Depuis deux ans, je dirige une association de défense des libertés et des minorités au Moyen-Orient (MEP-AFEMO) qui constitue aujourd’hui un noyau de coordination entre les principaux mouvements réformistes au Moyen-Orient favorables à la démocratie et à la laïcité.
Non par altruisme, mais par instinct de survie, je défends tous ceux qui, au Moyen-Orient, paient de leur liberté et de leur vie pour faire valoir leurs droits, nos droits. Car il faut savoir que le système politique autoritaire qui ne laisse pas la possibilité de s’exprimer détruit chez l’individu la faculté de penser aussi certainement que celle d’agir.
Par mes écrits, je n’ai jamais prétendu représenter une opinion majoritaire. Si un point de vue a besoin d’être justifié, c’est bien qu’il ne fait pas l’unanimité. Mais dans la nature des choses, on ne naît point grand. Il en est de même pour les idées. Une idée née grande est une illusion, une fiction, un mythe. Et les mythes, de quelque nature soient-ils, s’inspirent du passé. Or, le passé n’a pas d’avenir. Un mythe ne peut donc être porteur d’un projet politique.
C’est pourtant au nom d’abstraites et mythiques spéculations que les dirigeants autocrates du Moyen-Orient gouvernent les masses qui leurs sont arbitrairement inféodés, légitiment leur omnipotence et justifient leurs plus sinistres entreprises lesquelles, le plus souvent, méconnaissent les pesanteurs de la réalité et n’arrivent à s’incarner qu’en la violentant.
Au delà de la dimension valorisante qu’il connaît, le mythe a une efficacité sociale de nature affective et passionnelle. Son rôle n’est pas de convaincre l’intelligence, mais de toucher la sensibilité. Il ne fait pas appel à la perspicacité de l’individu pensant mais aux passions sauvages d’esprits conditionnés. De façon substantielle, l’autoritarisme mythique est un compagnon agréable pour toute sorte de fanatisme.
Si j’ai choisi d’écrire en français, c’est pour donner au message de mes frères dans les idées une aura en Europe, le continent le plus inconditionnel des dictateurs arabes. Il faut que l’opinion publique européenne soit correctement informée. Ces étudiants qui, par dizaines de milliers, ont manifesté dans les grandes capitales européennes contre l’intervention militaire en Irak doivent comprendre pourquoi au Moyen-Orient leur réaction a blessé tant de jeunes de leur génération qui auraient aimé, eux aussi, pouvoir manifester publiquement leurs opinions sans être poursuivi par les services de sûreté de l’Etat policier et sa lourde artillerie de fabrication occidentale.
Ceux qui ne voient que du pétrole au Moyen-Orient doivent comprendre que dans cette région lointaine au désert aride et aux mœurs quelquefois exotiques vivent des femmes et des hommes de dignité, des êtres humains assoiffés de liberté, tout comme les Occidentaux sont assoiffés de pétrole. Je crierai aussi fort que possible pour faire entendre la voix de mes semblables et pour faire valoir nos droits. Le temps de l’indignation muette et du sentiment de l’horreur paralysante est désormais révolu.
Certains esprits conditionnés m’accusent d’être à la solde des ” ennemis naturels ” de la Nation fictive à laquelle il veulent que j’appartiennes. Ceux-là se trompent d’ennemis, mais ils se trompent surtout d’alliés. Et j’ajouterai que je suis prêt à m’allier avec Satan pour défendre les miens. Je reste persuadé que le diable est plus clément que le despote arabe et je ne m’excuserai jamais de défendre la vie et l’honneur de mes frères.
A nos voisins de l’Est qui ont toujours cherché à nous dominer et à nous assimiler, nous Egyptiens, je le dis très clairement : nous ne sommes pas arabes. Nous voulons bien les respecter mais chacun doit faire son propre chemin.
Certes, nous parlons la même langue, mais rien d’autre ne nous unit à eux. Et rien, absolument rien, ne justifie leurs ingérences dans les affaires égyptiennes. L’Egypte pan-arabe a commis l’impardonnable en sacrifiant ses enfants dans les guerres des autres (guerres israélo-arabes, guerre du Yémen). Aujourd’hui, il faut savoir dire ” non ” à ceux qui veulent dicter notre conduite. L’Egypte est une des composantes d’un Moyen-Orient hétérogène où les Arabes-musulmans-sunnites sont loin d’être majoritaires. Il est temps d’établir un nouveau pacte régional prenant en compte les intérêts et les aspirations de toutes les composantes du Moyen-Orient.
Carrefour de continents, le Moyen-Orient est la terre de grands brassages humains entre populations de langues, de religions et de traditions distinctes. De ce fait, la société moyen-orientale est une mosaïque fascinante de cultures et de croyances, d’histoires et de mémoires qui se croisent et qui se répondent, de pensées indissociables tant elles se doivent les unes aux autres. Cette société plurielle est composée de peuples différents qui se sont attachés au Moyen-Orient, au fil des siècles, par l’esprit et par le cœur aussi fortement que par les racines : nomades et citadins ; musulmans, chrétiens, juifs, druzes et autres croyants et non-croyants ; Arabes, Egyptiens, Israéliens, Kurdes, Iraniens, Turcs et autres groupes nationaux.
