31 mars 2023

Pluralisme psychologique 1

Votre société vous offre un stage de management. Vous débarquez dans un groupe de Process communication, d’Ennéagramme, ou de MBTI. Selon le cas vous aurez une Personne Humaine à 9 éléments, un Type Fondamental à 4 dimensions, ou l’un des 6 Types de Personnalité. Vous consultez un magnétiseur, un sophrologue, un rebouteux, un bioénergéticien, un psychanalyste, un acupuncteur, un kinésiologue, pour une fatigue, une douleur, un problème dermatologique ou digestif. Pour les uns, votre cas sera dû à un défaut d’orgone, pour les autres, vous serez victime de vos archétypes, pour d’autres, vous refoulerez dans l’inconscient, pour d’autres encore, vous aurez un déséquilibre d’énergie vitale. En fait il y a une méthode par théorie, une théorie par école, des centaines d’écoles et des milliers de structures par école. Au total, une inénarrable pléthore, une luxuriante foison d’offres théoriques et thérapeutiques toutes différentes et concurrentes, dans le domaine du soutien psychologique.

Qu’en pense le public ?
Je voudrais examiner ici la première partie d’une opinion dont on m’a récemment gratifiée, à mon grand plaisir, qui se présente à peu près ainsi.

En ce qui concerne les théories psychologiques, « les questions psychologiques sont indescriptiblement complexes, tellement qu’aucune théorie à elle seule ne peut prétendre détenir le tout de la vérité. De ce fait, il est heureux que de nombreuses théories coexistent, car chaque école contribue à une part de la vérité, de sorte que plus il y en a, plus finalement la vérité est approchée ».

La deuxième partie de cette opinion concerne plus directement les psychothérapies, et sera examinée dans le deuxième volet de cette petite contribution (Pluralisme psychologique 2).

Ce témoignage est généreux, prudent, et ouvert. Il est d’ailleurs partagé par de nombreuses personnes, probablement même la majeure partie de nos concitoyens les plus avisés. Il mérite donc l’examen le plus attentif, et la réponse la plus soignée.

1 – PLURALISME ET VIE QUOTIDIENNE
Les questions psychologiques sont unanimement considérées, par le grand public, comme particulièrement ardues, voire insolubles, dans leur nature même. Il semble qu’il y ait dans l’idée du public une césure, un abîme net entre d’une part la psychologie qui apparaît indéchiffrable, et d’autre part certains autres problèmes pourtant très difficiles aussi qui apparaissent néanmoins, dans l’idée des gens, comme infiniment plus faciles à aborder, par exemple la physique, la génétique ou l’électronique. Le public témoigne majoritairement et sans honte « Je ne comprends rien en physique », mais tout différemment « ON ne comprend rien à la psychologie ».
À mon avis, deux explications principales permettent d’éclairer que la psychologie, comme objet de connaissance, soit jugée toute à part des autres connaissances.

La première – et la plus grave -, c’est qu’elle n’est pas enseignée. Vous pouvez faire toutes vos études de l’école à l’université sans jamais entendre un seul cours de psycho. Aucun bachelier n’a jamais eu 1 heure de psycho. Aucun ingénieur, aucun docteur en biologie ou en physique n’a jamais été confronté au moindre enseignement de psycho. L’Éducation Nationale, faisant barrage à la diffusion des résultats de la recherche en psychologie, fabrique le terreau idéal de la pensée que la psychologie est au mieux mystérieuse, au pire incompréhensible, et dans tous les cas, affaire de simples goûts, voire de gou…rous !

Car en effet, contrairement au silence radio total de l’enseignement secondaire et supérieur, la psychologie est surabondamment représentée dans nos vies quotidiennes.

Premièrement, la moindre librairie ou bibliothèque dispose d’un copieux rayon « psychologie » où l’on trouve pêle-mêle le développement personnel, les neurosciences cognitives, la psychanalyse, l’AT, la dépression, le magnétisme, la PNL. Quelle différence pourrait honnêtement y voir tout citoyen le mieux informé soit-il, sans le moindre rudiment de formation scolaire à ce fourmillement de notions abstraites?

