Après moultes tergiversations et marchandages en sous-main le Conseil des gouverneurs de l’AIAE a finalement décidé de demander à son Directeur général d’envoyer « tous les rapports et résolutions adoptées jusqu’ici » à propos du nucléaire iranien au Conseil de Sécurité de l’ONU. Mais si cette décision tant attendue marque une étape elle n’est qu’un premier pas, en soi largement insuffisant. Reste à savoir si des sanctions suffisamment contraignantes seront votées et seront appliquées pour que le gouvernement des mollahs renonce à son projet nucléaire…la bataille est donc loin d’être gagnée.
Dans sa Résolution du 4 février 2006 l’AIAE explique que, d’une part, il n’est pas question d’empêcher quiconque de développer un programme nucléaire à des fins civiles – ce que le gouvernement de Téhéran continue à prétendre vouloir faire- et que, d’autre, part, « après trois ans de vérifications intensives l’Agence n’est pas en mesure de clarifier des points importants concernant le programme nucléaire iranien ou de conclure qu’il n’y a pas de matériaux ou d’activités nucléaires cachées en Iran. » On remarquera que la chose est dite avec d’immenses précautions.
L‘AIAE note que l’Iran a « souvent failli à ses engagements de respecter le Traité de Non Prolifération… » et rappelle que la République islamique a beaucoup « dissimulé » ses activités dans le domaine du nucléaire et se trouve en possession de documents suspects lui permettant de manufacturer des objets de forme hémisphérique en uranium enrichi, naturel ou appauvri – autrement dit « des composants d’armes nucléaires »-. D’où une « inquiétude » des plus légitimes !
L’AIAE donne cependant du temps supplémentaire à l’Iran pour qu’il puisse donner des gages de sa bonne foi… Pourtant cela fait vingt ans que l’Iran développe des recherches nucléaires qui n’ont rien de rassurant…Alors, la République islamique a-t-elle réellement besoin de temps supplémentaire ? Mais il ne s’agirait, cette fois, que d’un mois environ.
Par ailleurs, l’AIAE souligne qu’une solution diplomatique serait bien préférable. Baroud d’honneur sans doute car cela a été tenté en vain depuis des années…
Un point important a été ajouté, après bien des tractations en coulisse, à la demande de l’Egypte. Cela fait longtemps, en effet, que l’Egypte dénonce le programme nucléaire israélien. Israël dément en avoir. Quoi qu’il en soit, l’Etat hébreu, faut-il le rappeler, est la seule démocratie dans la région et ne menace personne. A la différence d’un pays comme l’Iran qui clame urbi et orbi vouloir « rayer Israël de la carte » et s’en prend violemment aux « Infidèles » engagés selon lui « depuis des siècles dans une guerre contre l’Islam ». Le tout en agitant la menace de ses fusées à moyenne et longue portée. Et il ne faut pas oublier, non plus, le soutien qu’apporte l’Iran au terrorisme.
Etats-Unis, qui étaient contre toute mention à Israël et Egypte – pour qui les USA sont un bailleur de fonds non négligeable- ont débattu pied à pied de la formulation qui serait adoptée. Celle-ci évoque finalement « une solution pour l’Iran qui contribuerait aux efforts de non prolifération dans le monde et contribuerait à atteindre le but de voir un Moyen-Orient sans armes de destruction massives ni des moyens de les transporter. »
L’AIEA demande enfin à l’Iran d’être transparent dans le domaine de son programme nucléaire et de suspendre toute activité dans le domaine de la conversion de l’uranium, reprise en août 2005 et dans celui de l’enrichissement de l’uranium, reprise en janvier dernier et de reconsidérer la construction d’un réacteur à l’eau lourde annoncée.
Le 2 février le représentant iranien auprès de l’AIAE avait transmis au Directeur général un message du Secrétaire du Conseil de Sécurité Suprême, le Dr. Larijani. Il y affirmait que l’Iran voulait négocier et enjoignait D. El Baradaï de ne pas céder aux « menaces et pressions » « politiques » exercées, selon lui, sur l’Agence et proclamait une fois de plus que l’Iran serait engagé dans des « activités entièrement pacifiques. » Ce qui revenait à prendre les membres de l’AIAE pour des imbéciles.
La Résolution a été votée et soutenue par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne mais aussi la Russie et la Chine – dont le vote n’était pas forcément acquis, compte tenu des liens économiques entre ces deux pays et l’Iran- qui sont les cinq membres membres permanents du Conseil de Sécurité, et 22 autres pays. Cuba, Syrie et Venezuela ont voté contre la Résolution, cinq pays, l’Algérie, la Biélorussie, l’Indonésie, la Libye et l’Afrique du Sud se sont abstenus.
