Du fratricide à la possibilité de la fraternisation
Faut-il avoir peur de Bat Ye'or ? Je pose cette question après avoir lu l'article de Jean Birnbaum dans le Monde des livres du 16 février 2018, "Bat Ye'or, l'égérie des nouveaux croisés" dans lequel, ayant rappelé l'article de l'historien Ivan Jablonka " La peur de l'Islam. Bat Ye'Or et le spectre de l'Eurabie", il énonce les motifs qu'il y a selon lui, d'exclure Bat Ye'or de toute réflexion pertinente sur le devenir de l'Europe.
Je résume son argumentaire puis je viendrai sur le fond du problème pour exposer mon propre point de vue sur l'œuvre de Bat Ye'or, le point de vue d'un professeur de Philosophie en charge des aspects philosophiques et pédagogiques de la formation des Maîtres en ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l'éducation).
Bat Ye'or, écrit Jean Birnbaum, a été adoubée par des auteurs néo-conservateurs français (l'organe de presse Valeurs actuelles), anglo-saxons (Daniel Pipes, Niall Fergusson) : elle ne peut donc par définition être que réactionnaire, voire carrément néo-nazie si on se souvient qu'elle fut citée "plusieurs dizaines de fois" par Anders Breivik, le tueur norvégien auteur des attentats d'Oslo et d'Utoya en 2011 "dans l'épais "manifeste" où il explicite ses motivations." Accessoirement, nous apprenons aussi qu'elle est retenue comme un auteur pertinent par le romancier Michel Houellebecq (de gauche? De droite? En tous cas cité à côté de Valeurs actuelles donc implicitement classé comme néo-conservateur, lui aussi). Tout y passe : le néo-pétainiste avéré (c'est moi qui l'ajoute) Zemmour, Oriana Fallaci, Ivan Rioufol, Maurras et autres Philippe de Villiers pour enfoncer le clou : car ce que veut sans doute démontrer ainsi Jean Birnbaum, c'est qu'il n'est pas possible d'être saluée par tant de coquins sans en être une à son tour.
Les autres arguments sont pitoyables : Bat Ye'or (allias Gisèle Littman) est ainsi dite car elle est juive; son nom signifie "fille du Nil" en hébreu (?) J'ai vérifié, "or" רוא signifie en hébreu : lumière, ce qui tend à montrer qu'elle a choisi son nom en référence à la vérité qu'elle recherche et non au Nil, contrairement à ce qu'écrit, après tant d'autres, Birnbaum).
Elle serait tenaillée par "des obsessions pugnaces" et des "angoisses virulentes" (dixit Birnbaum) liées à son passé en Égypte avec toute sa famille, notamment durant la Seconde Guerre mondiale et les persécutions antisémites auxquelles se livrèrent, sous l'égide de Rommel et des Frères Musulmans, les foules égyptiennes – mais Birnbaum prend soin de citer tous les évènements antisémites d'après –guerre en Égypte, comme pour charger la mule et accréditer la thèse d'une femme devenue folle sous la pression des malheurs subis alors que son Autobiographie politique montre une jeune femme résiliente – elle n'emploie pas ce mot elle-même mais je crois qu'il s'applique parfaitement – qui, arrivée en catastrophe à Londres, rendra amoureux fou un jeune historien juif, David G. Littman (1933 – 2012) auteur, avec un autre historien de renom, Paul B. Fenton, de l'ouvrage de référence sur la vie des Juifs en terre d'Islam : L'Exil au Maghreb. La condition juive sous l'Islam, 1148 – 1912 (éd. PUPS, Paris-Sorbonne, 2010), auquel elle se mariera, avec lequel elle retrouvera une vie familiale équilibrée et prospère (ils auront trois enfants et ils vivront ensemble une vie amoureuse et intellectuelle passionnée et passionnante jusqu'à la fin de la vie de David qui, au passage, fut aussi un ardent défenseur des droits de l'homme à la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies à Genève, et un lecteur assidu des articles et des livres de sa femme qu'il encouragea sur le plan intellectuel tout au long de sa vie.
Retenir la biographie – une biographie tronquée – comme argument contre les écrits – des écrits qu'on ne prend même pas la peine de relever et de discuter – est un procédé qui relève de la chasse aux sorcières, on en conviendra, ce qui ne laisse pas d'inquiéter dans le contexte de retour des droites-extrêmes un peu partout en Europe.
