Aucun Londonien n’a oublié ce qu’il faisait le 7 juillet 2005 au moment précis où il a appris la terrible nouvelle. Le “7/7”, selon l’appellation la plus courante, reste un jour noir gravé dans toutes les mémoires. Malgré un ciel capricieux, Londres flottait ce jour-là sur un petit nuage après son sacre olympique de la veille pour l’obtention des Jeux de 2012. À 8 h 50 précises, la douce euphorie estivale virait au cauchemar.
Trois charges explosives ravageaient le métro londonien, simultanément à trois points du réseau, sur la Circle Line et la Picadilly Line. À 9 h 47, une quatrième explosion déchiquetait un bus à double étage à Tavistock Square, en plein cœur de la capitale. Londres venait de vivre “son 11 septembre”, déplorant 52 tués et 700 blessés dans la foule des Londoniens se rendant à leur travail.
Un an après les premiers attentats suicide jamais perpétrés sur le sol européen, la crainte d’une nouvelle vague terroriste reste pour tous présente. Les tentatives d’attentats du 21 juillet dans les transports publics, deux semaines après la première vague terroriste, avaient convaincu les Londoniens que le 7/7 ne serait pas un one-off, une attaque isolée. À en croire le Home Office, le ministère britannique de l’Intérieur, une vingtaine de complots terroristes auraient été déjoués depuis les attentats de Londres.
Les Britanniques doivent désormais s’habituer à vivre au quotidien avec une menace islamiste autrement plus inquiétante que l’était le terrorisme nord-irlandais. « Les règles du jeu sont en train de changer », avait indiqué Tony Blair, un mois après les faits, pour justifier un nouveau tour de vis contre les imams radicaux – « les prêcheurs de haine », écrivent les tabloïds – désormais passibles d’expulsion vers leur pays d’origine, y compris vers les États où la peine de mort et la torture sont pratiquées.
Ce changement de ton, amorcé avec le 11 septembre et amplifié depuis les attentats du 7/7, tranche avec des années de grande tolérance sur le sol anglais vis-à-vis des groupes musulmans extrémistes, une attitude qui vaut à l’Angleterre d’être aujourd’hui surnommée “Londonistan”.
La sacro-sainte défense des libertés individuelles ne suffit pas à expliquer, à elle seule, ce long aveuglement face à la montée de la menace islamiste. Des motifs moins louables expliqueraient ce laxisme passé : « Il y avait cette entente entre les services de sécurité britanniques et les extrémistes islamistes suivant laquelle tant qu’ils ne s’en prenaient pas à la Grande-Bretagne, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient à l’étranger », affirme la journaliste et écrivain Melanie Phillips, auteur de Londonistan, un livre d’enquête paru le mois dernier en Angleterre. Si pacte de non-agression il y a eu, la stratégie a spectaculairement échoué…
« La Grande-Bretagne est aujourd’hui sur la ligne de front du Jihad. Cette attaque n’a pas diminué depuis le 7/7. Nous sommes toujours une cible prioritaire », assure Melanie Phillips, qui dénonce « l’attitude de déni » des autorités britanniques « réticentes à admettre que nous faisons face à une guerre religieuse ».
L’identité des quatre kamikazes du 7 juillet 2005, tous nés et élevés en Angleterre, continue de soulever d’angoissantes interrogations. Si le jeune aide-enseignant d’une école primaire de Leeds, parlant avec un fort accent du Yorkshire, peut devenir, comme Mohamed Sidique Khan, le chef d’un commando suicide déterminé à tuer le maximum de ses compatriotes, combien de “martyrs” potentiels la Grande-Bretagne abrite-t-elle en son sein ? Une fois encore, Melanie Phillips reproche à “l’establishment” de ne pas comprendre : « Il y a un continuum de l’extrémisme au bout duquel on trouve le terrorisme et Al-Qaïda. Notre establishment met le terrorisme et Al-Qaïda dans un compartiment et l’extrémisme religieux dans un autre en pensant que le lien entre les deux n’est que marginal. »
Cet autisme des élites face à la menace islamiste est illustré, selon elle, par la composition de la commission chargée de conseiller Tony Blair sur l’extrémisme musulman mise en place dans la foulée des attentats de Londres : « L’establishment croit qu’en recrutant comme conseillers et en promouvant des radicaux, comme les Frères musulmans, cela va quelque part désamorcer la rage islamiste ; qu’en plaçant ces gens au cœur de l’establishment, ils joueront le rôle de modèle pour la jeunesse musulmane qui ne sera plus attirée par le terrorisme mais voudra suivre leur exemple. À mon sens, c’est de la folie pure. C’est l’arrogance britannique : ils pensent qu’ils peuvent utiliser les musulmans radicaux, ils ne comprennent pas que ce sont eux qui les utilisent ».
Tony Blair trop soft dans sa lutte contre le terrorisme islamiste ? Ce n’est pas le reproche le plus fréquent à son endroit. Blair est plus souvent accusé de confisquer les libertés individuelles, de remettre en question les fondements d’une justice équitable et de stigmatiser la communauté musulmane au nom de sa fameuse “guerre contre la terreur”.
Y compris, et surtout dans son propre camp, son message de fermeté passe mal. Malgré le douloureux souvenir des attentats de Londres, le chef du gouvernement a eu toutes les difficultés du monde à faire passer un texte de loi créant un délit de « glorification du terrorisme ».
En novembre 2005, une disposition essentielle de son Terrorism Act, portant à quatre-vingt-dix jours la garde à vue sans mise en examen pour tout suspect d’activités terroristes, était rejetée à la Chambre des communes par une alliance baroque de députés travaillistes rebelles, de conservateurs et de libéraux-démocrates.
« Nous ne vivons pas dans un État policier, mais nous vivons dans un État qui fait face à une menace réelle et grave de terrorisme », avait argumenté Tony Blair, persuadé d’être suivi sur ce point par une grande majorité des Britanniques.
Malgré les cafouillages et les bavures qui se sont multipliés depuis un an, Blair soutient les forces de police « à 101 % ». Le 22 juillet 2005, le jeune Brésilien Jean-Charles de Menezes était tué de cinq balles dans la tête à la station Stockwell (au sud de Londres) lors d’un raid antiterroriste. Persuadés d’avoir affaire à un kamikaze prêt à se faire exploser dans le métro, les policiers avaient reçu le fameux ordre shoot to kill (“tirer pour tuer”). Le jeune homme ne portait pas de charge explosive et n’était associé ni de près ni de loin à aucune organisation terroriste.
Le 2 juin dernier, au petit matin, 250 policiers prenaient d’assaut une maison abritant une famille d’origine bangladaise à Forest Gate, dans l’est de Londres. Sûrs d’y trouver une fabrique d’armes chimiques et de dangereux islamistes, les officiers de Scotland Yard ouvraient le feu sur l’un des deux frères présents, le blessant à l’épaule. Neuf jours plus tard, les deux jeunes hommes étaient remis en liberté, sans la moindre charge contre eux, les enquêteurs n’ayant trouvé aucune trace d’armes chimiques à leur domicile.
Très médiatisés, ces deux incidents ont fait pleuvoir un torrent de critiques sur Scotland Yard et son patron, sir Ian Blair, accusés d’avoir la main lourde et la gâchette facile. S’il ne peut que regretter ces bavures, Tony Blair persiste et signe sur l’essentiel : il préfère l’excès de zèle à l’excès de prudence.