Depuis le début des révolutions arabes, nombre d’experts affirment que l’islamisme radical est moribond et que les pays arabes rentrent dans l’ère de la démocratie et de la liberté. Il convient toutefois de rester prudent, car la révolution, loin d’avoir atteint ses objectifs, est à la fois faible et divisée. En Tunisie, le rétablissement du couvre-feu, la répression de manifestants dénonçant le retard du processus constitutionnel et électoral ; les pillages commis par d’anciens sbires de Ben Ali et les surenchères extrémistes des groupes d’extrême-gauche, puis enfin l’annonce du ministre de l’intérieur Farhat Rajhi d’un coup d’Etat en cas de victoire électorale des islamistes, montrent que la situation demeure explosive. Par ailleurs, les premiers révolutionnaires tunisiens, laïques, redoutent le parti islamiste Ennahda qui souhaite un jour rétablir la loi islamique.
C’est dans ce contexte que la réalisatrice franco-tunisienne, Nadia El Fani a été victime d’un lynchage médiatique ces jours-ci pour avoir avoué être athée et pour son nouveau film, présenté au festival de Cannes le 18 mai prochain, « Ni Allah Ni Maître ». La réalisatrice est conspuée par des dizaines de milliers de blogueurs sur facebook comme une « diablesse », un « agent de la France coloniale », et menacée de mort par des islamistes radicaux. D’autres cinéastes comme Nouri Bouzid sont menacés par des militants d’Ennahda, dont les propos et actes contredisent les promesses de modération du leader historique du mouvement, Rached Ghanouchi. Rapelons que lorsque celui-ci est rentré d’exil, ses partisans ont tenté de mettre le feu aux bordels de Tunis et ont agressé des filles non voilées ou en jupe courte. La seconde révolution tunisienne est donc en marche.
Elle oppose d’une part l’actuel gouvernement, qui a gardé des réflexes autoritaires, aux premiers révolutionnaires, et, d’autre part, les défenseurs laïques des acquis du père de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba (qui a aboli la polygamie, a libéré les femmes et a instauré une forme de laïcité) aux islamistes qui rêvent de confisquer la révolution et de rétablir la charià, comme leurs homologues des frères musulmans égyptiens, qui eux aussi, attendent les prochaines élections, si elles ont lieu….