Malheureusement la démonstration de Birnbaum possède un angle mort de taille qui la fait capoter : Jean Birnbaum "oublie" que les travaux de Bat Ye'or ont été salués par des auteurs comme Robert Wistrich (1945 – 2015), historien israélien mondialement reconnu de l'antisémitisme, Jacques Ellul, sociologue du travail, théologien protestant et philosophe des religions plutôt classé à gauche (Birnbaum le reconnaît avec la mention d' "intellectuel libertaire") et qui a laissé derrière lui une réflexion certes intransigeante mais qu'on peut aussi trouver salutaire sur l'islam, qui, croyons-le, en a tout autant besoin que les autres religions, dans la mesure où le penchant naturel de toute religion – puisqu'elle possède ou du moins croit posséder – "la" Vérité absolue révélée (de loin supérieure à toutes les vérités relatives que nos pauvres cervelles humaines sont capables de dégager en sciences ou en philosophie) est de vouloir contraindre la terre entière à l'adopter.
Et rappelons ici que ce n'est qu'au décours du Concile de Vatican II (1961- 1965) que le catholicisme romain en rabattit de sa prétention à vouloir convertir les masses urbi et orbi, et de ses stéréotypes antijuifs théologiquement argumentés : "le peuple déicide", la perfidie juive" qui, d'après les travaux de Jules Isaac ne furent pas les derniers à encourager le judéocide nazi perpétré avec la complicité d'une majorité en Europe. Aux côtés de l'historienne nous trouvons aussi, aujourd'hui, un humaniste qui s'est engagé dernièrement de manière exemplaire contre l'antisémitisme dont il rappelle que la gauche marxiste et socialiste ne fit pas la fine bouche pour l'adopter comme adjuvant de la lutte des classes (cf la "stratégie de la trouée"), Alexis Lacroix, auteur de Le socialisme des imbéciles. Quand l'antisémitisme redevient de gauche, éd. De la Table Ronde, 2005, et dernièrement, de J'accuse…! 1898 – 2018. Permanences de l'antisémitisme, (éd. De l'Observatoire, 2018).
Jean Birnbaum choisit un angle d'attaque qui, on en conviendra pour l'auteur d' Un silence religieux, la gauche face au djihadisme (Le Seuil, 2016), ne manque pas de sel : voilà un auteur (Bat Ye'or), qui dérogeant à la loi du silence qui prévaut – selon Birnbaum lui-même ! – à gauche, a placé au centre de sa réflexion… le djihadisme islamiste, précisément, et que Birnbaum, sans faire ni une ni deux, mais en obéissant au réflexe conditionné que lui-même dénonce chez les journalistes et les écrivains dits de gauche, tente de dissuader de penser et d'écrire en la renvoyant, selon les codes en vigueur que lui-même a longuement décryptés et dénoncés dans son livre, à … l'islamophobie ! Ne pourrait-on pas dire qu'il illustre lui-même à merveille le processus de dhimmisation des esprits que Bat Ye'or précisément diagnostique à travers ses livres, et que c'est précisément là où le bât le blesse? Et faut-il rappeler encore et encore l'opuscule de Charb : Lettre aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes (Librio, 2015) ? : Charb néo-nazi ? Boualem Sansal néo-nazi ? Kamel Daoud néo-nazi ? Ghaleb Bencheikh qui dans son émission du dimanche matin 4 mars 2018 intitulée Lire et comprendre le Coran convoque deux érudits en islamologie (l'islamologue Michaël Privot et le coranologue Karim Ifrak) pour souligner l'état d'arriération doctrinaire (littéralisme et fermeture dogmatique) de la théologie islamique prédominant actuellement à travers toutes les aires de l'islam, chiite et sunnite et les quatre courants dominants du sunnisme : hanbalisme, malikisme, chafiisme et hanafisme, tous trois néo-nazis? Chahdortt Djavann qui aida la commission Stasi en 2003- 2004 à adopter la loi du 15 mars 2004 contre le port de signes religieux ostensibles à l'école, néo-nazie? Et toutes celles et tous ceux qui, à travers les pays où s'applique la Charia, militent à leurs risques et périls pour la liberté de conscience, de conviction et de culte, l'égalité hommes-femmes, les droits de l'enfant, mais aussi ceux qui ici-même en France font de courageuses mises en lumières régulières du clientélisme islamiste des partis politiques : Malika Sorel, Lydia Guirous, Jeannette Bougrab, Zineb El Rhazouiet alii : néo-nazi(e)s ? Vous délirez Monsieur Birnbaum ! La reductio ad hitlerum a quand même des limites!
