des rapports complets sont extrêmement copieux et bien documentés, mais aussi difficiles à lire pour les non-initiés.. En réalité, ces rapports complets sont relativement peu alarmistes et plutôt en retrait, de ce point de vue, par rapport aux précédents. Par contre et une fois encore, le "Résumé pour les Décideurs" (SPM) constitue, une fois encore, une véritable caricature du contenu des rapports complets. Il est vrai que les rapports complets sont rédigés par des scientifiques et que l'adoption des "Résumés Pour les Décideurs" fait intervenir un grand nombre de politiques délégués par chaque nation participant au GIEC…
C'est dans ces circonstances que deux scientifiques chevronnés et renommés, désormais en retraite, ont souhaité faire partager leurs points de vue.
Lennart Bengtssson est un éminent scientifique suédois dont on peut apprécier la très brillante carrière dans ce billet. Alarmé par le développement des perspectives politico-climatiques Bengtsson avait déjà fait connaître son opinion sur le blog de son collègue Hans von Storch comme je l'avais rapporté en Septembre 2013.
Pour sa part, James Lovelock, l'auteur de la thèse dite Gaïa, est un scientifique-auteur d'une multitude d'inventions remarquables. Lovelock a certainement été le principal promoteur de l'alarmisme climatique au Royaume Uni, dès les années 70-80. Depuis lors, confronté aux observations objectives, il a revu ses positions au point de devenir un des critiques les plus acerbes du GIEC, de ses participants et de quelque affirmations plus ou moins médiatiques sur divers autres sujets comme vous allez le voir. Compte tenu de sa notoriété, Lovelock a eu les honneurs d'un interview dans la revue Nature dont voici de larges extraits précédés d'une untroduction-présentation de Lovelock par le chroniqueur de cette revue (Philip Ball (9 avril 2014)
1) Réflexions de James Lovelock sur l'héritage de Gaïa, sur le changement climatique, sur Fukushima, Tchernobyl etc.
Un interview publié dans la revue Nature.
"Réflexions de James Lovelock sur l'héritage de GaïaUn scientifique qui participe à une exposition qui s'ouvre aujourd'hui à Londres, s'exprime sur Gaïa, sur le changement climatique et sur la nécessite (ou non) du processus de revue par les pairs.Une nouvelle exposition au Musée de la Science de Londres a donné l'occasion de voir les archives personnelles des scientifiques qui comptent parmi les plus influents de notre époque : James Lovelock "A la découverte de Lovelock : le scientifique, l'inventeur, le non-conformiste" raconte l'histoire du chercheur britannique dans les domaines de la médecine, des sciences environnementales et de la planète. Elle montre des documents qui remontent aux histoires de son enfance, des griffonnages sur des carnets de laboratoire ainsi que des textes de brevets et des lettres émanant de dignitaires du passé comme l'ancienne premier ministre du Royaume Uni (et chimiste) Margaret Thatcher. On y trouve également plusieurs inventions de Lovelock telles que le détecteur capteur d'électrons qui a permis la mesure des chlorofluorocarbones destructeurs de l'ozone de l'atmosphère dans les années 1970. Lovelock qui est né en 1919 est surtout connu pour "l'hypothèses Gaïa" qui avançait l'idée que la Terre fonctionne comme un système qui s'auto-régule de manière semblable à un organisme vivant. Cette idée à provoqué une controverse quand Lovelock et le micro-biologiste Lynn Margulis l'ont mise en avant dans les années 1970 mais les scientifiques de l'environnement et de la planète en acceptent à présent les principes de base. En 2006, son livre "La vengeance de Gaïa" prédisait des effets désastreux dus au changement climatique pour les toutes prochaines décennies à venir. Il y écrivait que "Seule une poignée des milliards d'habitants en capacité de procréer qui sont vivants aujourd'hui, survivront." Cette semaine, Lovelock a parlé à la revue Nature au sujet de sa carrière, de ses prédictions antérieures et de son nouveau livre "Une dure route vers le futur".