Lu sur
http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2009/10/12/1068-savoir-a-quoi-ressemblait-samantha
Voir également : http://tv.lepost.fr/2009/09/29/1718102_polanski-le-calvaire-de-samantha-geimer-victime-de-polanski_1_0_1.html
L’émotion suscitée par l’affaire Polanski n’a rien d’anecdotique. Dans un pays chauffé à blanc depuis de longues années par l’hystérie sécuritaire, où les figures du violeur et du pédophile sont devenues l’incarnation de la dernière monstruosité, au fil d’une entreprise de stigmatisation dont l’actuel chef de l’Etat s’est fait une spécialité, était-il surprenant que les réactions de soutien au cinéaste entretiennent le soupçon d’une justice de classe?
Dans la perception de ce qui fut initialement présenté par les médias français comme une "affaire de moeurs", l’idée que l’on se fait de l’apparence physique du protagoniste féminin a joué un rôle décisif. Comme l’exprime sans ambages le cinéaste Costa-Gavras sur Europe 1 dès le 28 septembre, «y’a pas de viol»: «vous avez vu les photos, elle fait 25 (ans)». Alain Finkielkraut, sur France-Inter le 9 octobre, évoque l’oeuvre du photographe David Hamilton et affirme que la victime «n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant au moment des faits, c’était une adolescente qui posait nue pour Vogue hommes».
Pour les proches de Polanski, la vision d’une Samantha Gailey (Geimer) sortie de l’enfance a pu être alimentée par l’iconographie du documentaire de Marina Zenovich, Roman Polanski: Wanted and Desired (2008), qui présente une interprétation des faits compatible avec celle des avocats du cinéaste. Dans ce film, qui donne la parole à la victime elle-même, au tournant de la quarantaine, une bonne partie des images d’archives de Samantha sont postérieures aux événements (voir fig. 2, 3, 4). Lorsque le documentaire énonce par exemple que la jeune fille «est présentée par sa mère à Polanski comme une actrice», l’illustration qui suit est tirée d’un film où Samantha a une vingtaine d’années (fig. 4). MàJ: les figures 3 et 4 sont des photos de Susan Gailey, la mère (merci à granit).
Mais dans le débat public récent, c’est une autre image qui a marqué les esprits. Une photographie en noir et blanc d’une collégienne portant ses livres de classe (fig. 1), que j’ai pour ma part découvert le 29 septembre dans un commentaire du billet "Quelques mots sur l’affaire Polanski" sur le plus célèbre blog indépendant français: Journal d’un avocat. A l’occasion de la discussion suscitée par l’article, où était également évoqué le physique de la jeune fille, Eolas avait trouvé via Google images ce portrait, sans indication de source. Reprise et diffusée depuis en d’innombrables copies, cette photo de petite fille sage a indiscutablement renforcé le camp de ceux qui voient dans ce cas un viol plutôt qu’une "affaire de moeurs".
L’origine de cette image est la publication d’un reportage sur Samantha en décembre 1997 dans le magazine People. Réalisée par Sean Kinney en 1976, soit l’année précédant les faits, cette photo illustre un article intitulé "Forgive and Forget" ("Pardonner et oublier", fig. 5), qui vient mettre un point final au processus ouvert en 1988 par la plainte au civil de la victime, suivi en 1993 par un accord entre les parties prévoyant le versement d’une somme d’un demi-million de dollars, transaction dont le numéro de People et les déclarations ultérieures de Samantha laissent à penser qu’elle a été menée à bien. Après l’arrestation de Polanski à Zurich, l’image de 1976 a été plusieurs fois reprise en association avec un portrait réalisé par Reuters en mai 2008 à l’occasion de la première de Wanted and Desired, sur le mode de l’opposition "Autrefois/Maintenant" (fig. 6).
L’évolution de la sensibilité à l’endroit des agressions sexuelles a raréfié les accusations de "provocation" fréquemment invoquées par les violeurs, et le discours public sur ces sujets se caractérise désormais par une grande prudence. Pourtant, les usages illustratifs sauvages comme ceux décrits ci-dessus démontrent la persistance des idées reçues les plus grossières, que la dimension implicite du langage imagé permet d’exprimer malgré tout. Que Samantha Bailey fut une Lolita aguichante ou une écolière sage ne change rien à la nature du viol, établi par l’absence de consentement. Mais le choix des photos révèle la résistance de l’imaginaire, qui continue à séparer le monde en femmes fatales ou en vierges innocentes.
