Selon Perwer Emmal dans le Rojava © Metula News Agency: "cette fin de semaine a vu les lignes de front des Unités de Protection du Peuple (YPG) céder sous la pression de l’Aviation et de l’Artillerie du dictateur sanguinaire Erdogan. Rajo (4 000 hab.) est tombée entre les griffes de l’envahisseur ottoman, ainsi que la moitié de Jandairis (22 000 hab.), dont le centre est occupé par l’ennemi [carte]. L’envahisseur se trouve désormais à moins de vingt kilomètres de la capitale du canton, Afrin, par le Sud-Ouest, et à une douzaine par le Nord-Est et la province de Sharan [carte]; les principaux combats à Sharan se situant actuellement autour des villages de Kafr Jannah et Maaraskeh, littéralement noyés sous les obus des avions et des canons. Ces deux axes [flèches rouges] constituent les zones de poussée de l’offensive turque sur Afrin-city.
La cause semble militairement perdue et l’on craint des massacres dans les heures à venir ; ce, d’autant plus que la communauté internationale, y compris les alliés des Kurdes, restent coupablement muets, comme s’ils espéraient qu’Erdogan termine son agression le plus rapidement possible, en tuant le moins de monde possible.
La résistance des YPG et des YPJ (les combattantes) reste véritablement héroïque et elle demeure organisée. Ils n’ont jamais anéanti plus de soldats adverses que durant les derniers affrontements, mais c’est comme un barrage hydraulique qui aurait cédé : face à l’armement ennemi et au nombre de ses militaires, l’eau empoisonnée s’infiltre de toutes parts.
Mes correspondants ont noté à Afrin un début de fuite des habitants en direction d’Alep, la seule zone, avec le saillant vers al Bab, qui ne soit pas encore sous l’emprise des porte-flingues du sultan dément. Les cœurs civils d’Afrin et de Jandairis sont soumis depuis ce matin à des bombardements terrestres et aériens sans précédents, qui sont assimilables à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Depuis le début de l’agression ottomane contre l’enclave kurde d’Afrin, le 20 janvier dernier, les YPG sont parvenues à éliminer 1 630 soldats de l’Armée turque ou supplétifs islamistes arabes lors des combats, selon l’estimation de la Ména, qui est correcte, compte tenu d’une marge d’erreur de 5 pour cent. 3 600 membres des forces d’agression ont en outre été blessés et sont soignés dans des hôpitaux en Turquie. La proportion entre Turcs et Arabes tués ou blessés reste d’un peu moins d’un Turc pour quatre Arabes, même si le taux de Turcs, particulièrement de leurs commandos, est en augmentation depuis le lancement de l’offensive décisive.
Les YPG comptent 319 tués et plus de 650 blessés. 271 civils sont morts sous les bombardements de l’Aviation et de l’Artillerie turques, et 32 ont été sommairement exécutés sur le bord des chemins. Un peu moins d’une centaine d’enfants font partie du bilan morbide. 750 civils sont soignés dans les hôpitaux pour leurs blessures.
Erdogan a perdu, en plus de 2 hélicoptères et leurs occupants, 126 véhicules militaires, dont 71 blindés ; douze ou treize autres ont été endommagés mais ont pu être réparés et renvoyés au combat.
Les forces d’Erdogan contrôlent désormais 38 pour cent de l’enclave d’Afrin [voir la carte], mais le plus grave est qu’elles peuvent s’emparer de la capitale en isolant le nord du canton, ses Peshmerga et sa population, car rien ne semble pouvoir contenir les deux offensives en cours.
Les paramilitaires envoyés par al Assad et ceux de l’ayatollah Rohani se sont montrés totalement inefficaces à contenir l’ennemi. Des dizaines sont morts, et des centaines d’autres ont refranchi la limite de l’enclave en direction d’Alep.
À aucun moment Assad n’a fait donner son aviation, ses missiles antiaériens, son artillerie ou ses chars. On s’en souviendra, particulièrement de ses affirmations selon lesquelles le Rojava fait partie intégrante de la Syrie, au moment – qui viendra forcément un jour ou l’autre – où il s’agira d’établir une continuité politique à la guerre.
Les FDS (Forces Démocratiques Syriennes) sous commandement et à forte majorité YPG, se sont massivement retirées des zones de l’est syrien, limitrophes de l’Irak, où elles combattaient DAESH pour la Coalition occidentale. D’après mes informations, 22 000 des 25 000 Peshmerga qui s’y trouvaient ont été transférés dans le saillant de Manbij et dans le reste du Rojava occidental, face à la Turquie. La coalition sous commandement U.S. contient les miliciens de l’Etat Islamique à grands renforts de bombardements aériens.