Deuxièmement, l’offre psychothérapeutique n’a jamais été aussi foisonnante. Les thérapeutes en tous genres affichent fièrement leur plaque dorée à chaque coin de rue, et le public leur fait honneur. Qui d’entre nous ne connaît pas un proche ayant fréquenté un « psy », psychologue, psychiatre, psychanalyste, psychothérapeute, psychomotricien… quelle différence ? Sans carte pour parcourir cet immense territoire, il est plus que fondé de penser comme on pense, que toutes ces approches sont assez impénétrables, mais peut-être se valent globalement, et éventuellement correspondent chacune à certains types de patients.

Mais il y a encore une deuxième cause au fait que les gens dressent une frontière infranchissable entre la nature des connaissances psychologiques, et celle des autres connaissances. C’est que les gens sont bien prêts à avouer qu’ils n’ont jamais réfléchi une minute au schéma d’un circuit intégré, à une équation du 3ème degré ou à un caryotype, mais voilà, tout être humain dans sa vie a eu de nombreuses fois la sensation d’éprouver clairement en lui-même comme surtout en autrui, une perception, un sentiment, un raisonnement, un acte de volonté, une croyance. Bref, la majeure partie des gens se croit psychologue autant qu’on peut l’être.

Or toutes ces idées intuitives ont une petite faiblesse : n’ayant d’autre base soit qu’un bon sens tout relatif, soit l’adhésion à une école particulière, elle se heurtent à la moindre contradiction insoluble d’une personne qui aura une conception différente. Résultat, chacun éprouve que sa théorie psychologique n’est pas très fermement assurée, pas universelle, et peut se voir aisément contredite par des gens qui ne sont tout simplement pas d’accord. De là à généraliser à l’ensemble de la psychologie comme un tout, il n’y a qu’un pas aisément, et généralement, franchi. Cette deuxième circonstance contribue significativement à ce que la psychologie soit perçue comme le terrain glissant et polémique s’il en est.

Bien légitime dans l’état actuel de l’enseignement psychologique et notre sentiment que nos psychologies intimes sont tout à fait relatives, ce témoignage présente pourtant quelques problèmes. Il pourrait néanmoins être mieux fondé, et nous allons voir pourquoi. Le pluralisme des théories est-il réellement la meilleure façon d’approcher la vérité ? Autrement dit, y a-t-il une meilleure manière d’apprendre quelque chose sur la psychologie que de laisser se développer moult écoles privées différentes, dans la « tolérance » la plus libérale ?

2 – PLURALISME ET HISTOIRE
Une première approche, c’est de comparer un domaine de connaissance qui apparaît si flou, « la psychologie », avec des domaines qui apparaissent beaucoup moins vagues, et de se demander à quoi tient la différence. Prenons l’électronique ou la génétique, qui ne sont pas non plus des matières faciles, mais dont tout le monde est d’accord qu’il « suffit » de les apprendre pour en savoir plus, contrairement à la psychologie, qui semble indéterminée par essence.
La différence de loin la plus déterminante, c’est que tout le monde a l’intuition qu’il n’y a sur Terre qu’une seule théorie électronique et qu’une seule théorie génétique, acceptées unanimement sur toute la planète. On peut parler de génétique ou d’électronique à Paris, à New-York, à Bombay ou à Johannesbourg, on parle bien de la même chose. Or, sur ce point, l’intuition populaire est parfaitement exacte. La recherche en électronique et en génétique est effectivement mondialisée, tous les spécialistes du monde entier avancent ensemble sur les mêmes concepts, c’est d’ailleurs pour ça qu’ils avancent.
Dans ces 2 domaines comme dans tant d’autres, il est donc faux de supposer que le pluralisme des théories est un avantage. Bien au contraire, ces disciplines ont conquis leur statut de savoir, et le privilège d’être enseignées de façon identique dans toutes les écoles et universités du monde, précisément en raison du fait qu’elles sont parvenues à un accord mondial de tous les spécialistes internationaux, au moins sur un petit noyau dur de connaissances certaines (celles justement qu’on apprend à l’école).
Il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a ne serait-ce que 50 ans, ces deux disciplines étaient écartelées en dizaines de théories différentes, aucune ne l’emportant sur l’autre, toutes se disputant âprement. Le pluralisme y régnait encore. Aucun consensus n’ayant encore émergé, ces deux matières n’étaient justement pas enseignées à l’université et encore moins à l’école.