(recensé la semaine dernière dans Nature). . – Est(ce que le changement climatique va être moins extrême que vous l'aviez pensé auparavant ? La vengeance de Gaïa dépassait les bornes mais nous étions tous tellement impressionnés par la corrélation parfaite entre la température et le CO2 dans les analyses des carottes de glace [prélevées dans les glaces du Groenland et de l'Antarctique étudiées depuis les années 1980]. Vous auriez pu tracer une ligne droite corrélant la température et le CO2 et c'était tellement tentant pour que tout le monde affirme que " Eh bien, avec la montée du CO2 nous pouvons dire que telle ou telle année, il fera chaud comme ça.". C'était une erreur que nous avons tous commise. Nous n'aurions pas dû oublier que le système à énormément d'inertie et que nous n'allons pas changer ça très rapidement. La chose que nous avons tous oublié c'est le stockage de la chaleur dans les océans – qui est mille fois plus grande que celle qui est dans l'atmosphère. Vous ne pouvez pas changer ça très rapidement. Mais, en tant que scientifique indépendant il est beaucoup plus facile de dire que vous vous êtes trompé que si vous faites partie d'une département gouvernemental ou quoi que ce soit d'autre. – Eh bien alors à quoi vont ressembler les 100 prochaines années ? Il est impossible de répondre à cette question. Tout ce que je peux dire c'est qu'en aucun cas cela ne sera jamais et d'aucune façon aussi mauvais que ce que prédisent les scénarios les plus pessimistes. – Etes vous encore pessimiste quand à la perspective de parvenir à une solution politique sur le changement climatique ? Absolument. – Dans votre dernier livre, vous vous déclarez partisan de ne pas essayer d'arrêter le changement climatique mais, plutôt, d'effectuer ce que vous appelez une "retraite soutenable". Pourquoi cela ? Je pense que c'est la meilleure approche. Courir et foncer en avant ressemble beaucoup à une stratégie napoléonienne avant une bataille. Il est beaucoup mieux de réfléchir à la manière dont nous pouvons nous protéger. Si nous voulons vraiment faire quelque chose de bénéfique, nous devrions faire plus d'efforts pour faire de notre planète un lieu convenable pour y vivre dans le futur plutôt que d'essayer de sauver quoique ce soit dans un futur éloigné. Ceci est particulièrement vrai pour la Grande Bretagne. Nous sommes presque morts de faim pendant la seconde guerre mondiale. Notre production agricole n'a pas augmenté suffisamment pour subvenir aux besoins de la population actuelle. C'est une chose à laquelle nous devrions apporter toute notre attention et non pas chercher à jouer aux devinettes en espérant des jours meilleurs. – Est-ce que l'énergie nucléaire fera partie du futur malgré le désastre nucléaire de Fukushima au Japon ? Cette affaire de Fukushima est une plaisanterie. Bon, ce n'est pas une plaisanterie, c'est très sérieux – Mais comment avons nous pu être trompés par quelque chose comme ça ? Vingt six mille personnes ont été tués par le tremblement de terre de force 9 et par le tsunami [qui a causé le fusion du réacteur] et combien y a-t-il eu de morts avérés qui ont été tués par l'accident nucléaire ? Aucun [Au sujet du désastre de Tchernobyl, Lovelock écrit dans "Une dure doute vers le futur" : "Les mensonges les plus étonnants ont été proférés et le sont encore et ils sont crus par tout le monde….Malgré au moins trois enquêtes effectuées par des médecins renommés, il n'y a eu aucune augmentation mesurable de la mortalité en Europe de l'Est. "] Une grande quantité des investissements effectués dans les technologies vertes ont été une gigantesque arnaque même si cela partait de bonnes intentions." […] |
La réaction de l'establishment climatique britannique à cet interview de Lovelock publié dans Nature, ne s'est pas fait attendre. En bref, comme on pouvait le prévoir, Lovelock y est accusé de ne pas être d'accord avec le déclarations du rapport AR5 du GIEC…
2) Lennart Bengtsson : Sur la science et la politique du changement climatique
Texte de Lennart Bengtssson publié le 15/04/14 dans un journal suisse à grand tirage, le Neue Zürcher Zeitung.
Il existe une traduction en anglais de Philipp Mueller
Voici une traduction en Français de la déclaration de Bengtsson que beaucoup considèrent comme une analyse "raisonnable et prudente" de la situation par un ancien membre éminent du sérail de la climatologie. Les caractères engraissés dans ce texte le sont par l'auteur de PU.