La question qui nous est posée actuellement est celle-ci : pourquoi un écrivain et un poète reconnu comme Michel Houellebecq se confie-t-il à une revue d'extrême-droite nationaliste et xénophobe comme Valeurs actuelles ? Pourquoi un ex-professeur de Philosophie et auteur menacé d'une fatwa comme Robert Redeker écrit-il dans une revue néo-païenne d'extrême-droite comme Eléments? C'est qu'ils ont un public qui attend leurs analyses, Monsieur Birnbaum, et qu'ils ne trouvent audience que là, car Le Monde et vous les avez estampillés islamophobes et néo-cons, par facilité, par lâcheté aussi. Voilà qui est dit.
Permettez-moi aussi de vous dire ce qu'il en est des réalités pédagogiques et en quoi les recherches documentées de Madame Bat Ye'or ont été, dès la parution d'Eurabia, et restent pour moi une incitation à penser par moi-même et à encourager les étudiants à faire de même.
Le métier de professeur-formateur est un poste d'observation privilégié pour ce qui est de l'évolution des mentalités et de la détermination plus ou moins avérée chez les jeunes professeurs à vouloir défendre le patrimoine, aujourd'hui en danger, pour cause de communautarisme islamiste, des valeurs de la République.
Une certaine libération de la parole antisémite, signalant une misère intellectuelle certaine sur ce sujet et sur celui des religions, se fait jour chez ces jeunes, à la faveur du climat délétère qui s'est installé en France au début des années 2000 (je n'ai pas pu vérifier par moi-même ce qu'il en est de la jeunesse des autres pays d'Europe mais la montée des néo-populismes d'extrême-droite partout en Europe est assez parlante pour tout observateur sérieux de la vie politique).
Dans un colloque co-organisé par l'ESPE de l'Académie de Rouen et l'IRTS en février 2015 (les Actes de ce colloque sont parus aux éditions de l'Harmattan en 2017 sous le titre : La Laïcité à l'épreuve des identités. Enjeux professionnels et pédagogiques dans le champ éducatif et social sous la direction de Manuel Boucher) je décrivais ce qu'était à ce niveau mon expérience professionnelle : dès lors que fut mis en place l'enseignement des faits religieux dans l'école laïque, c'est-à-dire au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, avec ses formations initiales et continues, je fus à même de juger de l'état d'ignorance et de prévention dont les signifiants "juif" et "judaïsme" étaient affectés dans les publics de professeurs et conseillers pédagogiques – et je vais ici citer mon propre article : "Lors du premier stage de Formation continue sur cette thématique, j'avais pris en charge l'exposé sur le judaïsme, d'autres collègues traitant qui du christianisme, qui de l'islam ou encore du bouddhisme et de l'hindouisme. Or à peine avais-je ouvert la bouche pour faire mon exposé qu'un stagiaire m'interpella ainsi : "Madame est-ce que tout ce qu'on dit sur les Juifs est vrai ou pas?" (sic) Comme la question n'était pas agressive et que tout le groupe visiblement intéressé attendait ma réponse, je pris un temps d'arrêt et je dis : "vous voulez sans doute parler des stéréotypes antisémites qui ont toujours cours, je n'ai pas prévu d'exposé là-dessus mais je vais vous rédiger un polycopié que vous pourrez lire chez vous. Le polycopié déconstruisant les stéréotypes antisémites fut distribué dès le lendemain. Une autre fois, une CPE (Conseillère pédagogique d'éducation) me demanda : "Mais alors, Madame, le complot juif n'existe pas?" Question qui ne sembla saugrenue à personne dans son groupe. Et il faut immédiatement ici relever non seulement le contenu de ces questions mais le fait qu'elles aient pu m'être posées: ainsi la charge négative communément admise du signifiant "juif" permet encore, au XXIème siècle, en France, un clivage de conscience tel que les deux qualités de professeur et de Juif (-ve) s'excluent mutuellement, ce qui aboutit à faire comme si la question n'avait rien d'offensant, "les Juifs" étant une sorte de réalité abstraite, imaginaire, dont le professeur en chair et en os ainsi interpellé ne pouvait en quelque sorte écoper. "