Bien au contraire de l’intuition publique, la pluralité des théories n’est donc nullement le signe irréfutable d’une difficulté intrinsèque d’une discipline : avec l’établissement de la recherche internationale, le mystère des théories historiquement les plus ardues s’est résorbé plus vite en 1 siècle qu’en 20, depuis Aristote.

Bien au contraire de l’intuition publique, la pluralité des théories n’est pas le signe de la vitalité d’une discipline, ou qu’elle doit au total, au moins cerner un peu la vérité. C’est même tout l’inverse. Le pluralisme est le signe historique qu’un domaine n’a pas encore atteint sa maturité conceptuelle, et n’a encore produit aucun savoir. La vitalité d’une discipline se mesure au nombre de chercheurs internationaux étant d’accord sur un noyau dur central, celui précisément qui est enseigné à nos enfants et à nos jeunes.

3 – PLURALISME ET MÉTHODE
La deuxième approche pour montrer en quoi notre digne témoignage pourrait être mieux fondé, c’est de se renseigner un peu plus en détail sur la façon dont la psychologie elle-même est pratiquée de nos jours.

La raison principale pour laquelle les gens trouvent la psychologie infiniment plus complexe que les autres domaines du savoir, je ne l’ai pas encore dite. Et bien c’est le fait qu’extrêmement peu de nos concitoyens ont la moindre idée qu’il existe plusieurs façons très différentes de faire de la psychologie de nos jours, et que ce domaine n’est pas du tout, en réalité, cette nébuleuse floue et tentaculaire dont en donnent l’image les librairies, les bibliothèques, les médias et les discussions amicales. Je dirai même qu’il est possible de se faire aisément une idée assez claire et simple de l’état contemporain de la psychologie. En effet, en pratique, il n’existe que trois psychologies !

En l’absence d’enseignement à l’école, les gens acquièrent une idée de la psychologie qui correspond à l’offre psychologique extra-scolaire majoritaire, rappelée ci-dessus, à laquelle ils sont confrontés dans leur vie quotidienne. Cette idée n’est pas fausse, dans les grandes lignes. Elle correspond même presque exactement à la première façon de faire de la psychologie actuellement. Je l’appellerai la première approche. Quelle est donc cette première catégorie d’investigations psychologiques ?

Il s’agit de l’immense ensemble d’initiatives individuelles (des particuliers comme vous et moi) et de structures privées (associations et entreprises). Ces initiatives individuelles ou structurelles sont à l’origine de 99% de tout ce que l’honnête homme connaît de la psychologie. Il s’agit des livres pratiques, des stages ou des consultations en développement personnel, management, thérapie, coaching. Tous ces produits partagent trois caractéristiques principales très importantes. La première, c’est leur méthode de production : tous ont été conçus ou développés soit par de fortes personnalités ayant réussi à diffuser leurs idées, soit par des individus affiliés à une école de pensée diffusant une théorie et une pratique qui lui est propre. La deuxième, c’est qu’ils abordent tous de front ce qui nous intéresse directement et énormément dans nos vies, la peur, la joie, la volonté, la santé, le moral, l’intérêt, le désintérêt, la communication, l’amour, l’amitié, la haine, la peur, les actions, les motivations. La troisième, c’est qu’aucune des théories ni des pratiques liées à ces offres n’est enseignée ni à l’école ni à l’université, dans aucun pays du monde.

