Cette sixième guerre israélo-arabe a été déclaré par un groupe armé d’obédience musulmane chiite : le Hezbollah (2). La particularité du Hezbollah est de constituer à la fois une organisation terroriste, un parti politique et un acteur régional.
Rappel historique
Le Hezbollah est a été créée dans les années 1982-1984 dans le sillage idéologique de la révolution islamique iranienne pour être un groupe terroriste à la solde des ayatollahs de Téhéran. Son objectif principal étant d’étendre la révolution iranienne, et de créer un Etat islamique au Liban, la milice a contribué à l’intensification du caractère communautaire de la guerre civile. Le Hezbollah bénéficie toujours de fond et d’armes provenant d’Iran, qui s’en sert en retour comme d’un agent perturbateur et un moyen diffusion de sa doctrine chiite radicale.
Aujourd’hui, le Hezbollah rassemble des membres de trois organisations pré-existantes : la Daawa Islamiya irakienne, les déçus du mouvement Amal et des militants des gangs palestiniens réfugiés au Liban. Curieusement, le Hezbollah a aussi réussi le tour de force de fédérer quelques partisans de la Gauche laïque libanaise ! De nombreux observateurs pensent que la milice adopte une ligne de conduite plus pragmatique que radicale dans le but de préparer la période de l’après-guerre.
Le Hezbollah s’est développé selon deux axes principaux :
– le militantisme contre Israël et pour la libération de la zone occupée au Sud Liban ;
– la construction et le soutien d’une action politique ;
– la défense de la ” cause palestinienne “.
Le Hezbollah comme organisation terroriste
Le Hezbollah compense son manque de force matérielle et militaire par une mobilisation idéologique des civils qu’il recrute principalement dans la banlieue sud de Beyrouth. Le culte du martyr, le ” Chahid ” propre aux organisations islamiques de l’époque fait son apparition, et marque bien l’héritage iranien du mouvement.
Il est tenu pour le responsable de nombreuses prises d’otages d’occidentaux, pour l’essentiel diplomates et journalistes, et de soldats israéliens dans les années 1980 et de l’orchestration d’attentats spectaculaires et meurtriers contre les forces occidentales présentes au Liban à cette époque. En 1983, il revendiquait l’attaque du baraquement des Marines stationnés à Beyrouth ayant fait 240 morts, ainsi que l’enlèvement de deux responsables américains dont le chef de station de la CIA dans la région. Au cours de la même année, le Hezbollah était soupçonné par la Maison Blanche d’être responsable de l’attentat de l’Ambassade Américaine à Beyrouth, un attentat qui a fait 63 morts.
A l’heure actuelle, le Hezbollah jouit d’une certaine popularité dans le monde musulman où l’on considère qu’il aurait contribué au retrait israélien du sud Liban en juin 2000. Sponsorisée par la République islamique d’Iran, milice pro-iranienne s’inspire du principe du velayat-e faqih, c’est-à-dire la primauté des théologiens (de Téhéran, naturellement) sur la communauté chiite, à présent controversé.
Entre 1990 et 2000, le Hezbollah renforce son alliance avec la Syrie et consolide son aile militaire. Il poursuit sa guérilla face à l’Etat hébreu dans un conflit qui dépasse largement le cadre du sud du Liban. La tension culmine par l’Opération Raisins de la colère menée par l’armée israélienne en avril 1996, qui se solde par la mort de 154 civils dont 107 au cours de la tragédie de Qana.
Le 17 mars 1992, une bombe a fait 30 morts à l’ambassade israélienne à Buenos Aires. Le 18 juin 1994, un attentat fait 87 morts dans un centre communautaire juif en Argentine. A l’époque, les autorités argentines ont accusé formellement l’Iran et le Hezbollah d’être impliqués, et plusieurs membres de la communauté chiite locale ont été arrêtés.
Si le Conseil de l’Union européenne inclut l’Officier supérieur des services de renseignements du Hezbollah sur sa liste de terroristes, cette classification ne concerne pas la branche civile du parti et sa branche armée située à l’intérieur du Liban. Sur le mouvement considéré dans son ensemble, le Conseil de l’Union a jusqu’ici jugé que le Hezbollah ne s’inscrivait pas parmi les mouvements terroristes, malgré plusieurs demandes anglo-saxonnes. Certains diplomates européens estiment que le dernier refus de mars 2005 de l’inscrire sur la liste des organisation terroristes était motivé par le fait que l’Union européenne ne souhaitait pas, en cette période d’instabilité au Liban, aggraver la situation !
Sur le plan international, si l’ONU ne classe pas le Hezbollah dans sa liste des organisations terroristes, le Conseil de sécurité appelle à son désarmement.
A la différence du Conseil de l’Union européenne, le Parlement européen a adopté en mars 2005 une résolution (par 473 voix pour et 33 contre) déclarative et non contraignante pour les Etats membres qualifiant le Hezbollah de terroriste.
Mal aimé et malmené par les Etats-Unis pour ses accointances avec le régime islamique de Téhéran, puis avec la Syrie baathiste de la dynastie Assad, pour ses attaques terroristes visant des représentants américains et ses prises d’otages de civils étrangers, le Hezbollah est couramment décrit par Washington comme étant uniquement un groupe terroriste dangereux qui rejettent toute tentative de dialogue.
Cependant, l’évolution historique de cette milice chiite en a aussi fait un acteur politique à part entière au Liban et sur la scène régionale. L’évolution de la nature du Hezbollah permet-elle aujourd’hui de le considérer comme un interlocuteur sur la scène politique moyen-orientale, ou encore sur le plan international ?