"Nous savons depuis la fin du XIXe siècle que le climat de la Terre est sensible aux gaz à effet de serre présents dans l'atmosphère. Cest à cette époque que le chimiste suédois Svante Arrhénius a montré qu'une augmentation de la teneur en CO2 induirait un réchauffement du climat. De fait, Arrhénius avait peu d'espoir que cela se produise. Par conséquent, les Suédois devraient continuer à souffrir du froid et d'un climat déplorable. Depuis cette époque, beaucoup de choses ont changé. Les émissions annuelles de CO2 ont à présent atteint un niveau qui est environ 20 fois supérieur à celui de 1896. Ceci est à l'origine d'une inquiétude qui s'est répandue dans le monde entier. Un accroissement du CO2 dans l'atmosphère conduit sans aucun doute à un réchauffement de la surface de la surface terrestre. Mais l'amplitude et la vitesse de ce réchauffement sont encore incertaines parce que nous ne pouvons pas encore séparer de manière satisfaisante l'effet des gaz à effet de serre des autres influences climatiques. Bien que le forçage radiatif des gaz à effet de serre (incluant le méthane, les oxydes d'azote et les fluorocarbones) ait augmenté de 2,5 watts/m2 depuis la moitié du XIXe siècle, les observations ne montrent q'un réchauffement modéré de 0,8° Celsius. Ainsi, le réchauffement est nettement plus petit que celui qui a été prédit par la plupart des modèles climatiques. De plus, le réchauffement du siècle dernier n'a pas été uniforme. Des phases de réchauffement manifeste ont été suivies par des périodes sans aucun réchauffement, allant même jusqu'au refroidissement. La relation complexe qui n'est seulement que partiellement comprise, entre les gaz à effet de serre et le réchauffement climatique conduit à un dilemme politique. Nous ne savons pas quand nous pouvons nous attendre à un réchauffement de 2° Celsius. Le GIEC suppose que la Terre va se réchauffer de 1,5 à 4,5° Celsius en réponse à un doublement de la concentration en CO2. Cependant, ces fortes valeurs de la sensibilité climatique ne sont pas en accord avec les observations. En d'autres termes, le réchauffement climatique n'a pas été un problème sérieux jusqu'à maintenant si nous nous fions aux observations. Cela ne devient un problème que si nous nous basons sur les simulations numériques du climat par les ordinateurs. Il n'y a pas d'autre choix que de passer par ces simulations sur ordinateur si on veut prédire ce qui va se passer dans le futur. Mais comme il n'y a aucun moyen de s'assurer de leurs validités, les prévisions numériques reposent plus sur de la croyance que sur des faits. Le GIEC a publié l'opinion de ses experts il y a quelques mois et a présenté ces dernières sous la forme de probabilités. Tant que les résultats ne peuvent pas être étayés par des modèles dûment validés celles-ci donnent l'impression trompeuse d'être fiables. Les états membres de l'Union Européenne poursuivent une stratégie destinée à limiter le risque climatique en réduisant au minimum et le plus rapidement possible, l'usage des carburants fossiles. Beaucoup de citoyens ne veulent pas courir de risque et, de ce fait, sont en faveur de cette politique. De plus, beaucoup de citoyens désirent se débarrasser de l'énergie nucléaire parce qu'elle aussi est perçue comme trop risquée. Eliminer, tout à la fois, l'énergie nucléaire et les carburants fossiles, constitue un énorme défi. Malgré tout, l'Allemagne et la Suisse ont fait le choix d'opérer une telle transition. Poursuivre une politique énergétique aussi radicale et peut-être hasardeuse, en dépit des possibilités économiques, scientifiques et techniques limitées, constitue une entreprise gigantesque. . Dans ce contexte, on doit considérer deux facteurs. Tout d'abord, une transition énergétique de ce genre ne fera malheureusement que peu baisser les émissions de CO2 de la planète, parce que 90% de ces émissions proviennent de pays situés en dehors de l'Europe. Nombre de ces pays vont probablement augmenter leurs émissions de CO2 dans le futur du fait que leur population augmente et que leur priorité numéro un est d'améliorer le niveau de vie de leurs habitants. La Chine constitue un cas particulier. Ses émissions de CO2 ont plus que doublé durant la dernière décennie et elles