30 mars 2023

La fable du vieux pédophile célèbre

Lu sur Stephane.info : "Alors qu’il se rendait au Festival du film de Zurich, Romand Polanski a été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt international, pour le viol d’une enfant de 13 ans. Il se rendait en Suisse pour y recevoir, ironie de l’histoire, un hommage appuyé pour l’ensemble de son oeuvre…

Les organisateurs du Festival du film de Zurich lui enverront-ils sa statuette en prison? Ce n’est pas sûr – non pas qu’ils aient changé d’avis, bien au contraire. Mais le temps qu’il se décident, le réalisateur franco-polonais pourrait être déjà libéré sous caution (et probablement à nouveau en fuite) ou sur un vol en destination des Etats-Unis.

Le quotidien suisse Le Temps a donné hier le pouls médiatique de l’affaire en consacrant pas moins de deuxarticles, une rétrospective, une revue de presse et un débat en ligne sur cette histoire, et ce le lendemain d’une journée de votation pourtant chargée. Aujourd’hui, il y consacre encore sa une, un éditorial, et pas moins de six articles (1, 2, 3, 4, 5, 6)! Il ne se démarque en rien de ses confrères. Une véritable orgie médiatique. Cette couverture démesurée de l’arrestation de M. Polanski dépasse, bien sûr, la simple couverture de l’actualité. Elle donne la mesure de l’onde de choc parcourant la classe intellectuelle, artistique et journalistique européenne au lendemain de l’incarcération du cinéaste.

L’explication est triviale, banale. En touchant à Roman Polanski, les autorités helvétiques ont osé s’en prendre à un réalisateur encensé par le monde entier.

On a touché au Sacré.

Peu d’éditorialistes admettront la chose de façon aussi ouverte, naturellement. Les journalistes préféreront exprimer leur dégoût et leur solidarité de classe de façon plus indirecte, en mettant l’accent sur l’affaire elle-même ("il devrait y avoir prescription") et sur l’honneur du réalisateur, tant de fois primé, adulé par la profession. D’autres se contentent de répertorier les marques d’indignation de leurs confrères, dans un bel exemple de circularité. Autant de flèches qui manquent leur cible.

Certes, dans le milieu du cinéma, Roman Polanski est une pointure. Il a réalisé 20 films, a écrit 26 scénarios, a joué les producteurs à neuf reprises. Rosemary’s Baby, Chinatown, Tess, ou Oliver Twist sont autant de succès auprès des critiques ou du public, parfois les deux. A 76 ans, il a amassé un Ours d’Or, une Palme d’Or, un Oscar et deux Césars. Comme l’explique Jean-Claude Vantroyen,

"Dans ses films, Polanski explore le mal, sous tous ses aspects. Innocence et enfance bafouées, cauchemars, solitude, perte du sens social, ambiances troubles, aliénation, paranoïa, diabolisme même. C’est une aura sombre qui entoure la production de Polanski. Comme elle a enveloppé une grande partie de sa vie. «Mes films sont l’expression de mes désirs du moment», dit Roman dans sa bio Polanski par Polanski. On se demande ce qu’il raconterait aujourd’hui, à Zurich, dans l’angoisse d’être extradé vers les Etats-Unis, dans l’interrogation aussi de se demander pourquoi."

Pauvre innocent frappé par le destin! Ces innombrables portraits mettant en avant la carrière du cinéaste sonnent faux dans ce qui est avant tout non une affaire de cinéma, mais de pédophilie, ou à la rigueur d’entraide judiciaire. Leurs auteurs se défendent évidemment de sous-entendre qu’un type célèbre et adulé devrait échapper à la prison; mais pourtant, cette lancinante mélodie imprègne chacune de leur parole. Ils le pensent mais n’osent le dire. Alors, ils reviennent encore et encore sur la perte que représenterait M. Polanski pour le septième art et l’indignation des uns et des autres, avec toujours les mêmes sous-entendus.

Pourtant, le milieu – et spécialement le milieu du spectacle – abonde de gens doués et très compétents sur le plan professionnel, mais s’avérant dépravés et abjects dans leur vie privée. En quoi cela constitue-t-il un alibi?