Il est donc possible maintenant de donner une explication de ce que rapportait notre témoignage du début : la pluralité des productions psychologiques, qui est un fait indéniable, s’explique par la méthode de production de ces connaissances. Étant d’origine privée (individuelles ou collectives), elles sont nécessairement toutes différentes, disparates, et chacune cloisonnée soit à l’isolement, soit dans les strictes limites que lui autorise son école. Un manager qui a réussi publie un livre, fait succès, et voilà une nouvelle idée diffusée au public. Un thérapeute qui n’est pas d’accord avec son école en est exclu, crée la sienne, et voilà une nouvelle structure ouverte au public. Dans le domaine privé, la moindre nouvelle idée donne lieu à la naissance d’un nouveau livre, d’une nouvelle association ou d’une nouvelle société, au final toutes rivales. En quelques décennies, l’offre intellectuelle et pragmatique est donc, indéniablement, devenue pléthorique.

Le pluralisme que prônait notre témoignage tolérant pose donc quelques problèmes ardus. Ces théories et pratiques s’attaquent directement aux questions qui nous fascinent tous, mais apportent chacune une réponse incompatible avec la voisine, et qui plus est, rivale. Faut-il vraiment s’en réjouir ?
Par ailleurs, c’est en raison même de leur infinie disparité qu’aucune de ces idées si passionnantes et fondamentales n’est enseignée à nos enfants à l’école, ni même à nos jeunes dans les études supérieures, car dans cet océan de belles idées, il est absolument impossible de trouver un critère de choix minimum. Faut-il vraiment s’en réjouir ?

Mais il se trouve qu’il existe deux autres façons de pratiquer la psychologie de nos jours. Examinons la première. Celle-ci est assez confidentielle. Seuls les pratiquants eux-mêmes et leurs proches immédiats connaissent sa nature. Il s’agit de la recherche internationale en psychologie, effectuée partout dans le monde dans les universités, et en France par exemple, aussi au CNRS. Par opposition avec les méthodes psychologiques précédentes, qui sont d’origine privée, celles-ci sont d’origine publique : la recherche en psychologie, dans tous les pays, est effectuée par des salariés payés par l’état, ce sont les chercheurs.

Le chercheur ne produit pas les connaissances de la même manière que le psychologue individuel ou associatif, en écrivant un livre pour le public vendu en librairie, ou en ouvrant une association. Pour faire passer une idée ou un résultat de travail, le chercheur doit le rédiger en respectant des règles internationales très spéciales, et le soumettre à une revue de recherche interne, non accessible au public. Sa publication sera ensuite soumise à trois critiques impitoyables. Celles de la revue de spécialistes en question, puis s’il a passé cet écueil, celle de spécialistes externes, concurrents, anonymes et du monde entier, et pour finir, si par miracle sa publication est acceptée, elle subira alors la dernière critique, la pire de toutes, celle de tous les autres spécialistes mondiaux qui la liront dans la revue, et soumettront à leur tour une publication pour la critiquer. L’essence de la recherche est la critique, et c’est la seule institution humaine à l’avoir instituée à son fondement même.

Cette façon originale de procéder, qui a été fixée il y a 50 ans, a eu un résultat tout à fait remarquable. Toutes les idées qui ont été traitées selon cette procédure ont été férocement sélectionnées. Il en est résulté qu’avec le temps, un tout petit nombre d’idées a fini par être accepté, de l’avis de tous les spécialistes mondiaux, comme étant les moins mauvaises possibles actuellement. De ce fait, on a statué que ce tout petit nombre d’hypothèses accédaient au statut temporaire de « savoir », de patrimoine intellectuel commun de l’humanité. C’est ainsi que la génétique ou l’électronique se sont constituées. En conséquence de ce consensus mondial, ces rares éléments de théorie sélectionnés par la critique internationale ont été admis à être enseignés à nos enfants et à nos jeunes. Et voilà les matières qu’on apprend à l’école et à l’université. Maths, physique, ou biologie, l’intégralité du petit corpus de connaissances dispensées du CP au Master a la caractéristique d’être absolument consensuelle auprès de tous les spécialistes du monde, après critique, et c’est pour ça à la fois qu’il est si petit en volume, par rapport aux myriades d’autres idées qui sont produites, et qu’il est enseigné à notre jeunesse.