Ces faits démontrent à l'envi, ce qui était prévisible : nul enseignement sur la Shoah ne pouvait venir à bout des stéréotypes antisémites car cet enseignement de type historique ne remonte pas à la racine de la vindicte antijuive des deux monothéismes dérivés, racine qu'il est difficiles de comprendre car elle met en jeu, comme toute discrimination, à la fois des pratiques socio-économiques et politiques et des représentations accompagnés d'un langage dit performatif ; pour l'antijudaïsme chrétien suivi par les versions islamiques de cette haine, qui inclut du reste les Chrétiens, mais aussi par des versions séculières (notamment philosophiques – cf. Francis Kaplan, La Passion antisémite habillée par ses idéologues, éd. Le Félin, 2011 – et non exclusivement racialistes), le travail anthropologique et donc transdisciplinaire restant à faire est celui de l'étude de la rivalité mimétique intra-monothéiste et de ses esquisses de résolution, dès les textes fondateurs, via le désir universel de fraternisation (je prends ici le risque d'une anthropodicée audacieuse) qui s'exprime, me semble-t-il aussi à travers la montée aux extrêmes provoquée par l'islamisme, qui est la vision fermée et obsidionale de l'islam en proie à ses démons mais aussi, je le souhaite et je l'espère, de l'islam en proie aux douleurs de l'enfantement d'un visage pacifié de l'islam, un visage compatible avec la sortie du littéralisme et du dogmatisme fanatique. Et c'est là où Bat Ye'or fait œuvre utile en investissant le rôle de lanceur d'alerte qui étudie un mal qu'il nous appartient de reconnaître avec elle pour lui opposer toute notre résistance fraternelle l'aidant ainsi à se délivrer de ce que le regretté Abdelwahab Meddeb appelait dans le titre de l'un de ses livres La Maladie de l'islam (Le Seuil, 2002).
Il m'arrive souvent de rappeler que la critique de certains aspects des religions n'équivaut pas à la critique des croyants de ces religions qui ont, à leur niveau, le rapport qui est le leur à ces religions, rapport qui leur appartient et qui n'a pas à être discuté ou critiqué tant qu'il ne trouble pas l'ordre public. Il y a dans la critique des religions, même féroce ou jugée blasphématoire par les intégristes, de quoi amender ces religions, de quoi les faire réfléchir à leurs dérives et en ce sens, on peut dire que la critique des religions par les Lumières n'a pas abouti à leur abaissement ou à leur annulation pure et simple mais à leur purification de tout ce qu'elles pouvaient contenir de dommageable pour elles et pour leurs fidèles, à commencer par leur propension à se laisser instrumentaliser par et à vouloir réciproquement instrumentaliser la politique. Je fais remarquer à mes étudiants combien les messages des papes catholiques ont gagné en crédibilité depuis que ceux-ci ont cessé de vouloir pourfendre la laïcité : ils deviennent des repères moraux en quelque sorte universels et des mieux autorisés parce qu'ils ne dépassent pas leurs prérogatives, prenant ainsi leur place au mieux, toute leur place, mais rien que leur place – et elle est déjà immense si tant est qu'ils plaident comme les anciens prophètes d'Israël contre le mercantilisme à outrance et contre l'oubli de la fraternité dans tous les domaines.