S’il y avait un motif pour lequel s’indigner, c’est bien la propension des artistes à couvrir l’un des leurs pour des faits accablants.

A quoi pensait notre homme, ces jours de 1977, lorsqu’il a vu Samantha Gailey chez sa mère? Lorsqu’il l’a invité à plusieurs reprises pour faire des photographies avant de la recevoir à nouveau, dans le palace de Jack Nicholson, avec son plan en tête? Lorsqu’il l’a saoulée au champagne, droguée avec des sédatifs, et violée par tous les orifices? Un journaliste, dont on s’inquiète pour la vie sexuelle, explique qu’ils ont juste "fait l’amour"… Elle avait 13 ans, Roman Polanski 43. Devant les juges, l’homme soutient qu’elle était consentante. On lui explique que sa thèse ne tient pas debout, que les peines pourraient être moins sévères s’il avait l’honnêteté de plaider coupable. Après 47 jours de prison, Roman Polanski change sa ligne de défense. Sa nouvelle attitude lui vaut une autorisation de sortie. Mais le réalisateur a un plan en tête. Ce revirement n’est pas destiné à attendrir une peine, mais à fuir. Il met son répit à profit pour quitter le territoire américain et entame une cavale qui durera plus de trente ans.

Contrairement aux idées répandues par la presse, Roman Polanski n’a jamais oublié. Toute sa carrière a été bâtie avec la hantise de se faire rattraper par la justice. Ses films étaient pour la plupart tournés en Anglais, mais hors de la sphère d’influence américaine. Toujours en déplacement, choisissant soigneusement ses lieux de résidence en fonction des accords d’extradition, il pouvait compter sur les indiscrétions et les confidences de partisans locaux lorsque les demandes américaine, suivant la lente voie diplomatique, risquaient de resserrer l’étau. Il s’est seulement cru en sécurité il y a peu à la suite d’un recours sur son procès, au point de s’exposer en Suisse. Le reste couvre les pages des journaux. Mais le plus gros mensonge est sans doute de soutenir que sa victime de l’époque, Samantha Gailey, lui a pardonné. Elle n’a jamais tenu de tels propos. La femme s’est seulement reconstruite et ferait tout, jusqu’à abandonner sa plainte, pour cesser de vivre sous les projecteurs à cause de cette histoire abjecte. Ce n’est pas la même chose. Jamais elle n’a dit qu’elle pardonnait, ce qui n’empêche pas les médias de l’affirmer plusieurs fois par jour. Mais il faut les comprendre: Roman Polanski est un grand metteur en scène.

Tous sont derrière lui, y compris en Suisse. Jusqu’à Christine Bussat, de l’association Marche Blanche contre la pédophilie, qui a pourtant réussi à faire passer il y a peu une initiative fédérale pour inscrire au code pénal helvétique… l’imprescriptibilité pour les actes pédophiles! On croit rêver. Sans doute la présidente de l’association visait-elle les prêtres vicelards plutôt que les réalisateurs primés?

Certes, l’arrestation de M. Polanski manque d’élégance; mais on n’est pas dans un film romantique. Certes, les faits sont anciens, et selon bien des systèmes juridiques, il y aurait prescription. Mais il n’appartient pas à la classe médiatique ou aux politiciens français d’en juger. Cela relève de la justice américaine et c’est elle qui en décidera, lorsque M. Polanski aura finalement été ramené sur le territoire américain pour se rendre à la fin de son procès.

Comment tant de gens peuvent-ils venir défendre un individu responsable d’actes aussi abominables? Il n’y a que deux possibilités, non exclusives. Peut-être que ce genre d’attitude est banal dans la profession, au point que beaucoup de signataires se sentent exposés si l’affaire Polanski se terminait mal pour son auteur. On pense par exemple à Frédéric Mitterrand, au premier rang des indignés, lui-même autorepenti de ses coucheries avec des "garçons" en Thaïlande dans un film de 2005 (La Mauvaise Vie), ou à Daniel Cohn-Bendit… Mais peut-être assistons-nous aussi à la démonstration finale que les gens du show-business ne s’estiment pas concernés par des lois conçues à l’attention du commun des mortels, et se sentent mortellement offensés lorsque les actes de leurs pairs les ramènent sur terre.

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