Tous les observateurs, en particulier les plus doctes, considéraient que ce mouvement était bien fini, s'effilochant, empli de "déclassés" désespérés, déchets, rebus, va-nu-pieds qu'il fallait maintenant faire rentrer à la niche disaient certains seconds couteaux du haut de leur micro narquois ou énervés c'est selon.
Mais pourquoi diable ne pas les avoir pas laissé défiler jusqu'aux grilles du Parlement? Tout se passait bien s'il n'y avait pas eu cette satanée passerelle près du Musée d'Orsay… Par peur qu'ils fassent sitting devant la Représentation nationale, ambiance ukrainienne pourtant, cela devrait plaire à BHL non ?… Tout le contraire on le sait. Et vite vite on déniche un propos raciste un boxeur échauffé une machine à palettes, des scooters en feu, des téléphones qui filment tout en étant filmés, tout un déroulé à la Prévert tandis que nombre de gilets jaunes interrogés s'appellent aussi Ahmed, Karim, Nadia…N'en déplaise..
Pas le prénom qu'il faut donc pour certains et pourtant ils sont là comme les autres ils boivent la tasse comme les autres ils se font matraquer gazer ils sont des nôtres aussi non ?…
Donc le coup du racisme factieux s'en prenant à la République comme en 34 ne tient pas, pas plus que de les amalgamer à des miséreux à qui l'on donne l'aumône et trois tours de débats et puis s'en vont.
Cela ne marche pas comme ça. Le mal est trop profond. On ne reste pas depuis près de deux mois dehors à jouer pour certains leur va tout sans avoir rien en échange sinon des cacahouètes et la matraque. Ce n'est pas une question de mendicité mais de dignité. Ou alors être citoyen, en l'occurrence française, ne veut plus rien dire. Ne voit-on pas que même la gauche qui suit le mouvement, la pince sur le nez, est obligée de sortir le drapeau français et de chanter le premier couplet au moins de la Marseillaise ?
On les avait "analysé", dans les salons où l'on (se) cause à coup de pétitions éperdues pour sauver la planète, "affreux sales et méchants" sauf que ce n'était pas les bonnes lunettes: arroseurs arrosés, les méchants, les vrais, sont au pouvoir et ils cognent dur pour que les moutons marchent comme il faut vers les abattoirs médiatiques dans lesquels on les flingue avec des mots assassins, sans même les assommer avant.
Tout est donc devenu bien pitoyable, surtout cette récupération qui veut à tout prix voir en ce mouvement qu'une révolte "sociale" alors qu'elle est surtout politique non pas au sens nécessairement anti-institutionnelle donc insurrectionnelle, mais au sens concret de voir émerger de nouvelles institutions plus horizontales qui prennent réellement en charge ce désir de savoir où "va le pognon de dingue dépensé".
Sauf que le Pouvoir n'arrive pas à comprendre qu'il ne suffit pas de saupoudrer et d'expliquer par des fromages statistiques où va l'argent; il s'agit de faire en sorte que les citoyens participent réellement désormais au contrôle et à l'effectuation de son affectation.
Le Pouvoir doit donc garder son calme, car si les ordres n'avaient pas été de bloquer cette passerelle parisienne rien ne dit que les choses auraient dégénéré ainsi, les gilets jaunes qui étaient dessus disaient d'ailleurs aux policiers de partir à voir les images, de ne pas s'en mêler en fait, il n'y a pas eu par exemple de baston à un contre dix comme il y a quelques jours avec les motards, ce n'était pas les mêmes gilets jaunes sans doute, comme si, cette fois, la violence qui se déchaînait sur cette passerelle ne visait pas les gendarmes mobiles en réalité mais plutôt ceux qui les envoient ainsi au casse pipe, en sous effectifs, ce sont eux ces gens d'En Haut qui ne comprennent décidément pas ce que veut dire ici et maintenant la liberté réelle de manifester dans l'espace public dans une démocratie aussi politique que la république française.
Personne, au fond, n'est au bout de ses peines.