" Pourquoi un pays aux prises avec une menace islamiste fait dévier la conversation sur l’”occupation israélienne”?
Il y a environ trois ans, l’Université Roskilde près de Copenhague m’a demandé de siéger en tant que jury externe sur le comité d’évaluation d’une thèse examinant la relation entre la communauté juive américaine et les résidents des implantations.
J’ai été surpris par la demande: qui au Danemark pouvait bien s’intéresser à une telle question? Il s’est avéré que la thèse avait été écrite par un jeune Juif danois ayant passé plusieurs mois à mener des recherches en Judée et Samarie.
Après avoir soumis mes remarques et que les modifications furent apportées à la thèse, j’ai été invité à Copenhague pour la cérémonie de soutenance de thèse. De nombreux participants assistaient à l'événement, tenu dans un grand auditorium.
Je me suis assis sur la scène aux côtés des deux membres danois du jury, et chaque membre a eu environ 30 minutes pour parler au candidat au doctorat et lui poser des questions. J’étais le dernier à prendre la parole.
L'événement académique s’est rapidement transformé en un spectacle de condamnation contre le “colonialisme” israélien. L'un des membres du jury, un sociologue “expert en violence”, a présenté des théories novatrices sur les “torts de l'occupation" et les "abus liés au genre", tout en montrant une complète ignorance du conflit israélo-arabe. Une partie de la conversation a porté sur la "puissance destructrice" du lobby juif américain.
Même avant l'événement, j’ai été implicitement informé que la cérémonie de soutenance allait ressembler à un “show”, une sorte de spectacle suivi par la présentation de la thèse.
Quand mon tour est arrivé, j’ai commencé en disant qu’“autant que je sache, nous sommes à un examen, non pas à une cérémonie rituelle." Mon commentaire visait à rappeler que le candidat ne détenait pas encore de doctorat et que son avenir n’était pas encore déterminé.
L'atmosphère dans l'auditorium a immédiatement changé. L’ambiance festive a fait place à une grande tension. Pendant la demi-heure dont je disposais, j’ai posé des questions difficiles sur la méthodologie de recherche et sur les résultats. Je ne lui ai pas rendu la tâche simple lorsque j’ai demandé à l’étudiant s’il avait tenté avec sa thèse de se conformer à la tendance anti-Israël présente dans le milieu universitaire danois. La pression dans la pièce a augmenté encore d’un cran lorsque j’ai affirmé que la flagrante politisation des questions des autres membres du jury avait causé du tort au candidat au doctorat. Finalement, les membres du groupe ont décidé d’exiger des changements et des amendements à sa thèse.
Le soir venu, j’ai été invité à dîner par la famille du candidat au doctorat. Une famille juive chaleureuse, dont certains d'entre eux étaient des survivants de la Shoah. Le ministre danois des Infrastructures, un ami de la famille, avait également été invité. Nous avons eu une conversation animée sur les menaces climatiques et l’énorme budget environnemental de son pays. Nous avons aussi parlé des défis culturels de la société danoise dans le sillage des vagues d'immigration en provenance de pays musulmans.
A un certain moment, nous avons parlé de nos enfants. Quand je lui ai dit que mon fils était dans l'armée, la femme du ministre a demandé: “Et vous le laissez faire?". “Bien sûr, répondis-je. Cela fait partie de notre vie en Israël”. J’ai ajouté que j’étais très fier de mon fils et de son choix de s’établir en Israël et de servir dans Tsahal, alors qu’il avait grandi aux États-Unis.
Le ton a immédiatement changé et une violente dispute a éclaté au sujet de la "politique d'oppression israélienne." Le ministre danois a dit quelques mots très durs sur le “chauvinisme nationaliste" en Israël, sur la violence et l'injustice israéliennes envers les Palestiniens et sur la désintégration de la démocratie israélienne. Il a même noté que la politique israélienne portait atteinte à la sécurité des Juifs du Danemark et qu’elle pourrait conduire à la résurgence de l'antisémitisme à leurs dépens.
J’ai protesté contre la critique et parlé du fait que les Danois ne comprenaient pas les menaces dans notre région. J’ai aussi mentionné le nationalisme danois, qui tente de freiner l'immigration musulmane. Lorsque les discussions ont franchi les frontières de la tolérance scandinave, j’ai demandé à appeler un taxi et je suis parti.
Cette nuit-là, j’était complètement bouleversé. Était-ce parce que j’avais réagi de manière excessive? Comment était-ce possible que, même à Copenhague, je ne pouvais pas me sortir le pays de la tête?
Mais le lendemain matin, sur le chemin de l'aéroport, j’ai compris que nous ne devons pas garder silence face à l'ignorance, à la cécité et à la rectitude politique.
Je me suis demandé: pourquoi le Danemark, qui est aux prises avec une menace islamiste interne, fait dévier la conversation sur l’”occupation israélienne”?
En novembre 2012, l'ambassadeur d'Israël au Danemark, Arthur Avnon, a averti les Juifs de Copenhague d’être prudents: “ne parlez pas hébreu trop fort, ne portez pas de signes ostentatoires comme l'étoile de David et attendez d’entrer dans la synagogue avant de mettre votre kippa."
La récente offensive terroriste dans la capitale danoise ouvrira peut-être les yeux de ceux qui n’ont pas encore réalisé que quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark".
Yossi Shain est professeur de Sciences politiques à l'université de Tel Aviv