Dans le saillant de Manbij où je me trouve, l’humeur des combattants kurdes est fébrile, mais leur colère est stérile. Elle se heurte au refus toujours aussi obstiné des Américains de les laisser ouvrir un nouveau front à l’ouest de Manbij afin de porter secours à leurs frères assiégés à Afrin.
Il ne suffit d’ailleurs pas que les Yankees leur donnent leur feu vert, car pour avoir une chance de repousser l’envahisseur turc, il faudrait aux Kurdes au moins que l’Air Force interdise le survol de la Syrie aux appareils du sultan criminel. Et cela, l’Administration Trump n’est pas prête à l’envisager. Les officiers et les commandos U.S. et européens en poste dans le Rojava ne partagent pas la position de leurs gouvernements et certains écument de rage. J’ai vu des colonels U.S. et des commandos européens pleurer ces derniers jours, lorsque j’évoquais avec eux l’éventualité d’une opération de secours aux défenseurs d’Afrin.
Les FDS, pour leur part, envisagent bien de se passer de l’accord et de l’appui de leurs alliés, mais elles sont contraintes de faire le même calcul. Il y a, toujours selon mon estimation, entre 11 et 15 000 Peshmerga dans le saillant de Manbij prêts à passer à l’action; mais sans couverture aérienne, sans chars, sans artillerie, s’ils se lancent en direction d’Afrin, ils vont se faire décimer par les F-16 d’Erdogan et ses tanks Léopard. Et dès lors, il n’y aura plus personne pour défendre le Rojava oriental et sa population.
Le monde libre est en train de sacrifier Afrin et son million de défenseurs, de civils et de réfugiés de la Guerre Civile syrienne au profit de la protection du reste du Rojava. C’est le deal qui ne dit pas son nom. C’est aussi le prix à payer pour éviter une guerre Occident-Turquie et une sortie d’Ankara de l’OTAN.
À mon avis, on ne fait cependant que retarder cette échéance, du fait que le sultan s’est lancé corps et âme dans l’islamisation de son pays et de l’Europe. Ses discours, qui ne sont plus rapportés en Europe et aux États-Unis, ne parlent que de cela, de même que ceux de ses ministres. La semaine dernière, la soldatesque du dément a arrêté deux garde-frontières grecs qui auraient involontairement franchi leur frontière. Ils refusent de les libérer et annoncent vouloir les traduire en justice. C’est avec ce genre de comportements qu’Erdogan va, petit à petit, remilitariser ses rapports avec Athènes et Nicosie, jusqu’à ce qu’il se sente prêt à entamer l’irréparable.
Les stratèges de l’OTAN, des Armées grecque, cypriote et israélienne le savent pertinemment. Ils sont conscients de ce que l’agression contre Afrin – sans la moindre justification stratégique, je tiens à le rappeler – constitue la première étape d’opérations armées qui suivront contre des États non-musulmans, de préférence juif ou chrétiens.
Voilà le compte-rendu de l’accablante réalité de ce jeudi soir. 10 000 de mes frères et sœurs sont en train de mourir bravement, les armes à la main, sans aucune chance de s’en sortir. Ils n’ont commis aucune faute et n’ont jamais usé de leurs armes pour autre chose que pour se défendre. Ils sont des sacrifiés de l’histoire, comme l’histoire en produit de temps à autres. A l’instar des Varsoviens, le 2 octobre 44, contre l’occupant nazi, alors que l’Armée soviétique les a regardé se faire massacrer. Comme les combattants du Ghetto de Varsovie, un an et demi auparavant, face au même ennemi et au même endroit.
Le cœur empli de la honte de ne pouvoir en faire plus, partagée par les Peshmerga qui m’entourent et l’immense majorité des soldats des pays libres qui vont et qui viennent, notre courage tient maintenant à regarder l’agonie de nos camarades sans cligner des yeux.
C’est également l’angoisse qui nous étreint, non seulement quant au sort peu envieux que les hordes de barbares ottomans réservent aux combattants et combattantes kurdes qu’ils nomment terroristes, mais aussi à propos du million de civils, qui vont se trouver sans protection, soumis au bon vouloir de la lie de l’humanité.