sont, maintenant, près de 50% supérieures à celles des USA. Pour diverses raisons il n'y a pas actuellement d'alternative aux fluides fossiles dans les pays en voie de développement. Les besoins en énergie sont très importants dans ces pays. Actuellement, il y a 1,3 milliard de personnes qui n'ont pas accès à l'électricité. Dans le but de réduire rapidement et facilement leurs émissions, les pays de l'OCDE ont exporté quelques unes de leurs industries très énergivores dans les pays en voie de développement. Ca fait bien dans les statistiques nationales. Par contre, au plan global, cela ne fait pas grande différence car les émissions se produisent tout simplement quelque part ailleurs. D'autre part, la transition rapide vers les énergies renouvelables a entraîné une augmentation considérable du prix de l'énergie dans de nombreux pays et tout particulièrement en Europe. Ceci a pour conséquence de mettre à mal la compétitivité et de conduire à des délocalisations des industries grandes consommatrices d'énergie vers des pays tels que les USA où le coût de l'énergie à chuté de manière significative du fait de l'utilisation du gaz de schiste. On ne doit pas être surpris de constater qu'il y a d'autres forces en jeu qui poussent vers un changement rapide. Ceci résulte du fait que dès que des subventions gouvernementales sont impliquées, d'énormes profits deviennent accessibles. Cependant, avant que des changements radicaux et hâtifs puissent être appliqués au système énergétique en vigueur, on doit avoir des preuves solides que le changement climatique est suffisamment préjudiciable. Nous sommes encore loin de posséder de telles preuves. Il serait aberrant de conclure, à la lecture du rapport du GIEC et d'autres rapports, que la science est comprise. Nous ne savons pas encore quelle est la meilleure solution pour résoudre les problèmes énergétiques de notre planète. Mais beaucoup de choses peuvent se produire pendant les cent prochaines années. Une sensibilité climatique modérée comme celle qui est suggérée par les observations récentes pourrait procurer un espace de respiration d'environ un demi-siècle ( mais pas beaucoup plus), si, pendant le même temps, un basculement du charbon vers le gaz naturel se produit. Ceci nous offre l'opportunité d'éviter des investissements inutiles réalisés sous l'emprise de la panique et d'investir de préférence les ressources disponibles dans des programmes de recherche à long terme bien réfléchis. Ces derniers incluent les nouvelles formes d'énergie nucléaire tout comme l'utilisation des déchets nucléaires pour produire de l'énergie." _________________________________________________________ Lennart Bengtsson était, jusqu'en 1990, le Directeur de l'Institut Max Planck pour la Météorologie à Hambourg. Après son départ en retraite, il a dirigé, entre autres, le Département des Sciences de la Terre de l'Institut International des Sciences de l'Espace à Berne. " |
D'autres traductions en français.de cet article de Lennart Bengtsson ont été publiées (Belgacomcloud (h/t skyfall) et Contrepoints)
La climatologue Judith Curry a également cité, (parmi d'autres) de larges extraits des déclarations de ces deux mêmes scientifiques dans un billet intitulé "Changement climatique : ce que nous en savons pas ", en réponse (ironique) à un déclaration récente de l'AAAS américaine (Association de scientifiques US) qui était intitulée "Changement climatique : ce que nous savons".
En conclusion de son exposé à ce sujet, Judith Curry fait les remarques suivantes :
"Il est réjouissant de constater que des scientifiques renommés et des penseurs "sortent de leur réserve" pour donner leurs points de vue sur la science climatique et sur la manière dont nous devrions y répondre en des termes qui diffèrent des affirmations du GIEC et des interprétations les plus alarmistes. Il est malheureux que ce comportement semble se limiter à des scientifiques indépendants ou à des retraités ; Les fonctionnaires en activité dans de nombreux pays ne le feraient pas (même si leurs convictions personnelles différent de celles du consensus du GIEC) et le même diagnostic semble s'appliquer à a plupart des scientifiques employés par les universités. |
On ne saurait mieux dire…
Stay tuned !