Et l’on a masqué cette simplification du fond par un excès de formes, de trémolos certes lumineux mais au sens électrique du terme, au sens de la peinture moderne qui ne tâche et ne pue pas tant ce qui est montré se veut conceptuellement bo! lavable, liquide, comme ce tableau de Bacon où l’on voit le personnage se liquider, se liquifier peu à peu, bo dans son lavabo . Le cinéma occidental étouffe par son incapacité à illustrer, à incarner, les problèmes de la civilisation urbaine mondiale de plus en plus compartimentée pour le meilleur et pour le pire, en passe d’être médiatiquement unifiée et en même temps dispersée en myriades de visions de plus en plus esseulées et dont les trajectoires croisent de moins en moins leurs sillons de vie et s’entrevoient quasi uniquement via la nouvelle réalité, celle de l’Image. Car c’est l’image et non pas la femme qui est devenu notre avenir.
Tel est, peut-être, le message ultime de l’impressionnisme que Van Gogh a dot et coupé ( cut ) devant l’arrivée de cette fin. L’oreille du sens avait été ainsi arrachée au début de ce siècle, à l’époque du triomphe de la Ville imbue d’elle-même, lorsque l’agonie de l’épaisseur de la vie monotone se percevait dans les sillons peints jusqu’au malaise par Van Gogh. Les sillons du silence intérieur qui cherchent et s’effraient du mouvement ( motion ), comme à la ville, avec tout ce monde, et comme au cinéma, avec toutes ces images.
Avec la ville, ce carrefour, avec l’image de tous ces corps ( auto) mobiles, les sillons de la vie monotone s’écartent dans tous les sens, se télescopent dans toutes ces images éphémères, comme le cubisme et le surréalisme l’ont montré avec jubilation, heureux de souligner les paradoxes modernes, urbains, de la vie humaine qui rendent plastiquement équivalents les corps, les mots qu’ils prononcent, puisque le oui de maintenant est en puissance le non de demain, puisque tout peut devenir rien, gloire et décadence, espoir et résignation, réel d’un instant ( d’un quart d’heure ) et condamné à seulement rêver sa vie pour toujours. Tout se mélangent se mangent, s’effacent dans le gouffre de plus en plus libre des désirs, ces boomerangs du temps qui passe et qui se nomment modes, marchandises, opinions.
Et pourtant ces épreuves intérieures sont irréductibles à toute plastique, à toute représentation, à toute épreuve, sauf à celles ducinéma mental. Et seulement à lui. La peinture l’a révélée, l’a défendue jusqu’à son explosion dans le cubisme et le conceptualisme.. Le cinéma d’illustration, le cinéma “ profond “, qui, lui, aurait été capable de poursuivre cette analyse à l’instar des plus grands ( tels Renoir, Bunuel, Hitchkock, Pasolini, Kirosawa, le Kubrick d’Orange mécanique, le Coppola d’Apocalypse Now, le Scorcese de Taxi driver., le Woody Allen de la Rose pourpre du Caire..), ce cinéma est mort bien avant que Van Gogh devienne un film et le faire valoir hypocrite du manque d’écoute, le préservatif du manque de.talent. Le cinéma qui pourrait peindre ce phénomène multiforme négatif est mort. Mais non pas ( ou pas seulement ) lorsque Jean Luc Godard devient la marque JLG, autrement dit se coupe l’oeil en retournant sa pupille, la caméra, pour zoomer dorénavant sur lui, sur son nombril, comme les autres, afin d’y rechercher peut-être le meurtrier ou la victime.
Nous l’avons dit. Ce cinéma est mort de n’avoir pas compris l’époque, même s’il a réagi dans de gigantesques soubresauts certes spectaculaires maisdéjà vu Excès de reconstitutions poussées jusqu’à devenir de la pâtisserie industrielle, celle par exemple qui ne veut pas être confondu avec le cinéma “ grand public “ et qui dépeint en fait de manière si prosaïque que la Violence et l’Amour sont les Amants de l’Histoire. La Richesse et la Pauvreté, ses cris. Surtout lorsque la douleur et la jouissance, l’amour et le sexe se confondent d’un point de vue plastique ( l'ancien Polanski, Lynch ).
Jusqu’où est-on allé dans ce genre de révélation basic ? Jusqu’où ira-t-on ?. Plus encore, la mécompréhension totale de ce que le mot "radical“ veut dire a fait que l’on a masqué cet échec d’illustrer l’époque autrement que par des poncifs, en poussant le déréglement de la balance entre les pôles subjectif-objectif, art-vie, ancien-moderne, académisme-novation, jusqu’à l’absurde. Jusqu’à croire que ce déréglement suffisait pour comprendre artistiquement la civilisation urbaine mondiale caractérisée par la prolifération des images et dont l’épidémiologie s’avère être celle-ci La vision plastique, par l’image de plus en plus parfaite, supplante objectivement dans l’esthétique tout autre jugement. Or, la fonction de l’Art qui n’est pas seulement une fonction plastique mais aussi esthétique se doit de critiquer également le sens de la forme montrée. C’est-à-dire doit démontrer que l’esthétique précède le plastique.