De même, critiquer les actes d'un élève ce n'est pas le réduire à ceux-ci, c'est au contraire l'aider à y réfléchir afin de faire de meilleurs choix à l'avenir. Personne ne doit être identifié à "la" violence parce qu'il s'est rendu coupable d'une ou de plusieurs violences. Nous appelons cela le "postulat d'éducabilité." Quand je cite le Concile de Vatican II en rappelant qu'il a réussi à surmonter 1965 ans d'antijudaïsme théologique, je n'oublie pas les Justes chrétiens qui aidèrent les Juifs durant l'Occupation et ne sont pas à amalgamer à cet antijudaïsme théologique – mais il est vrai que je critique le catholicisme officiel d'avant 1965 avec la thèse du "peuple déicide" (Jésus pourtant y appartenait, à ce peuple, cherchez l'erreur!) et la génuflexion au moment de la prière du Vendredi saint pour les "Juifs perfides" (on dirait aujourd'hui : mécréants!) . Le monothéisme a apporté avec lui l'idée philosophique que l'humanité n'est qu'une seule et même grande famille; mais cette fraternité sous l'égide d'un Dieu Un a aussitôt provoqué une angoisse identitaire : qui est alors le fils préféré, le peuple élu? La descendance d'Isaac ou celle d'Ismaël, celle de Jacob ou celle d'Esaü ? Les jumeaux se défient, se battent et veulent s'entretuer ce qui est bien normal et arrive dans toutes les familles… avant que la sagesse ne vienne rappeler que la jalousie n'est qu'une admiration qui ne s'assume pas … mais pourrait s'assumer en sortant des ruminations tristes et en se disant que puisqu'il y a admiration, il y a égalité selon le beau diction "admirer c'est égaler". Le plus fort n'est pas celui qui tue par jalousie mais celui qui inhibe la pulsion de meurtre et réussit à la sublimer en réalisations symboliques : œuvres d'art, de théologie, de philosophie, d'architecture, de sciences… se mettant lui-même au défi de dépasser les autres en s'auto-dépassant, comme dans l'olympisme. Bien sûr que nous n'en sommes pas là aujourd'hui mais Vatican II a donné l'exemple, mais l'universel de rayonnement (Levinas) d'Israël et des Justes des nations, reconnus aussi dans le Coran, par-delà le devoir de prosélytisme que notre laïcité a la responsabilité de combattre comme elle l'a combattu pour les velléités catholiques, mais le refus des sacrifices humains – le Coran prétend que c'est Ismaël et non Isaac qu'Abraham fit monter au lieu du sacrifice avant de prendre conscience de son erreur – tout cela et c'est encore fort peu, mais je ne suis pas islamologue – permet d'augurer de meilleurs lendemains. Est-ce que cela pourra se réaliser avant de nouvelles guerres fratricides ? Je ne suis pas devin. Je ne peux comme tout un chacun que l'espérer: étant tous frères nous sommes par-là même assignés au devoir d'inventer des issues constructives à la rivalité mimétique, voulons-nous ou pas relever ce défi?
Est-il fasciste de reprendre un enfant musulman parce qu'il a tenu un propos antisémite?
Cette réalité misérable d'enfants eux-mêmes parfois victimes du racisme et qui croient se venger en se proclamant antisémites existe et a été abondamment illustrée par les deux éditions des Territoires perdus de la République, (éd. Mille et Une nuits, 2002, 2004) mais aussi par le témoignage poignant de Bernard Ravet, Principal de collège ou imam de la République ? éd. Kero, 2017 sans parler des Rapports annuels de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme) ou encore du Rapport sur les Signes et les manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires de Jean-Pierre Obin en 2004, pour ne rien dire des chiffres de l'émigration des Juifs de France à l'étranger.
Sartre montre tout ce qu'il y a de raciste-paternaliste dans le fait de l'autocensure en matière de critique, dès qu'il s'agit des peuples du Sud :
"Quand on considère le racisme il ne faut pas considérer l'antiracisme comme un état de lutte avec l'extérieur, il faut aussi le considérer comme un état de lutte contre soi. Je ne crois pas qu'on ne m'ait jamais traité de raciste, c'est pourquoi je puis dire que je suis certainement entaché de racisme par mon enfance, et qu'on ne s'en débarrasse que par une lutte constante. Il y a eu, chez moi, à un certain moment une façon d'être trop gentil avec des gens qui venaient du tiers-monde, c'était alors les colonies, et qui m'apportaient un manuscrit qui était mauvais. A un Français, à un Blanc, j'aurais dit: il est mauvais. A eux, je prenais pour le dire, des circonvolutions que je prenais pour de la courtoisie, et qui en réalité traduisaient un certain racisme dont d'ailleurs je me suis débarrassé depuis. Mais il y a certainement d'autres niveaux de racisme que j'ai encore et dont je peux me débarrasser."