Cette Résolution a d’ores et déjà été saluée par nombre de gouvernements occidentaux, dont le Canada, les pays de la Troïka, qui a mené des négociations avec l’Iran pour tenter de parvenir à une résolution de la crise, les Etats-Unis.
Téhéran a réagi par ses menaces habituelles, annonçant, entre autres, mettre un terme à toute inspection de l’AIEA.
Le Conseil de Sécurité, certes, mais après ?
Lors d’un Colloque organisé fin septembre à Paris et qui coïncidait avec une précédente réunion du Conseil des Gouverneurs de l’AIAE à Vienne – qui n’avait pas abouti- par un Institut de Recherche britannique, Gulf Intelligence Monitor, les participants avaient appelé de leurs voeux cette saisine du Conseil de Sécurité par l’AIEA dans le dossier iranien.
Toutefois ils doutaient de l’efficacité d’une telle mesure. En effet, pour que des sanctions soient efficaces, soulignaient-ils, encore faudrait-il qu’elles soient suffisamment fermes et qu’elles soeint appliquées.
Ainsi le 20 septembre Bruno Tetrais, Directeur d’Etudes Stratégiques de Défense à la Fondation Strategic Research Foundation, mettait en garde : « Je pense qu’en admettant que cette résolution soit adoptée, ce qui n’est pas du tout certain, nous serons bien au début d’une nouvelle phase, au début d’un processus et certainement pas à la fin d’un processus. » Mise en garde qui reste d’actualité.
George Le Guelt, Directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), disait être en plein accord avec les réserves émises sur ce point par André Glucksman qui disait : « la solution est la saisine du Conseil de Sécrité et tout ira bien. Je n’en crois rien » et il mettait en garde contre « aussi bien les illusions que les déceptions que peut représenter la saisine du Conseil de sécurité. » Car, ajoutait-il, on peut craindre que « le Conseil de sécurité ne se mette pas d’accord. »
Pour Mohammad Mohaddessin, Président de la Commission des Affaires étrangères du Conseil National de la Résistance Iranienne, pour être efficace le Conseil de Sécurité doit « imposer un embargo sur le pétrole iranien ainsi que les moyens technologiques qu’obtient l’Iran. De telles sanctions ne permettraient pas d’utiliser les richesses du peuple iranien et la technologie occidentale pour pouvoir se doter de bombes nucléaires. Cela leur rendrait la tâche beaucoup plus difficile et ralentirait le processus engagé » et il estimait que « l’ultime solution pour faire face à la menace nucléaire des mollahs est un changement de régime ainsi que l’établissement d’une démocratie. »
Quant à Francois Loncle, ancien ministre, député de l’Eure et Président de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale il allait très loin dans sa méfiance du Conseil de Sécurité et avertissait : « mais, il faudra que ces grandes puissances, y compris après un échec du Conseil de sécurité, prennent leurs responsabilités. »
Frédéric Encel, Professeur de Géopolitique à la Préparation ENA de l’Institut d’Etudes Politiques de Rennes, expliquait : « Si l’Iran est condamné au titre du chapitre 6 -du Conseil de Sécurité -, alors, la communauté internationale et les Nations unies diront à l’Iran : “Vous êtes très vilain”, point final. Personnellement, je doute que les Iraniens soient impressionnés par ce genre de déclaration.
Si l’Iran est condamné au titre du chapitre 7, dans ce cas-là, on aborde les choses sérieuses. » Et il ajoutait : « Le chapitre 7 permet aux Nations unies d’intervenir par tous les moyens possibles, y compris par la force, mais une fois que cela est acquis, si on agit, il faut voir qui va mettre ces sanctions en application. A ce moment-là, il faudrait avoir la volonté et la capacité de faire plier l’Iran. » Et c’est bien là la question.
L‘Amiral Darmon, Président d’Honneur de France-Israël, à qui l’histoire a enseigné la prudence, exprimait ses réserves en ces termes : « les organisations internationales ne disent pas le droit. Les organisations internationales disent la loi de la majorité et cette majorité peut être du côté du droit, mais nous savons que, bien souvent, elles violent ce droit. » Ceci était illustré par Claude Goasguen, ancien ministre, député de Paris et Président du Conseil de Paris, qui, se référant à ce qui s’est passé en Irak, expliquait que « surtout dans une période de crise pétrolière, un certain nombre de sociétés ou même d’Etats seront susceptibles de détourner la situation de l’embargo – et chacun sait que l’imagination est grande –. » Reste alors, selon lui, la solution politique, la solution militaire semblant trop difficile à mettre en oeuvre, avec l’utilisation de la résistance iranienne pour que des élections libres puissent avoir lieu en Iran.
Cette saisine du Conseil de Sécurité étant enfin acquise, l’affaire est donc pourtant loin d’être terminée et les décisions prises dans les semaines à venir seront cruciales. Reste à savoir, donc, quelles mesures seront prises et de quelle manière elles seront mise en oeuvre.