On ne saurait toutefois s’arrêter au seul niveau du stéréotype pour comprendre la pulsion qui nous guide vers l’image. Savoir à quoi ressemblait Samantha au moment de son agression reste pour chacun de nous la façon la plus efficace de se forger une opinion dans un contexte de versions contradictoires, tout simplement parce que c’est un moyen de juger comment nous agirions en pareil cas. Or, cette image, comme la lettre volée de Poe, n’est pas cachée bien loin. Un plan de Wanted and Desired reproduit fugitivement une planche de tirages issus de l’une des séances de photographies réalisée par Polanski en 1977 (fig. 7, 8, 9). Chacun peut y voir ce qu’apercevait alors le cinéaste dans son viseur. Ni une jeune femme de vingt-cinq ans, ni une adolescente hamiltonienne, mais bien une fillette sage à la gaieté enfantine.
Illustrations: 1) Portrait de Samantha Bailey (Geimer) en 1976 par Sean Kinney, in People, 15/12/1997, vol. 48, n° 24, p. 156 (copie d’écran); 2, 3, 4, 7, 8, 9) extraits de Roman Polanski: Wanted and Desired (Marina Zenovich, 2008), vidéogrammes; 5) double-page du magazine People, 15/12/1997, vol. 48, n° 24, p. 155-156 (copie d’écran); 6) "Then/Now", portraits de Samantha Bailey/Geimer, 1976/2008, blog Kevin Garden, 27/09/2009 (copie d’écran).
Commentaires
1. Le lundi 12 octobre 2009 à 13:14, par Simplicissimus
Merci pour cette enquête photographique.
Quant à Alain Finkielkraut, si ce n’était pas sinistre, il friserait le grotesque : il en vient à justifier le port de la burqa à partir de 13 ans. Puisque c’est la femme (la fillette, en l’occurrence) qui est responsable de l’absence de maîtrise du désir masculin, c’est à elle de s’en mettre à l’abri.
2. Le lundi 12 octobre 2009 à 16:51, par El Gato
Je suppose qu’en se référant à Hamilton ou à Vogues Homme, Alain Finkielkraut a voulu surfer sur la dénonciation de la montée de la censure en Occident, poussée parfois jusqu’à l’absurde, sur toutes les images mettant en scène des enfants. Et c’est vrai qu’aujourd’hui Hamilton se verrait surement dénoncé par les ligues de vertus, alors qu’à l’époque de sa gloire les pré-adolescentes avaient des posters de ses photos dans leur chambre avec la bénédiction de leurs parents.
Mais en entretenant la confusion entre le virtuel de l’œuvre de l’esprit et la réalité du viol d’une enfant il n’aide pas Polanski, et il renforce le clan des censeurs dans leur certitude. La petite avait fait des photos dévêtues, Polanski l’a photographiée, puis il l’a violée. Donc la photographie incite à la pédophilie.On a deux éléments distincts dans cette affaire. D’une part on a le viol d’une jeune fille de 13 ans (quelque puisse être son physique) et d’autre part le rapport de la société à l’image de l’enfance.
"L’élite" :~) dont Finkielkraut se fait le héraut affirme que pour être un enfant, il faut avoir une tête d’enfant sur sa photo. C’est une pensée magique d’autant plus étrange, que tous nous avons tous connu des ados, à l’esprit encore enfantin, mais déjà encombré par leur corps d’adulte et inversement des adultes, bien dans leur peau, qui avaient l’air d’être encore physiquement dans l’adolescence.
Et de l’autre "l’immense foule lyncheuse" qui au nom de la préservation de l’enfance prétend interdire toute représentation des enfants avant 16 ans. Encore que pour l’instant la Grande Bretagne et les Etats-Unis me semblent plus susceptibles que la France.
Curieusement d’ailleurs, cette lutte contre des photos se faisant l’écho de l’ambiguïté sexuelle des pré-adolescentes et des adolescentes s’arrête à l’image de l’enfance. La Société si sourcilleuse sur la représentation photographique de l’enfance, l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de la mode et de la façon dont les parents habillent leurs enfants. Lorsque la mode du string était à son sommet, on trouvait dans les magasins des strings pour des petites filles de 12 ans. Le string est à priori une culotte assez désagréable à porter, dont le seul intérêt est de mettre les fesses en valeur. De même, de nombreuses mamans adorent habiller leurs petites filles comme des femmes, sans s’attirer pour autant les foudres de leur entourage. Les américains si puritains organisent des concours de mini-miss assez stupéfiants.
A l’époque d’Hamilton, le qualificatif "artistique" sanctifiait tout ce qu’il pouvait y avoir d’ambigu dans ses images, aujourd’hui la représentation photographique, de par son seul fait, suffit à diaboliser ce qui ne semble pas poser pas de problème dans le réel.
3. Le lundi 12 octobre 2009 à 21:28, par emma
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