Est-ce la faute d’un (petit) intellectuel alterislamiste comme M. Ramadan ? Même pas. Les principaux journaux parisiens ont toujours eu l’empressement nécessaire pour établir le lien et parler, comme le pouvoir algérien, de partis “kabyles” alors que leur programme s’est toujours voulu, résolument, généraliste. Par contre, lorsqu’il s’agit de souligner qu’au Maroc, il existe deux partis berbères qui se réclament tels et dont la somme des votes aux dernières élections a dépassé celle du parti islamiste en vogue, ces mêmes journaux en ont fait des tonnes pour s’inquiéter du score de celui-ci, sans dire un mot sur les premiers.
M. Ramadan peut en fait avoir une certaine écoute en France et au Royaume Uni (mais plus guère ailleurs…) parce qu’il est de plus en plus de bon ton, à droite comme à gauche, de simplifier, (tout en reprochant à G. W. Bush de le faire), d’accuser l’un, d’absoudre l’autre, sans chercher aucune circonstance atténuante.
Il avait par exemple été toujours vain d’émettre des réserves sur la volonté de paix de M.Arafat. Il a fallu attendre que ce dernier démette coup sur coup deux premiers ministres pour que l’esquisse d’une réflexion commença à poindre, et encore. Avant cette preuve, par neuf, la moindre critique était mal venue. M.Arafat était non seulement compris mais soutenu, voire encouragé. Comme ce fut le cas par exemple en décembre 2000 lorsque, avant d’aller à Camp David rejoindre Bill Clinton et Ehud Barak, M. Arafat fit escale à Paris pour avoir l’avis de Jacques Chirac qui lui conseilla de ne pas ratifier le dernier volet des accords d’Oslo tant qu’il n’aurait pas la garantie de voir retourner les exilés… en Israël.
Par ailleurs, souvenons-nous, M.Chirac n’avait pas levé le petit doigt pour soutenir le premier ministre palestinien dans ses efforts de paix, en l’invitant à Paris par exemple. Il aura fallu que le second premier ministre jette l’éponge pour que M.Chirac s’empresse de faire téléphoner M.de Villepin, on se demande pourquoi, comme si cette familiarité dans la volonté de tancer, un tantinet supérieur, (quasi féodal en fait), adouberait M.Arafat comme faiseur de paix alors que ce dernier avait toutes les cartes en main ou presque, avant que Ariel Sharon n’arrive au pouvoir, et bien avant qu’il ne soit question de “murs” (présents en Irlande du Nord avec le succès que l’on sait…), pour entamer une politique des petits pas qui a permis à tant de pays de détruire, à force de compromis et de sacrifices, les barrières de haine.
Ainsi, observons cette césure s’accroître dans le frêle tissu de la symbiose française en mal d’assise symbolique depuis qu’il devient de plus en plus évident, malgré les rodomontades et les chatoiements, qu’une certaine classe politico-intellectuelle préfère la fuite en avant dans un anti-américanisme et un anti-israélisme de plus en plus primaire, que d’observer lucidement, objectivement, la situation mondiale en général et celle de la France en particulier.
Qu’il faille critiquer les Américains et les Israéliens, c’est la moindre des choses entre alliés, (oui, alliés), mais de là à prendre pour argent comptant toutes les manips démagogiques des partisans du statu quo, de la Realpolitik, en Palestine comme ailleurs dans le monde, c’est jouer avec l’avenir et, déjà, avec le présent de la France. Car, en se dissociant ainsi, en montrant du doigt, ou, pis, en se taisant, les dirigeants français ne peuvent qu’encourager à l’ethnicisation des problématiques.
Qui aujourd’hui en France soutient le droit d’Israël à se défendre ? Exister, oui, d’accord, même s’il s’agit de plus en plus de le faire en toussant, du bout des lèvres, ou avec les moulinets habituels de sympathie clientéliste postchiraquienne, mais se défendre, alors, là, non, pas question, laissons ce dire aux juifs; et oui, l’implicite est là et, dans un silence assourdissant, il s’entend de plus en plus fort. M. Ramadan peut donc toujours exulter, il avait dit tout haut ce que M.Le Pen dit encore tout bas, quoiqu’un peu plus fort que le reste de la classe politico-médiatique. Souvenons-nous en effet que M. Ramadan sermonna les intellectuels “juifs” d’avoir perdu le sens de “l’universel”, comme si l’universel se conjuguerait uniquement à la mode islamiste; certains de ses confrères ne disent-ils pas à Lille, à Bruxelles, et ailleurs, qu’ils n’ont qu’une Constitution et qu’elle est écrite dans un seul livre?
Est-il pour autant étonnant, comme le laissa penser naguère M. Bernard-Henri Lévy, de voir les dits altermondialistes, Bové en tête, accueillir ce genre de prose ? Non, parce qu’il semblerait que dans le cadre du simplisme généralisé, les ennemis des ennemis deviennent des amis, et puis, s’il le faut, Paris vaut bien une génuflexion d’un type inédit, Garaudy a bien montré la voie, a bien hissé la bannière de la honte, que s’étaient empressés de faire flotter MM. Baudrillard, Balibar…en guise de voile. A qui le tour ?
Il semblerait que ces temps-ci beaucoup autour de Madame Royal (tel un Bianco) soient plutôt soucieux de considérer le Hamas comme un Parti démocratique, que de saisir les enjeux actuels qui dépassent le conflit israélo-palestinien pour se métamorphoser comme lutte frontale entre une anti-modernité qui se nourrit des excès et des emphases, et une néomodernité qui peine à se forger de nouveaux repères entre l’hyper individualisme accentué par un nihilisme ouaté (ce qui alimente dans ce cas un revival traditionaliste parce qu’il faut bien des valeurs) d’une part, et, d’autre part, la déliquescence corporatiste des Etats préférant faire couler le bateau plutôt que d’en soulager la soute ; jusqu’à espérer que le chevalier Bayrou en retardât l’échéance ou l’imaginaire fugace des lendemains qui déchantent.
Il serait peut-être temps de signaler que l’iceberg (qui n’est pas juif) arrive et qu’il ne s’agit pas de réchauffement climatique mais de glaciation, de simplification intellectuelle, malgré les signes avant-coureurs nucléaires et totalitaires de plus en plus probants en Iran et au Liban. Et en France même.
Mars 2003 actualisé en avril 2007