Je relève, pour ma part, que lorsqu' un élève d'origine française se livre à des agressions antisémites, il est toujours repris et sanctionné. L'élève "issu de l'immigration" qui se laisse entraîner aux insultes et aux violences antisémites sans jamais être sanctionné, c'est qu'il fait peur, parce qu'il chasse en meute; mais il est aussi par là même abandonné à ses préjugés, à son impulsivité, à son conformisme communautariste: n'y aurait-il pas là-dedans un bien suspect fatalisme – pour ne pas dire tout crûment du racisme? Quand je dis cela en formation, ce sont les étudiants d'origine maghrébine et africaine qui m'approuvent et je les comprends. Or il suffirait, en début d'année, que l'encadrement – Inspecteurs d'Académie, Directeurs et Directrices d'école, équipes enseignantes, Conseillers pédagogiques, représentants des Parents d'élèves se rendent en délégation dans chaque école, dans chaque collège et dans chaque lycée pour donner le "la" et faire entendre les lignes rouges à ne pas transgresser : le racisme, le sexisme, l'antisémitisme, la laïcité – sans noyer le tout dans l'expression ambigüe de "harcèlement scolaire". Pour la laïcité, je préconise que la première séance de l'année soit consacrée sur tout le territoire, à une explication de ce qui différencie et oppose la tolérance (sous les Edits successifs de tolérance la France connut huit guerres de religion au XVIème siècle, et dans les Etats islamiques actuels la tolérance chasse et pogromise régulièrement les tenants des religions minoritaires mais aussi les athées, les homosexuels, les agnostiques et les dits "apostats" qui ont eu le tort de penser que la religion était d'abord une affaire entre eux et Dieu et non un sujet politique)- et la laïcité, égalité sous une loi commune de tous les cultes et de toutes les options philosophiques dès lors que les uns et les autres ne troublent pas l'ordre public – après quoi tous les parents seraient amenés à signer le règlement intérieur de l'école ou de l'établissement scolaire, celui-ci contenant le rappel de la Loi de 1905, de la loi du 15 mars 2004 et de celle du 11 octobre 2010, à côté des autres articles consacrés à l'obligation d'assiduité, aux retards, aux absences, etc…Ce rituel d'intronisation à la laïcité notre seul garant de paix sociale et ces temps de réveil des aspirations religieuses, sans doute du fait de l'échec de l'espérance marxiste qui prévalait dans ma jeunesse, pourrait constituer un rite de passage bien utile pour tous, et je me permets ici de le recommander à M. Jean-Michel Blanquer, mon ministre de tutelle, juste après la chorale de la rentrée qu'il préconise.
Qui, du diagnostic étayé de Mme Bat Ye'Or quand elle dénonce documents officiels à l'appui, une realpolitik européenne appelée dans ces mêmes documents, cités et photogaphiés et non par Bat Ye'or elle-même, Eurabia, ou de la réalité ipsa est en question? Fait-on à Madame Bat Ye'or le même procès superstitieux qu'à Cassandre? Celle qui voit et dit nos errements en serait-elle la coupable-responsable pour délit de discernement? Faut-il ou ne faut-il pas voir ce que l'on voit? La réponse pour certains éminents hommes de gauche aujourd'hui semble se résumer à la statue des trois singes : ne rien voir ne rien entendre et ne rien dire. Mais la réalité insiste et signe et les marque à la culotte. La position épistémologique et morale de Mme Bat Ye'or est la seule tenable à mes yeux : on ne peut guérir une maladie en l'ignorant (pensée magique des enfants) mais seulement en la diagnostiquant sérieusement (cf. Albert Camus : "L'idée peut sembler risible mais la seule façon de combattre la peste est l'honnêteté.")
Attention, messieurs les censeurs ! Nos compatriotes musulmans ne sont pas des crétins à amadouer avec de la moraline anti-islamophobe à trois francs six sous. Ils sentent bien la lâcheté et la démission qui percent sous les soi-disant propos anti-racistes; ils savent que ce sont les islamistes qui remportent dès lors la mise, car ils ont vu cette dérive dans les pays dont ils sont partis, précisément pour pouvoir être libres. J'aimerais qu'on leur fasse, à eux et à leurs enfants un accueil plus digne.
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