Prenons par exemple l’image parfaite d’une jouissance extrême comme dans les “ 120 jours “ ou dans “Portier de nuit” ou encore celle d’un beau SS comme dans “Cabaret”, eh bien,quand bien même seraient-elles troublantes, quand bien même serait—il racé, i v a là la tragédie même dc l’Art écartelé entre son devenir plastique et le sens nécessairement humain à maintenir, c’est-à-dire à dé-limiter, sans pour autant sombrer dans l’académisme et le rigorisme comme d’aucuns de la pseudo contre-culture voudrait nous le faire accroire en nous lassénant sous forme de signes hots . Ceux de la séduction fabriquée sous paintbox, c’est-à-dire et comme le montre le zombi de Marylin, Madonna , -mais sans la grandiloquence rigolote des dragqueen du Carnaval de Venise et d’ ailleurs-, jusqu’à l'ob-scène : sans scène ( ex :“ Les nuits fauves “).
Où sont les chefs d’oeuvres promis ? Où sont-ils disait autrefois Céline. Où est l’ Apocalypse now français de l’Algérie? L’Apocalypse Now de l’Irlande du nord ? L’Apocalypse Now soviétique, islamique (bien sûr les visés hurleront: et le capitalisme alors, mais ils auront tord et ils le savent… )? Qui montrera non pas ce qu avoir des parents communistes ou fascistes veut dire ( je mets ce “ou “ en italique car, pour moi, le racisme anti-étranger et le racisme anti-riches est identique. Il suffit de lire Lénine, Hitler… Mahomet ?…), mais ce que cela signifiait lorsque l’on était exclu du Parti dans les années 50-60, lorsque l’on perdait ses amis, son alter-ego, ses repères, sans avoir les bras de l’Abbé Pierre et Monseigneur Gaillot pour y pleurer ?
Seul le cinéma comique (et coréen avec un zest d'History of the violence) tient encore la route. C’est ce que Depardieu a bien compris lorsqu’il décide de plus en plus de travailler avec lui. D’aucuns se demandait pourquoi les “Visiteurs” ont marché naguère ? Pourquoi ce vieux “Crocodile Dundee” a marché dans les années 1980 ? Précisément grâce cette tension entre l’ancien et le moderne de la Ville et de la Vie, et dont la séparation s’avère en fait factice du point de vue de la permanence des rapports humains et en effet ubuesque du point de vue de la confrontation technique entre ces deux époques. Le public reste fasciné par l’accroissement d’efficacité de la modernité qui cependant ne vient pas suppléer son manque de souplesse, son excès de sophistication, et voiler son extrême hypocrisie, alors que l’austérité des techniques anciennes est largement compensé par la robustesse truculante des relations humaines, quand bien même leur rudesse.
Ce qui manque précisément à la modernité, c’est bien la solidité des liens sociaux, c’est le manque d’honneur, de loyauté, c’est l’excès d’indifférenciation et de lâcheté, le tout caché par l’anonymat du lien vite tranché comme l’on tranche un bras dans un Monty Python, comme lorsque l’on jette un kleenex ou un condom, tout en zappant sur le moment celui de la mante, l’amant suivant. Lorsque le cinéma français lors de la dernière soirée des Césars rend hommage à Spilberg, il a “oublié “de remercier le fait que Spilberg produit Lucas, que Spilberg et Lucas sont deux frères siamois. Bref, c’est la Guerre des Etoiles qui a marqué l’époque ouverte par les années 80 et certes pas les “ Amants du Pont Neuf". La Guerre des Etoiles, c’est l’Odyssée contemporaine ( et populaire en effet, comme les Contes de Grimm ou les Fables de la Fontaine ) avec ses sirênes, celles de toutes ces villes qui débordent de créatures étranges, ces bombes, sex, drog and kill, ces envies à fragmentation. Envies de rien et du Tout, celui de la Force et de son côté obscur. Jusqu’à l’absurde. Oklaoma. Tokyo…
Qui a compris, dans notre Europe, la nouvelle sémantique urbaine, celle des espoirs perdus, troués, dans tous les sens du terme ? Cinq heure du mat je dés-espère de ton sourire glacée Kate… Police. Stevee Wonder. Hearth W. and Fire. Bob Marley. Mickael Jackson, Prince, Le funk. Le rap. Le groove du techno-hard-core-métal. C’est peut-être l’étrange mixture de la musique anglosaxonne et black de la première société néo-primitive, la société américaine, qui nous aident àcompenser le formidable retard du cinéma occidental à nous révéler où nous en sommes à cinq ans de l’an 2000.
Où sont les chefs d’oeuvre 'promis’? Où sont-ils?
23 février 2007
Une réflexion sur « Le cinéma s’essouffle, par manque de fond »