Ce que le public ne connaît pas bien, c’est que la psychologie a bénéficié, elle aussi, des procédures de la recherche. Contrairement à cette idée générale d’une jungle de théories psychologiques diverses et variées dont seule la vertigineuse variété promet une vérité globale, il existe en fait une modeste psychologie critiquée et unifiée, qui a passé et passe continuellement les obstacles de la vérification impartiale, bref, qui constitue bel et bien un savoir, au même titre que la génétique. C’est justement la psychologie que nos jeunes apprennent en arrivant à la fac, alors qu’on ne leur apprend aucunes de celles qui sont directement diffusées au grand public par les instances privées, qui n’ont jamais été critiquées.

La psychologie pratiquée à l’université, globalement inconnue du public, bénéficie pourtant du même degré de certitude que n’importe quelle branche de la recherche, comme la physique ou la géologie, du simple fait qu’elle ait été critiquée. Elle se subdivise en plusieurs spécialisations. La psychologie cognitive étudie les causes organiques de nos perceptions, de nos mouvements et de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’émotion », ou aussi nos stratégies de résolution de problèmes. La psychologie sociale modélise statistiquement nos représentations culturelles comme le travail ou la famille. La psychologie différentielle développe les tests d’aptitude, et trouve de nombreuses applications en école et en entreprise.

Faisons le point. Il existe donc une première approche de la psychologie, la psychologie privée, pratiquement la seule à être connue du public. Elle foisonne de théories incompatibles dont le cloisonnement explique qu’aucune n’ait jamais été critiquée, elle n’est enseignée à aucun niveau du CP à la fac, mais en revanche, elle traite directement de nos préoccupations les plus chères, nos sentiments, nos motivations et nos actes. Il existe également une deuxième approche de la psychologie, quasiment inconnue du public, celle de la recherche internationale, pratiquée par les chercheurs fonctionnaires dans le monde entier, critiquée et dûment unifiée. Elle est enseignée dans toutes les facs du monde, de la même façon et avec le même degré de rigueur que toute autre discipline universitaire. Mais voilà un petit défaut qu’elle présente, elle ne s’intéresse pas du tout à ce qu’on entend intuitivement par « psychologie » : aucun chercheur en psychologie n’a la moindre notion de ce qu’est une idée, une volonté, une peur, une joie, l’amour ou la faim. C’est bien dommage.

Compte tenu de tous ces éléments, il est donc possible maintenant de donner le commentaire ultime à notre témoignage du début. Le pluralisme tolérant que soutiennent nos concitoyens les plus modérés, a pour fondement majeur une méconnaissance de la deuxième approche de la psychologie, celle de la recherche, statistiquement inconnue du public, qui elle, est tout autant certaine qu’elle n’est justement pas pluraliste, mais impitoyablement sélectionnée. Toutefois, la recherche actuelle ne répond pas à ce qu’on entend généralement par « psychologie », selon le simple bon sens.

Autrement dit à l’heure actuelle, soit on choisit des psychologies privées parmi des centaines, non critiquées et non enseignées, mais qui traitent de ce qui nous intéresse, notre psychologie de tous les jours, soit on adopte la psychologie de la recherche, critiquée et unifiée mondialement, enseignée à nos jeunes et pratiquée sur nos impôts par nos fonctionnaires chercheurs, mais alors on renonce à savoir jamais ce qu’on ressent dans notre vie.

Alors, si vous avez suivi mon argumentation jusqu’ici, il vous vient soudain un souvenir, c’est que j’avais annoncé une troisième voie à la psychologie.