Tous ensemble et de manière égale, ils sont le Moyen-Orient. Ils participent tous à la grande aventure du monothéisme qui a fondé les règles d’une morale universelle et qui a ancré dans nos sociétés la perception du rôle central de la personne humaine.
Tous ces mélanges ne nous empêchent pas de distinguer de grands ensembles culturels et linguistiques relativement cohérents : l’ensemble turc, l’ensemble iranien, l’ensemble égyptien, l’ensemble arabe, l’ensemble kurde et l’ensemble hébreu. A l’intérieur de chacun de ces six ensembles subsiste un pluralisme culturel, religieux et national. Chacun d’entre eux a des prolongements géographiques qui dépassent le Moyen-Orient pour s’étendre à des régions souvent lointaines, habitées par des nations qui partagent nos cultures, nos langues, nos valeurs et qui ont été nourries au fil des siècles par la pensée monothéiste que nous incarnons. C’est ainsi que la turcophonie s’étend à de nombreux peuples du Caucase et d’Asie centrale.
Le domaine linguistique persan s’étend aux confins des Indes en passant par l’Afghanistan et le Tadjikistan. La langue arabe se prolonge dans toute l’Afrique du Nord et une partie de l’Afrique noire de même que dans ces pays ravagés par le torrent national-islamiste, les cultures locales ont des liens de parenté avec la culture égyptienne. Privé de toute structure étatique, le monde kurde s’étale principalement sur quatre Etats s’étendant ainsi du plateau mésopotamien jusqu’aux portes du Caucase. Finalement, la civilisation hébraïque – qui se limite aujourd’hui aux sensibles frontières du seul et minuscule Etat d’Israël – ne peut être dissociée de l’apport culturel et du soutien permanent que lui accordent les différentes communautés juives de diaspora.
Ma vision de l’avenir de ma région est celle d’un Moyen-Orient des Nations dans lequel chacune de ses composantes aurait sa place dans la dignité et l’indépendance. Je fais le rêve d’une communauté régionale de cœur et de culture, oeuvrant au renforcement des valeurs humaines inspirées de l’héritage monothéiste que nous incarnons. La relecture de notre passé doit être investie par les attentes et les préoccupations du temps présent. C’est pourquoi nous devons promouvoir les valeurs démocratiques et les Droits de l’homme qui constituent aujourd’hui la seule garantie d’une paix juste et durable au Moyen-Orient. Dans cette digne marche pour la liberté, seule une communauté moyen-orientale unie saura faire face aux nouveaux défis d’un monde ébranlé par l’anarchie et l’insécurité.
Au moment où les destins des peuples ne cessent de s’entrecroiser, un Moyen-Orient uni aura plus de commodité à s’affirmer à l’échelle internationale en s’ouvrant à ses voisins et en s’associant aux divers projets transnationaux qui se constituent à ses portes. Bien qu’ils ne fassent pas partie du Moyen-Orient, les peuples d’Afrique du Nord connaissent les mêmes crises identitaires et les mêmes problèmes sociaux et politiques rencontrés au Moyen-Orient. De ce point de vue, il est possible d’envisager un rapprochement entre courants réformistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord dans un esprit d’amitié et de respect mutuel.
Les Berbères sont des alliés potentiels pour le projet de Pacte du Moyen-Orient que je soutiens.
Il faut les encourager à affirmer leurs identités et à obtenir les droits civiques essentiels desquels ils ont été privés dans leurs propres pays durant de longues années de domination arabe. La corne africaine qui constitue un prolongement territorial et culturel naturel de notre région fait également partie de cette ceinture stratégique qui entoure et définit le Moyen-Orient. Les moyen-orientaux doivent renforcer les liens qu’ils ont avec l’ensemble des pays du bassin rouge. Finalement, l’effondrement de l’Union soviétique et l’indépendance de ses anciennes républiques du sud, peuplées en majorité de peuples turcophones et persanophones, ouvrent des perspectives de reconstitution d’un ensemble géographique plus vaste associant les peuples du Moyen-Orient à ceux d’Asie centrale par affinités linguistiques et culturelles.
La concrétisation du projet de Pacte du Moyen-Orient nécessite une campagne de ré-information au sujet du Moyen-Orient. C’est pourquoi je réponds à l’appel de Résilience TV, qui sous l’impulsion de mon ami Lucien-Samir Arezki Oulahbib, mène un travail indispensable de ré-information. Je remercie les lecteurs de Résilience TV pour leur fidélité et le soutien qu’ils accordent à une information professionnelle et correcte, et je les invite à joindre les rangs du Collectif TASC pour une Société civile plus active et plus forte à l’heure où les tentations stériles et destructrices de l’enfermement et de l’obscurantisme planent sur le Monde libre. Face à l’axe national-islamiste, je suis convaincu que nous saurons être alliés.