Et puis un jour, ce mec, il s’est mis à parler comme les gens de sa famille. Alors, toute la famille lui ouvrit grand les bras et se précipita pour l’embrasser. C’était à celui qui lui ferait le plus beau compliment. Mais hélas pour le mec, son langage courant, compris par tout le monde, ne plut pas du tout à ses profs, et surtout pas, aux autres cancres du lycée. Ces derniers crurent enfin comprendre ce qu’il racontait. Ils l’insultèrent de plus belle, en redoublant de chahut. Alors, les profs mirent le mec au piquet. Sadiques, ils laissaient les voyous le harceler, quand eux-mêmes ne les incitaient pas à le faire. Après un moment, le mec rejoignit le groupe familial. Là au moins, il était en sécurité. Bien sûr, dans sa famille, ce qu’il racontait, et la manière dont il le disait, ça n’impressionnait pas grand monde, et ça n’avait pas trop d’importance. Après tout, tout ce qu’il savait et tout ce qu’il disait, ça venait pour l’essentiel, de l’enseignement familial. Les choses en étaient là.
Et puis un jour, un nouveau candidat proviseur se présenta. Il dit aux parents, qu’il allait remettre les choses à leur place, comme par exemple, récompenser les bons élèves, renvoyer les mauvais profs, punir les voyous et plein d’autres choses du même style. Cela déplut fort aux voyous et à ceux qui profitaient de leurs méfaits. Mais malgré la violente cabbale qu’ils montèrent contre lui, la candidature du proviseur fut retenue.
Avant de prendre son poste, le proviseur profita de trois jours de congé. Les voyous et leurs complices se déchaînèrent en disant que le proviseur n’était qu’un profiteur comme les autres, la preuve, il prenait des vacances. Jusque là, rien d’étonnant. Le proviseur ne broncha pas et il rentra. A peine de retour, c’est la stupeur ! Les voyous, que le proviseur appelle “les racailles”, ont vu juste ! Elles ont tout à fait raison ! Voilà-t-y pas que le proviseur appelle “le cerveau” de la bande pour s’occuper des bonnes relations avec les racailles ? Une énorme majorité de parents commencent à rouspéter. Ces parents regrettent d’avoir fait confiance à ce type. Ils menacent de lui couper les moyens, dans la prochaine assemblée d’établissement.
Soudain, au beau milieu des récriminations, les parents et toute la famille du mec, éclatèrent de rire !
Idiots qu’ils étaient, ils n’avaient rien compris ! Voilà l’éternel premier de la classe qui rapplique à tire d’ailes, volant au secours de ses camarades les voyous. Enfin, il allait pouvoir se faire aimer par ses tortionnaires. Dans leur langage à eux, il criait : “Oui, ils ont raison ! Le proviseur est un profiteur ! Le proviseur est une ordure !”. Pas parce qu’il a trahi tout le monde en cherchant à recruter le cerveau de la bande, mais parce qu’il a profité de trois jours de vacance offerts par un ami. Ça c’est impardonnable.
Depuis ce jour, sa famille et ses amis ont construit une cage autour du mec. Sur les quatre côtés de la cage, il y a des écriteaux où l’on peut lire: “Ceci est un premier de la classe, modèle X-aa. “aa” étant le millésime de X, X n’étant pas une inconnue, mais au contraire la très connue école polytechnique, où le premier de la classe est exposé, comme modèle de premier de la classe de référence. On vient du monde entier, contempler ce spécimen unique. Tout ce qui se prétend “de référence” dans ce bas monde, vient se mesurer à cet étalon de référence. Le journal français “de référence”en tête, son homologue en hébreu, aussi, et l’on croit savoir que les Anglais et les Américains ont très envie d’en prendre quelques empreintes, même frauduleusement.
Enfin, maintenant cet exemplaire unique est à l’abri dans le musée construit spécialement pour lui. Ses adorateurs continueront de célébrer le culte qu’ils lui vouent, sur les radios où ils le pratiquaient déjà. Mais, c’est l’essentiel, après cette ultime rigolade, la famille est déjà retournée à ses préoccupations, et elles sont très sérieuses. Toute ressemblance avec des évènements et des personnages vrais, est volontaire.