Imaginez une psychologie merveilleuse qui associe miraculeusement les avantages des deux approches précédentes, sans leurs inconvénients. Comme la recherche, elle avancerait par publications critiques des spécialistes internationaux, possèderait un corpus unifié, serait donc enseigné dans les écoles et les universités mondiales. Comme les initiatives privées, elle s’attaquerait directement à nos questions réelles de nos vies réelles : pourquoi suis-je triste, gai, fatigué, amoureux, en colère ?

Et bien ce que pratiquement nulle personne, privée ou chercheur, ne sait hélas aujourd’hui, c’est que cette psychologie fantastique existe. Vers 1900, l’Europe et les États-Unis se livraient à un feu d’artifice de commentaires critiques flamboyants, du meilleur niveau auquel la recherche internationale eût jamais abouti, sur la nature des sentiments, des idées, des volontés. On commençait à appeler ça la « Psychologie Dynamique ». Pierre Janet critiquait William James, Binet s’affrontait à Galton. Les idées progressaient, s’unifiaient, les labos se développaient, les enseignements se préparaient. Et d’un seul coup, plus rien. Vers 1940, la psychologie dynamique, celles des sentiments, des volontés, des actions, meurt dans l’oeuf. Les chercheurs en psychologie se reconvertissent aux statistiques ou à la physiologie, et abandonnent ces questions aux écoles privées, qui explosent en nombre et développent alors leur hégémonie sur l’opinion publique.

Autrement dit, cette troisième façon de faire de la psychologie, la psychologie dynamique, n’est plus hélas qu’historique. Ça explique bien légitimement qu’elle soit inconnue, y compris des spécialistes, et qu’on ne soupçonne pas un instant qu’il soit possible de démêler rigoureusement quelques premiers rudiments bien assurés sur ces questions complexes, au sein de la recherche et de l’enseignement publiques. Mais si personne ne sait plus le faire aujourd’hui, ça n’était pas le cas il y a 100 ans.

CONCLUSION
Du point de vue des théories psychologiques, notre témoignage prudent ne semble donc hélas pas bien fondé. Le pluralisme des approches ne trahit nullement une difficulté particulière d’une théorie, mais simplement son immaturité conceptuelle. Le pluralisme des approches ne garantit pas plus la vérité globale, même partielle. Il est bien plus synonyme d’obscurantisme que de tolérance. Au contraire l’épistémologie des savoirs atteste que c’est quand ce pluralisme se réduit qu’on parvient à un accord des chercheurs spécialistes, que la discipline arrive à maturité, et peut faire son entrée dans l’enseignement. Enfin, cette opinion indulgente et ouverte semble malheureusement reposer sur une connaissance très lacunaire de la réalité de la pratique psychologique. Si la plupart des gens a entendu parler des doctrines privées, de leurs livres, stages de management ou consultations thérapiques, où le pluralisme règne effectivement en maître, il n’est pas grand monde pour savoir qu’il existe aussi une recherche internationale en psychologie, par des chercheurs, où c’est pour la raison même qu’il n’y a pas de pluralisme du tout qu’elle est enseignée à la fac. Même ceux qui le savent ne connaissent pas la différence méthodologique ni institutionnelle entre cette pratique et la pratique privée, et confondent les deux types de connaissances. Enfin, le pluralisme psychologique était déjà en passe de se réduire, vers 1900, quand existait encore l’approche psychologique la plus confidentielle de toutes actuellement, la psychologie dynamique pratiquée dans la recherche, dont Pierre Janet était le fer de lance. Dans ce cadre, une première synthèse critique commençait à se faire jour sur ce qu’est un sentiment, une conduite, une volonté. Il est tout à fait urgent que cette première phase historique d’élucidation du « mystère » psychologique soit réactualisée par la critique au sein de la recherche, et diffusée au public et à l’enseignement. Quelques signes récents sont encourageants et il n’est pas exclu que cet heureux événement se produise prochainement.

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