Le Hezbollah comme parti politique
La fin de la révolution iranienne a sans doute affaibli les relents chiite radicaux. Le Hezbollah se concentre depuis de plus en plus sur la ” résistance à Israël ” et relègue au second plan la caractéristique religieuse. Il a réussi à accroître sa popularité grâce aux ” actes de bravoure ” contre le voisin hébreu : les attaques se succèdent depuis contre les forces israéliennes et les zones civiles à portée de missile. C’est là que la Syrie a décidé de se servir de cette force interposée entre elle et Israël pour faire entendre ses intérêts et éviter un conflit frontal avec Israël.
Suite aux élections de mai-juin 2005, le Hezbollah obtient 11% des suffrages et le Bloc de la résistance et du développement, auquel il appartient, 27.4%. Le Hezbollah est actif principalement dans la vallée de la Bekaa, dans la banlieue sud de Beyrouth et au sud du Liban. Fort de ses 14 députés (sur 128), le Hezbollah rejoint pour la première fois le gouvernement en juillet 2005. Il obtient officiellement un portefeuille ministériel sur 24, celui de l’énergie attribué à Mohamed Fneich, ou trois officieusement puisque Faouzi Salouh et Trad Hamadé, respectivement nommés aux postes de ministre des affaires étrangères et du travail, sont considérés comme pro-Hezbollah. Le groupe est dirigé par le cheikh Hassan Nasrallah et est financé principalement par l’Iran et la Syrie, ainsi que par des fonds privés, essentiellement chiites.
Le Hezbollah comme acteur régional
A l’époque de sa création, les objectifs déclarés du parti étaient d’étendre la révolution islamique iranienne, et de créer un Etat islamique au Liban. Aujourd’hui, pour des raisons tactiques, il semble avoir temporairement renoncé à cet objectif. Dans les régions libanaises à prédominance chiite, il prend progressivement la place de son rival Amal, gangrené par la corruption, même s’il essaie d’annexer les anciens leaders de l’organisation Amal, comme l’actuel président de l’Assemblée nationale (Majliss al-Nouab), le chiite pro-Hezbollah Nabih Beri.
Après le retrait israélien de juin 2000, une controverse éclate au sujet du secteur dit des fermes de Chebaa. Ce territoire occupé par Israël au cours de la guerre des Six Jours est considéré comme syrien par l’ONU et Israël, mais libanais par le Liban et l’Iran. La Syrie se fait très discrète à ce sujet. Les cartes officielles de l’ONU indiquent que les fermes de Chebaa se trouvent en territoire syrien, mais suite au retrait israélien, la Syrie et le Liban déclarent que ce territoire est libanais. L’ONU ne décide pas du tracé des frontières, mais puisque le gouvernement syrien refuse de notifier à l’ONU la souveraineté du Liban sur ces territoires, l’ONU considère actuellement les fermes de Chebaa comme syriennes. En conséquence, l’ONU considère le retrait israélien achevé, en accord avec les termes de la résolution 425 (1978).
Néanmoins, si ” la libération historique ” (Nasrallah) de la zone occupée marque un tournant dans l’évolution du Hezbollah, elle ne signifie pas l’arrêt du combat contre Israël du fait de la position centrale de la cause palestinienne dans le discours et l’idéologie du groupe terroriste. En conséquence, de groupe de ” résistance armée ” le Hezbollah est passé au rang de véritable parti politique au rôle sociopolitique important au Liban et d’interlocuteur indispensable au niveau régionale, où, rejetant le processus de paix il continue de défendre les positions palestiniennes radicales.
Pour certains observateurs, la milice chiite a jusque là été un acteur incontournable tant au niveau national que régional à cause de l’importance de son poids et de son rôle dans le tissu sociopolitique libanais, les menaces qu’il fait peser sur Israël et son pragmatisme dans la compréhension du conflit confessionnel libanais. Cependant, le fait de lui avoir accordé trop d’importance dans le passé (voire le présent) déstabilise complètement le fragile équilibre politique du Liban.
Un Etat dans l’Etat
Le Hezbollah s’acquitte déjà de certaines fonctions de l’Etat dans les régions du Sud (infrastructure, règlement des conflits…) La création, l’armement et le financement du Hezbollah par l’Iran des ayatollahs, puis le ” noyautage ” ou en tout cas l’utilisation du groupe armé par la Syrie accentuent selon toute vraisemblance des influences perturbatrices étrangères au Liban.
D’autre part, si le Hezbollah a officiellement abandonné ses velléités de République Islamique et son caractère religieux radical, il n’en reste pas moins fortement constitué par le sentiment communautaire des chiites, même s’ils ne font pas preuve de rejet vis-à-vis des autres confessions. Le mettre en situation de domination à l’égard des autres acteurs nationaux serait rompre de fait l’équilibre confessionnel institutionnalisé au niveau politique par les accords de Taëf. Pour maintenir l’équilibre, il faudrait négocier avec des représentants des autres confessions. D’autant plus que la croissance démographique de la population chiite, supérieure à celles des autres communauté a déjà fait naître de multiples tensions et revendications.
L’Etat libanais est actuellement en quête de légitimité et de crédibilité. C’est sans doute le moment de lui donner une occasion de s’affirmer tant par rapport aux autres acteurs non gouvernementaux nationaux, mais aussi par rapports aux acteurs régionaux.
Notes
Note 1 : En référence à l’expansionnisme de l’Empire perse de la dynastie séfévide qui régna sur l’Iran jusqu’au 19ème siècle.
Note 2 : En arabe : le Parti de Dieu.
Masri Feki est réformiste égyptien et Président de l’Association Francophone d’Etudes du Moyen-Orient (AFEMO), il collabore dorénavant à Resiliencetv.