En guise de prologue : le candidat de droite ayant promis qu’il ne se présenterait pas s’il était mis en examen, ne tient pas parole et s’accroche à la première place comme une huître à son rocher, malgré tous les avertissements, jusqu’à faire perdre son camp. Après avoir rendu ses costumes, il se prend une veste. La blague est facile.
Premier acte. Manuel Valls, après avoir signé, pour participer à la primaire de la gauche socialiste, une convention dans laquelle tous les participants s’engageaient à soutenir le vainqueur, renie son engagement (sans doute parce que le résultat ne fut pas celui qu’il attendait) et rejoint Macron qui est en train de réunir les strauss-kahniens en marche vers la revanche. Valls, ce faisant, n’a pas seulement trahi Hamon, il n’a pas seulement prouvé son manque d’honneur et de fiabilité. Il a aussi invalidé le processus de la primaire, car on doit considérer que si un individu se présente à une primaire, c’est dans la pensée qu’il sera soutenu, s’il l’emporte, par tous les autres participants. C’est un raisonnement bien connu des spécialistes de la théorie des jeux : on ne joue pas « collectif » s’il existe un risque avéré que chacun, au cours de la partie, se mette à jouer « pour soi ». Valls a détruit la procédure dans sa rationalité et ses fondements. Ayant saccagé la primaire, il aurait être exclu de son parti – du moins si la direction de ce parti avait eu un minimum d’intégrité, ce qui n’est pas le cas.
Deuxième acte. Mélenchon, ne voulant pas donner personnellement de consigne de vote entre les deux tours, sonde sa base. C’est dans sa philosophie : il veut en finir avec la verticalité du pouvoir, il veut mettre un terme à la monarchie présidentielle, il veut donner la parole au peuple. Mais c’est une parole bridée qu’il accorde à son peuple. Alors que l’alternative est entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, les électeurs connectés n’auront le choix qu’en « Macron », « blanc » ou « abstention ». Le leader de « la France insoumise » (…plus pour longtemps s’il accédait au pouvoir) n’avait aucune raison valable, de son point de vue, de censurer ainsi ses fidèles supporters. En effet, d’une part, il avait déclaré qu’il ne donnerait pas de consigne, même à l’issue de sa consultation, et, d’autre part, il se disait convaincu que seule fraction résiduelle de son électorat se reporterait vers un vote Le Pen : or dans ces conditions il fallait au contraire laisser cette option pour démontrer le caractère indéfectiblement antifasciste du mouvement. Bien entendu, cette hypothèse eût été rapidement démentie, car l’électorat Mélenchon n’est pas un bloc homogène mais se compose en partie de professeurs, d’étudiants, de tiers-mondistes, en partie d’authentiques travailleurs qui hésitent simplement à voter Le Pen dès le premier tour. Quoi qu’il en soit, au vu d’un tel acte (car il faut juger les politiciens sur leurs actes), on devine enfin à quoi ressemblerait cette fameuse 6e république inscrite au programme du candidat « populiste » : ce régime ressemblerait probablement aux sinistres « démocraties populaires » de l’ancien bloc communiste, où les citoyens consultés pouvaient choisir entre des solutions prédéfinies par le gouvernement et où l’on pouvait s’exprimer librement sur tous les sujets à condition d’être d’accord avec le Parti.
Troisième acte : la calamiteuse candidate du « choix de la France » sabote le débat présidentiel par un comportement inouï qui semble s’adresser à la jeunesse déculturée abreuvée de jeux vidéo et de téléréalité. Agressive, simpliste, vulgaire, maladroitement ironique, surjouant ses postures, poussant l’inculture jusqu’à confondre « vieilles badernes » (une baderne est un vieux soldat) avec « balivernes », elle étale son incompétence et accomplit l’exploit d’anéantir, en deux heures trente, cinq années d’efforts pour dédiaboliser son parti et se présidentialiser. L’autre élément frappant, et pourtant peu commenté, fut l’entrée en matière des journalistes : la première question posée semblait s’adresser à un sportif et la seconde à un agent comptable. A voir les candidats entrer dans ce jeu sans rechigner, on comprend qu’il n’y a plus d’Etat, car dans un Etat digne de ce nom, un candidat à la présidence commence évidemment par exposer sa vision de la France et par développer la grande idée qu’il entend incarner. Il n’y a plus d’Etat, donc plus de débat présidentiel à proprement parler (avec la solennité que cela exige), plus de règles, plus de sens politique, plus d’analyse des enjeux. Et tout le reste confirme ce diagnostic : un premier ministre et un président censés représenter l’ensemble les Français utilisent leur fonction régalienne pour faire campagne, des présidents d’université piétinent la neutralité de l’enseignement supérieur public en affichant leur consigne de vote sur le portail officiel de leurs établissements, les gardiens de l’orthodoxie mondialiste se relaient sur toutes les chaînes, les appareils idéologiques d’Etat fonctionnent à plein régime, tous ceux qui ont quelque chose à y gagner sont du côté du manche … Misère de la démocratie.